Je suis une fille assez simple, finalement. Pas besoin de m’emmener au cinéma, de m’offrir des places de concerts ou de me faire voyager tout autour de la terre pour me distraire. Ce que j’aime vraiment, l’activité dont je ne me lasse jamais, c’est regarder les gens. Je peux me planter en terrasse des heures durant, et les regarder passer : les jeunes, les vieux, les esseulés et les accouplés, les normaux et les freaks : y’a pas de limite dans mon champ d’observation et d’imagination, tout le monde y a droit, chacun son tour, en ordre de passage. Évidemment, je suis un peu langue de pute. Mais pas tout le temps, vraiment. Dans ma tête, je ne suis pas la Police de la Mode, ou le Bureau de Vérification des Chaussettes Identiques. J’aime juste regarder les gens, les écouter aussi. Appelez-moi Miss KGB.
Dans la typologie des personnes espionnées, il y a en premier la catégorie des couples et assimilés. Ce sont mes préférés. Parce qu’on peut apprendre beaucoup d’un couple grâce à la page « Décryptons le langage corporel des stars » d’un magazine People. Ou pas. Mais en tout cas, on peut se faire une idée de leur niveau d’attachement, de l’ancienneté de leur histoire et de leur statut d’amants ou non. Exemple: elle avance un peu plus vite que lui, il semble distrait, quelques mètres derrière. Elle pose la main sur son dos et ouvre les doigts, comme pour le supplier d’avancer plus vite, de la rejoindre, d’imbriquer le même pas. Il ne le remarque même pas. Mauvais signe Mademoiselle, je mets 6/10 à votre probabilité amoureuse sur le long terme. En terrasse, elle se lève pour aller payer, il en profite pour se saisir de son téléphone portable et pour lire ses mails, ses SMS, il lutte un peu pour rentrer le code de sécurité, il tourne la tête pour vérifier qu’elle est encore occupée, il est fébrile, jaloux, elle ne se doute de rien. Il repose le portable écran contre table quelques secondes seulement avant qu’elle ne revienne, et l’embrasse un peu trop longtemps pour que ça ne soit sincère. Il attend juste que l’écran arrête de s’illuminer pour retourner le téléphone et réaliser l’exploration parfaite de l’intimité de sa chérie. Sur l’échelle des signes qui prouvent que votre mec est un psychopathe, j’accorde un 5.8 pour ce triple axel sans filet.
Mon vrai pêché mignon, ce sont les filles au téléphone. A croire qu’on reçoit pendant l’enfance des cours collectif de grelucherie. On est à la fois super mignonnes, mais complétement stupides dès qu’il s’agit d’entretenir une conversation avec l’être aimé. Y’a celles qui rougissent, qui se cachent les yeux derrière la main, qui se dandinent à l’arrêt sur un morceau de trottoir comme si la communication en cours était un remix de la Danse des Canard et d’une parade amoureuse de gallinacé. Y’a celles qui ont besoin des encouragements des copines avant d’oser taper les 10 chiffres fatidiques, avant d’oser recontacter ce mec « trop beaaaaaauuuuuu » qu’elles viennent juste de rencontrer. Chacune y va de son conseil, toutes consultantes expertes dans l’art de séduire à la voix, de convaincre et de charmer. Surtout, paraître détachée, surtout, paraître accessible, surtout, faire genre rien à taper, surtout, éviter de s’engager dans un échange de SMS sans but précis, surtout, être cash, dire ce dont on a envie. Tout y passe, j’ai même déjà assisté à des jeux de rôles organisés avant l’appel fatidique, des répétitions de texte, comme si chaque mot allait compter, comme si tout pouvait basculer sur une intonation mal placée ou sur un silence mal interprété. Je trouve ça assez génial, cette hystérie collective qui s’empare de ces groupes de copines, toutes réunies pour une seule cause, faire décrocher un rendez-vous ou un mot doux à leur BFF. Les garçons sont moins loquaces au téléphone en général. On ne les entend pas devenir complétement marteaux et s’exprimer uniquement en borborygmes pré-pubères. Ils se contentent de ne rien dire, tout engoncés dans leur timidité ou dans leur incapacité moteur à s’exprimer.
Quand j’étais célibataire, la fleur au fusil et le cynisme comme seul étendard, je partais en croisade contre les mots débiles, les alphabets inventés et les langages réservés aux couples en public. Rien ne m’énervait plus que de voir une fille pourtant d’apparence saine d’esprit se transformer en marshmallow trop cuit en présence de son mâle, comme si les phéromones des uns faisaient fondre la matière grise des autres. J’y voyais un signe ultime de domination masculine, un réflexe d’animal domestique qui se met sur le ventre pour mieux se laisser caresser. Oui, j’étais un peu énervée. Après quelques années de couple, et quelques surnoms débiles à mon actif, il me semble que la bêtification est inévitable, et que c’est même plutôt chouette, finalement. On évitera néanmoins de tomber dans le ridicule le plus complet en s’astreignant à continuer de former des phrases entières (sujet, verbe, complément), et à ne pas considérer son ou sa partenaire comme un énorme bébé à protéger. Je me souviendrai toute ma vie de cette femme d’une trentaine d’années qui prédécoupait la viande de son compagnon dans ce restaurant branché. Ils avaient l’air jeunes, beaux, intelligents et dynamiques, mais leur façon d’échanger, de se regarder et de se parler était complétement enfantine. Régression totale à base de ba-be-bi-bo-bu-hi-hi-chéri, flippant et incroyablement marrant aussi.
J’ai bien conscience que mon petit jeu d’exploratrice urbaine est à double tranchant : je sais que je ne suis pas la seule à le pratiquer, et l’observatrice devient souvent l’observée. Je profite donc de ce billet pour demander officiellement la clémence du jury pour mes fesses qui débordent du strapontin et les SMS compulsifs que j’envoie, ne me classez pas trop mal dans le catalogue des Choses Vues Bizarres, je suis comme vous, promis.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
en ce moment, je suis seule à étranger, et c est vraiment devenu mon passe temps. Je suis l étrangère seule à sa table, qui stalke les autres et je m en contre fiche si je passe pour la folle ff:
et desfois, tout de même, on fait de belles rencontres visuelles