Tristan Corbière est un poète français qui n’a publié qu’un seul recueil : Les Amours Jaunes. Ce recueil nous offre la vie d’un jeune homme torturé et assez malheureux qui revient sur ses amours, auquel il accorde un regard très ironique. Retour sur une poésie dans laquelle on peut toutes se reconnaître.
Un poète emmuré vivant
La vie de Tristan Corbière n’est carrément pas une partie de rigolade : né Edouard-Joachim Corbière, il se fait appeler Tristan pour créer un jeu de mots. Son pseudonyme peut donc se lire Triste en corps bière, autrement dit, le poète est enfermé dans son propre corps qui le fait souffrir. En effet, Tristan Corbière souffre dès l’âge de 14 ans de problèmes articulaires. A 16 ans, il est contraint d’arrêter ses études tant il souffre. Il meurt finalement avant ses 30 ans, en ayant publié qu’un seul recueil. Il n’a donc pas pu s’adonner à ses désirs ni à ses envies, sans cesse retenu par un corps qu’il ne maîtrisait pas. Il a renoncé, en raison de sa maladie, à la vie maritime mais aussi tout simplement à la vie « normale » : en Bretagne, où il habite quelques temps, les autres habitants le comparent au spectre de la mort. De plus, amoureux d’une jeune comédienne qui ne l’aimera jamais en retour, il ne connaît même pas l’amour réciproque. En gros, pour Tristan, la vie n’est pas vraiment facile. Toute sa poésie est donc un concentré de frustrations
mais aussi une libération totale : ce qu’il ne peut vivre physiquement, il tente de le poser sur papier.
Une poésie clairement ironique
Le titre, Les Amours Jaunes est un premier pas vers l’ironie qui va ponctuer tout le recueil : aimer jaune, c’est comme rire jaune. C’est aimer en cachant la souffrance derrière. L’ironie est ultra-présente dans Les Amours Jaunes, puisque tout l’amour du poète envers le monde est finalement recouvert de bile. Cette acidité constante sur l’extérieur lui apporte un moyen de dépasser cette vie trop étouffante. On peut remarquer que Corbière utilise, de manière récurrente, l’effet de surprise dans sa poésie, et le retournement de situation. Ce procédé lui permet d’ironiser ce qu’il vit, voire d’ironiser des parcelles de quotidien. De plus, le poète se place de nombreuses fois en narrateur blasé, accoutumé à sa laideur ou son aspect malsain. Il se montre par exemple comme une maladie ou encore un crapaud. En s’écrivant laid, Tristan Corbière rit jaune de sa condition.
Une poésie à la forme déstabilisante
La poésie de Corbière est d’apparence un immense foutoir à ponctuation : la plupart des vers sont coupés par des virgules ou des tirets, les retours à la ligne ne signent pas nécessairement le début d’une phrase… Ce style d’écriture peut se comprendre à deux niveaux :
- D’une part, en bousculant les vers classiques, Corbière ironise la poésie classique elle-même. En effet, il adopte souvent la forme du sonnet (forme d’excellence dans la poésie française), qu’il déstructure totalement avec ses vers coupés. Le sonnet n’est alors qu’un sonnet « brouillé », parasité par la voix du poète. Une manière de s’imposer dans un monde poétique qui finalement ne voulait pas de lui.
- D’autre part, cette ponctuation qui parait sans organisation montre la vivacité de la pensée humaine. En changeant d’une idée à l’autre, d’une voix à l’autre, Corbière met sur papier la vie qu’il n’a pas vécue et qu’il imagine dans sa tête.
Les Amours jaunes est donc un recueil que je conseille à toutes celles qui souhaitent lire de la poésie qui ne joue pas sur les codes classiques de ce genre. A déconseiller toutefois à celles qui se font ignorer par l’être aimé : il y a là de quoi vous enfoncer encore un peu plus. Avec le sourire, certes, mais un sourire un peu trop jaune.
Les Commentaires
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
... Un chant ; comme un écho, tout vif,
Enterré, là, sous le massif...
- Ça se tait : Viens, c?est là, dans l?ombre...
- Un crapaud ! - Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue... - Horreur ! -
... Il chante. - Horreur !! - Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son ?il de lumière...
Non : il s?en va, froid, sous sa pierre.
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Bonsoir - ce crapaud-là c?est moi.
(Ce soir, 20 juillet)
Tiens un article sur Corbière...! je l'ai étudié en français au lycée et j'ai bien aimé !