Aux premières pages du roman, Shalom est un jeune futur papa et un tout aussi jeune époux. Sur le papier, il a toutes les raisons du monde pour être heureux.
Une vie simple et douce lui tend les bras. Choisir le prénom de son enfant, faire l’amour à sa femme, écrire et peaufiner son roman qui s’annonce hilarant. Mener une vie sociale, et peut-être même parvenir à tenir à distance sa famille, puisque mieux n’est pas envisageable.
Il a tout pour être heureux, mais il ne l’est pas. Et ce n’est pourtant pas faute d’essayer. Courageusement, pitoyablement, il a tout tenté pour y parvenir. Mais non. Il n’est pas ce qu’on peut appeler un homme épanoui.
C’est que notre homme est juif. Par forçage, bourrage de crâne, prières violemment ingérées, par… « Maltraitance théologique », en somme.
« Maltraitance théologique : c’est une expression qui est entrée récemment dans le langage courant. Elle désigne les adultes qui racontent à leurs victimes mineures, proches ou non, que le monde est gouverné par un Cinglé dont le seul but est de les fliquer, et d’attendre qu’elles enfreignent l’une de Ses lois. »
Fauter. Ne pas manger cachère. Se masturber. Penser certaines choses. Ne pas en penser d’autres. Entre interdits et injonctions, parsemée de rappels à l’Holocauste, la vie d’un petit juif élevé dans la Grande et Sainte Foi est bien rythmée.
« – Est-ce que tu es… ?
Elle n’arrivait pas à articuler la suite. Quoi ? Un membre du parti communiste ? Un nazi ? Un homo ?
– Est-ce que tu es… Non cachère ? »
Alors, que faire de tout cela, quand on a moins de treize ans, qu’on oscille entre pitié pour son père et rage sourde à son encontre, qu’on nous a enseigné que certains péchés perpétrés avant 13 ans pourraient provoquer le courroux de Dieu et peut-être tuer notre cher géniteur, qu’on ne veut pas blesser notre mère, mais que tout ce qu’on voudrait être la révulserait ?
On mange n’importe quoi, on se touche, on regarde des revues pornographiques, on ment, on s’invente une vie sexuelle débridée à défaut de la vivre, on vole à l’étalage. Puis, se sentant observé, on brûle ce qui peut l’être, pour noyer le mal, pour adoucir la colère Seigneur. Comme on le peut, on efface ses péchés. Avant de recommencer, encore et encore. Et de grandir, enfin.
Shalom finit par se lancer dans l’écriture d’un livre, blasphématoire à souhait, tordant et surtout rafraîchissant. Mais dès qu’il sent le regard de Dieu sur lui, il efface tout. Définitivement. Et supplie le Créateur de ne pas tuer sa femme, son fils à venir (et à circoncire ?), ni lui-même, si ça n’est pas trop espérer. De prendre les autres, s’il le faut.
Lectrice, je me perds avec délices dans ce drôle de cerveau, sans cesse persuadé d’être sur la liste noire d’un Dieu vengeur. Je m’agace, par instants, de ce narcissisme effroyable qui semble porter Shalom : quelle effronterie de se croire point de mire d’une pareille Divinité. Avant de comprendre la force de ce harcèlement religieux, de ces attouchements spirituels déplacés qui n’ont pas fini de le tourmenter.
Ce roman est tordant, il s’avale d’une traite, entre deux fous-rires. Si possible, arrêtez-vous, et prenez le temps de savourer le léger blasphème qu’est ce livre.
Les Commentaires
Oh, je ne l'avais pas vue