Une famille apparemment soudée, fusionnelle, incassable. Des parents mariés depuis plus de trente ans. Des « Je t’aime » souvent dits, toujours pensés. Voilà ce dans quoi je vivais, jusqu’à ce jour de juillet où dans ma tête, tout cet amour, toute cette confiance ont volé en éclat.
Je me suis fait trahir, ma mère s’est fait trahir, et mon frère et ma sœur également. Comment en suis-je arrivée là ? Et bien, suite à de malheureuses découvertes. Reprenons depuis le début.
Un brusque changement d’habitudes
Mon père travaille dans un lycée du secteur depuis trois ans. Partant toujours très tôt le matin, il revenait en revanche habituellement avant le dîner pour nous préparer à ma mère et moi un bon repas (mon frère et ma sœur ne vivent plus chez moi). Mon père était aussi souvent là le mercredi après-midi, même quand il travaillait dans un autre lycée à 1h30 de route de chez moi. Depuis toute petite, j’ai été habituée à ce rythme.
Mais cette année, vers le mois de décembre, j’ai bien compris qu’il se passait quelque chose… Alors que je me levais vers 6h30 pour me préparer et aller à l’école, mon père lui, était déjà parti. Le soir, j’étais dans mon lit et prête à rejoindre les bras de Morphée lorsqu’il daignait rentrer, entre 22 et 23 heures. En réalité, je vivais seulement avec ma mère la semaine.
Mais vous devez surement vous demander : pourquoi ne se posait-elle pas de questions ? Je me suis dit la même chose. Mais ma mère avait confiance, trop confiance. Mon père prétextait des réunions, des conseils de classe, des pots de retraite et autres. Il a même réussi à se justifier quand une fois il est rentré à 4 heures du matin. Et ma mère y a cru.
Même si j’avais conscience que le rythme de mon père avait brutalement changé, je ne tirais pas de conclusion hâtive. Et à cette époque-là, j’avais bien d’autres choses à penser…
C’est vers janvier que je me suis vraiment posé des questions. Un jour, alors que mon père m’annonçait par SMS qu’il rentrerait tard le soir, j’ai reçu dans la foulée un autre message disant qu’il partait de son lieu de travail. Intriguée, je lui ai demandé pourquoi il m’envoyait ça. Il m’a répondu que c’était un ancien message non délivré… Et moi aussi, j’y ai cru. Ou presque.
Des premières preuves
Quelques mois auparavant, moi, la petite geek sur les bords, j’avais installé sur le portable de daddy une application de géolocalisation. Pas bien, je sais. À l’époque, c’était seulement pour prévenir le retour de mon père lorsque mon copain était à la maison (alors que mes parents ne savaient rien de cette relation).
Bref. C’est donc toujours en janvier que j’ai voulu tester mon père, suite à cette erreur de SMS. Je me souviens, c’était un vendredi soir. Il m’avait dit qu’il rentrerait tard (encore, me direz-vous).
Ce soir-là, je l’ai donc localisé dans une certaine ville. Le lendemain matin, innocente au possible, j’ai demandé à mon géniteur où il avait passé sa soirée. Et devinez quoi ? Il m’a indiqué avoir été dans une ville éloignée d’une cinquantaine de kilomètres de celle que j’avais localisé la veille. Bizarre… Mais je ne voulais pas créer de vagues, j’ai donc tout gardé pour moi.
Deux mois ont encore passé, toujours avec ce rythme paternel étrange (j’avais calculé qu’avec ces horaires, il « travaillait » plus de 60 heures par semaine). Nous étions donc en mars. À cette période-là, j’allais déjà mal, mais pour de toutes autres raisons.
C’était un matin de vacances. En me levant, j’ai vu ma mère, qui semblait troublée, choquée. Après quelques hésitations, elle a accepté de me dévoiler la triste vérité. Dans les poches de mon père, elle avait trouvé des tickets de carte bleue. Il avait payé 40€ de sushis un soir, un restaurant gastronomique un autre, deux achats de cadeaux pour la Saint-Valentin. De quoi se poser de nombreuses questions.
Ma mère s’est alors insurgée, mais mon père a nié, et a trouvé des justifications inimaginables pour chaque dépense. Le soir de cette découverte, ma mère a dormi avec moi dans mon lit, tant elle était en colère. Mais mon père jouait la victime… as usual.
Le lendemain, c’était presque comme si tout avait été oublié. Mais moi, je n’avais pas oublié. Durant les mois qui ont suivi, je n’ai rien remarqué de notable, enfin pas plus que le reste de l’année. Cependant, comme chaque année après la période du baccalauréat, mon père aurait dû être plus présent à la maison, avoir des journées plus courtes, et finir le travail, comme les autres années, aux alentours de mi-juillet.
Mais non, cette année, il disait finir fin juillet, et rentrait toujours aussi tard, avec cette fois des excuses concernant des « pots de retraite » imaginaires.
La découverte
Il y a quelques semaines, je suis rentrée tard un soir après être allée chez une amie. Vu l’heure, je m’attendais à trouver mes parents à la maison. Mais il n’y avait personne. Au téléphone, mon père m’a dit qu’ils étaient chez sa collègue. Ils sont rentrés très tard, ce dont ils n’avaient pas du tout l’habitude.
C’est à partir de ce jour-là que j’ai vu ma mère agir… différemment. Elle passait son temps sur son téléphone. Elle partait avec mon père sans vouloir me dire où. Pourtant, auparavant, nous ne nous cachions jamais rien. Je sentais cependant que je vivais dans une atmosphère de secret et de mensonge – situation qui m’était insupportable.
Je me suis fait des tas de films, et j’en ai beaucoup parlé à mon amie la plus proche ainsi qu’à mon copain, mais personne ne trouvait d’explication qui collait à tout ce que je pouvais voir, entendre ou vivre. Une fois de plus, ne voulant pas semer la zizanie dans ma famille, j’ai gardé mes questions pour moi.
Dans toute cette histoire, la seule chose qui ne m’a pas menti a été l’historique internet de ma mère. Par hasard, et pour tout à fait autre chose, j’ai consulté ce dernier, et je suis tombée sur des liens menant à sa boîte mail, laissant apparaître les objets de certains messages. Je pouvais donc accéder à un « Gueule de bois » ou un « Tendre réveil », au choix.
Lors de cette découverte, j’étais avec mon copain. Il m’a donc précédée pour lire ces mails, de sorte que je ne lise pas quelque chose que je ne pourrais pas surmonter. Curieuse, j’ai quand même voulu tout lire. Ces échanges étaient en fait entre une femme dont je connaissais le nom (ma principale adjointe au collège) et ma mère.
Cette femme retransmettait à ma mère les échanges qu’elle avait eus par mail avec mon père (un peu compliqué, mais j’espère que vous suivez !). Dégoût, envie de vomir, mal au ventre ; voilà ce qui s’est passé en moi en lisant ces discussions. Je ne reconnaissais pas mon père dans les paroles adressées à cette femme. Lui, d’une nature fermée et insensible, parlait tel un adolescent qui vit sa première histoire d’amour, avec les sous-entendus sexuels allant avec.
À vrai dire, je ne réalisais pas que c’était mon père qui avait pu écrire ça. Le sentiment de trahison était énorme. Moi qui ne voyais presque plus mon père depuis des mois, moi qui étais obligée de lui laisser des petits mots sur la table de la cuisine pour communiquer, j’avais du mal à croire qu’il avait donc passé tout ce temps dans les bras d’une femme. Une femme qui n’était pas ma mère.
Une maturité nouvelle et particulière
Pour cacher cela, il nous avait menti à toutes les deux, tous les jours de la semaine. Je n’ai jamais eu beaucoup confiance en qui que ce soit, et surtout en moi. Mais si je n’avais jamais douté de deux personnes, c’était bien mes parents. Mon modèle familial s’écroulait, et ma vision du mariage stable et durable par la même occasion.
J’ai donc cogité tout le week-end qui a suivi. Heureusement, je n’étais pas chez moi. Même si je savais que je devais laisser mes parents régler cette histoire, je n’avais qu’une envie : insulter mon père. J’ai longtemps réfléchi à qui je devais en parler, à qui je ne devais pas, et ce que je devais dire.
Pendant ces jours de réflexion, j’avais donc choisi une « stratégie » : j’en parlerais à mon père, mais ma mère ne devrait pas savoir que j’étais au courant. Mon frère et ma sœur devaient rester en dehors de ça : j’étais blessée et il valait mieux qu’une seule personne soit touchée plutôt que trois.
La mise en œuvre de mon petit plan a vite eu lieu. De retour de mon week-end, j’ai su que je passerais la soirée en tête à tête avec mon père. Cette idée me mettait déjà en rogne, et pourtant, je savais qu’il fallait que je lui parle si je ne voulais pas garder pour lui une rancœur éternelle. Le soir est arrivé, et mon père avec. Comme prévu, il est monté dans ma chambre me dire bonjour.
C’est à ce moment-là que je lui ai dit : « Je suis au courant de tout ». Au départ, il a feint de ne pas comprendre, puis il s’est vite confondu en excuses, témoignant de sa honte, disant qu’il ne nous méritait pas (ma mère et moi), se qualifiant lui-même de « salaud ». Il était évident qu’il regrettait ; il avait les larmes aux yeux, et je ne l’avais jamais vu aussi mal.
Il a répondu à certaines questions que je me posais. Je me demandais par exemple pourquoi c’était sa maîtresse qui avait transmis les mails à ma mère, et non mon père lui-même. Il m’a expliqué qu’il voulait arrêter cette relation extra-conjugale et que ne l’acceptant pas, cette femme avait directement contacté ma mère (le soir où mes parents étaient rentrés très tard du lycée), et lui avait transmis le lendemain les échanges électroniques avec mon père, sûrement dans un but de « vengeance », je présume.
Oui, je présume, car j’ai voulu me préserver, et ne pas rentrer dans les détails. Je sais juste que la maîtresse de mon père lui en veut, et cherche par tous les moyens à l’atteindre. Elle n’a pas supporté la rupture.
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Cette histoire a changé beaucoup de choses dans ma vie, mon quotidien, mais aussi dans mon caractère et ma maturité. Dans les paroles que j’ai eues ce soir-là envers mon père, je me suis sentie adulte. Si avant j’aurais insulté, crié, frappé, ce soir-là j’ai seulement exprimé mes sentiments, mon ressenti et mes émotions. Tout ce qui m’importait, c’était l’avenir de mes parents.
Rester ensemble malgré tout
Mon père m’a rassurée en m’expliquant qu’ils essayaient de recoller les morceaux, à deux, en passant du temps ensemble. Et, à mon grand étonnement, je l’ai cru – et j’y crois toujours.
Dans cette démarche de reconstruction de couple, j’admire ma mère. Je sais que c’est surtout pour mon frère, ma sœur et moi qu’elle est restée, qu’elle essaye d’accepter. Elle n’aurait jamais pu se séparer de mon père, et ce, dans le but de préserver ses enfants.
Elle ne veut pas perturber nos vies, assez mouvementées en ce moment – ma soeur est en pleine séparation, mon frère va devenir père, et quant à moi je suis assez fragile psychologiquement.
C’est aussi, bien sûr, par amour pour mon père qu’elle s’accroche. D’après certaines choses que j’ai pu comprendre dans les échanges entre mes parents, même si ces événements sont très douloureux, ils leur permettent de redécouvrir leur relation, de faire plus de choses ensemble, et de se dire à nouveau leurs sentiments mutuels, longtemps oubliés au profit de la routine.
Dans ces épreuves, alors qu’en plus d’autres problèmes familiaux s’accumulent, ma mère est une femme extraordinairement forte, même si à chaque repas je la sens au bord des larmes. Je ne lui en veux pas de ne m’avoir rien dit concernant l’infidélité de mon père, elle a juste voulu me protéger. Et je lui suis reconnaissante de cela, de vouloir conserver cette famille telle qu’elle a toujours été. Ou presque.
À la place de ma mère, je me dis que je n’aurais jamais été capable de pouvoir vivre avec un homme qui m’a tant trahie, et pendant si longtemps. Mais je pense que je n’aurais pas la même vision des choses si j’avais des enfants. Le divorce ou la séparation est une situation que je voudrais épargner à mes futurs enfants, mais à quel prix ? Je me poserai la question lorsque je serai mère.
En conclusion
Chez moi, même aujourd’hui à 19 ans, j’ai toujours été la petite dernière, la gâtée, l’enfant qui reste au nid… Et devoir gérer cette découverte seule m’a fait grandir d’un coup. Je ne me suis jamais sentie si adulte, mes décisions n’avaient jamais tant compté. Je veux dire par là que si j’avais décidé d’en parler dans la famille à quelqu’un d’autre qu’à mon père, j’aurais pu semer bien des tensions… mais j’aurais été honnête.
Tant pis. Les vérités ne sont pas toujours bonnes à entendre. Finalement, j’ai plus agi en tant qu’ « amie de la famille », pas vraiment impliquée dans l’histoire, qu’en enfant qui n’était pas encore prête à gérer un tel bouleversement. J’ai conscience d’agir actuellement plus dans l’intérêt des autres que dans le mien.
En effet, j’aurais eu plus de facilité à vivre avec cette histoire si j’avais pu en parler à des personnes concernées (mon frère, ma sœur, ou même ma cousine), mais dans mon for intérieur, je me dis que le jeu en vaut la chandelle, et que faire partager cette souffrance serait beaucoup trop égoïste de ma part : cela reviendrait à faire du mal à mes proches uniquement pour ne pas avoir mal seule.
Aujourd’hui, je joue la comédie, en famille. Chacun sait mais fait mine de ne pas savoir. C’est une situation difficilement supportable au quotidien, mais c’est surement le meilleur choix qui a été fait, dans l’intérêt de tous, et surtout du mien, dernier enfant présent au foyer. Il ne reste plus qu’à attendre, attendre que ça se dissipe, que chacun pense et passe à autre chose. Nous y arriverons, je le sais.
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