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Culture

Quand Dilbert dérape, les femmes trinquent

Vous connaissez Dilbert, la série de petites BD sur le monde du boulot et ses absurdités ? C’est un des cartons du genre “strip” avec Calvin & Hobbes, Garfield ou Mafalda. Traduction en 25 langues, publication dans 2000 magazines, mais un auteur qui fait parler de lui pour de mauvaises raisons : notre ami a manifestement un gros, gros souci avec les femmes. Et sur son blog perso, depuis quelques mois, c’est l’escalade. Une série de posts agressifs, masculinistes, et qui pourraient bien nous faire bouder des BD pourtant sympatoches. Scott ? Scott ? Reviens parmi nous steplaît.

dilbert

Tout commence avec une remarque ultralol sur les revendications féministes, rapidement effacée du site mais reprise absolument partout :

La réalité est que les femmes sont traitées différemment par la société pour les exactes mêmes raisons que les enfants et les handicapés mentaux le sont. C’est tout simplement plus facile pour tout le monde. On ne débat pas avec un gamin de quatre ans qui réclame de manger des bonbons pour le dîner. On ne frappe pas un handicapé mental même s’il vous frappe en premier. Et on ne discute pas avec une femme qui dit qu’elle gagne 80 centimes quand un homme gagne 1 dollar. C’est le chemin de la moindre résistance. On préfère garder son énergie pour des batailles plus importantes.

L’égalité salariale est donc comparée à un caprice d’enfant, et clairement, le sujet est sans importance. Pour un auteur qui fait son business sur le monde du travail, ça calme un peu. Et rien ne s’arrange quand le même article explique que si on analyse correctement les choses, les hommes sont les vraies victimes de la société. En fait. La rhétorique victimaire classique des masculinistes est à l’oeuvre : le monde est un paradis pour femmes, et nous, on est juste trop connes pour s’en rendre compte.

La suite de l’article relève de la haine sauvage : le père de Dilbert se réjouit que les femmes vivent plus vieilles mais dans des conditions pourries, puis explique que son post n’était en fait compréhensible qu’à ses lecteurs habituels – intelligents et peu enclins à la “distorsion émotionnelle”. Si tu te sens agressée, clairement, c’est parce que tu n’es pas rationnelle.

Scott Adams s’est fait méchamment bâcher la tête. A raison. Le problème, c’est qu’au lieu de s’excuser et de prétendre qu’il était sous LSD, cette levée de boucliers lui a permis de mieux assumer. Après avoir pris des identités d’emprunt pour se défendre dans les commentaires de différents sites (sous un autre pseudonyme, il se qualifie de génie, rien que ça), il a décidé de contre-attaquer là où la polémique a commencé : sur son blog.

Depuis, la situation empire et l’homme s’enfonce, jusqu’à sa dernière oeuvre de pure magie :

La société est organisée de telle sorte que les instincts naturels des hommes sont honteux et criminels alors que les instincts des femmes sont plutôt légaux et acceptables. En d’autres mots, les hommes sont des bâtons ronds dans une société pleine de trous carrés. La faute à qui ? Faut-il blâmer le bébé qui n’a pas demandé à naître mâle ? Ou alors la société qui l’a mis au monde, tout cylindrique, et qui lui demande de s’imbriquer dans un trou carré ?

Passons sur ces curieux trous carrés et ces symboles phalliques tellement délicats. Il est intéressant de noter comment ce défenseur des hommes (alias Les Victimes Absolues De l’Univers) considère son propre camp. Qu’est-ce qui est honteux et criminel ? Le viol, le meurtre, la violence, le sexe dégueu à l’arrière de voitures italiennes. Pour Scott Adams, un homme, c’est ça. Et je ne sais pas pour vous, mais quand je regarde mon entourage masculin, ça ne colle pas. Mon père fait des insomnies si on parle d’hôpital, mon frère s’évanouit quand il voit du sang, mon copain refuse que je mentionne même l’existence du viol, mon ex ne supportait que les comédies romantiques, mes potes en général sont de petits êtres pleins de tendresse.

Si je regarde la télé, en revanche, oui, ça peut coller. Les hommes de fiction sont volontiers violents et pourris jusqu’à la moëlle. Mais ce sont des représentations et on sait que les représentations sont toujours à la traîne par rapport à la réalité. Scott Adams devrait-il sortir de chez lui ? Je crois bien, oui.

Mais on n’a pas fini de rigoler grâce à la citation suivante :

A long terme, la science créera une drogue qui permettra de castrer chimiquement les hommes. Cela peut sembler mauvais, mais je suspecte que si un homme n’a plus de pulsion sexuelle, alors le sexe ne lui manquera pas. Les hommes et les femmes auront également besoin d’un autre médicament qui augmentera l’oxytocine (ndMaïa = l’hormone qui notamment sert à lier les mères et les bébés) dans les couples qui veulent se lier. La copulation disparaîtra. Les hommes désireux de se reproduire arrêteront une semaine la castration chimique, rempliront quelques bocaux de sperme pour la fécondation artificielle, et reprendront ensuite leurs pilules castrantes. Je sais que ça peut sembler horrible, comme monde. Mais l’oxytocine nous transformerait en société de câlineurs, et plus personne ne serait traité comme un objet sexuel. Il n’y aurait plus de viol, moins de divorces, plus d’amitiés solides et encore de nombreux avantages. Je pense qu’on y sera dans quelques générations.

Oui, vous avez bien lu : pour ne pas violer, les hommes ont besoin d’être castrés chimiquement. Je serais un mec, avec un ami comme ça, je n’aurais plus besoin d’ennemis.

Mais tout l’humour du monde mis à part, parler de castration chimique nécessaire, c’est réactiver les souvenirs de stérilisation forcée, souvenirs associés au nazisme. Le message est clair : si tu es contre les instincts masculins, alors il faut choisir ton camp et tu es pour le nazisme. Tiens, on revient à un fantasme classique des masculinistes : la féminazie.

Ce que je trouve intéressant dans l’histoire de Scott Adams, qui semble avoir définitivement perdu un boulon, c’est comment l’adversité le fait glisser vers une radicalisation qui n’est probablement pas terminée, malgré un niveau déjà assez héroïque. Est-ce que ça vous fait penser à d’autres cas bien plus français ? Eric Zemmour ? Dieudonné ? Là aussi, des personnalités tirent leur énergie de l’opposition et en profitent pour sombrer dans le délire.

Alors que faire quand on est en face ? Quand Scott Adams dit, dans un autre article, que “les chiens sont mieux traités que les hommes dans notre société”, ou encore qu’il a raté ses autres carrières parce qu’il était mâle et blanc ? Ignorer la débilité ou rappeler à l’ordre ? Laisser déraper ou apporter une contradiction raisonnable ?

Je n’ai pas de réponse à la question, d’autant qu’on ne peut pas savoir à l’avance qui va s’excuser et qui va déraper. C’est vrai que c’est dur, de s’excuser, de reconnaître qu’on a été trop loin. Mais reconnaître ses erreurs, n’est-ce pas la marque d’une vraie honnêteté intellectuelle ? Ici, on en est loin. Hé, Scott, il est encore temps ! Reviens parmi nous !


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

7
Avatar de Satory
26 juin 2011 à 21h06
Satory
La façon dont il fait durer l'affaire et alimente la polémique lui-même sur son blog me fait dire qu'il se sert de ses propos pour se faire un nom (faire parler de lui quoi). En fait en lisant ses posts je m'aperçois que si l'on se tient au texte, c'est à dire en faisant la part des choses entre ce qui est explicitement dit et ce qui est sous-entendu, la plupart des remarques ne sont pas machistes à proprement parler. C'est là qu'il a super bien construit son truc, parce que grâce à sa rhétorique il peut se sortir de n'importe quelle accusation en répliquant à l'opposant qu'il a mal interprété son texte. Ce qui casse/rabaisse/humilie encore plus ledit opposant, soit dit en passant des féministes pour la plupart.

Je pense qu'au fond il est effectivement macho, mais construit ses articles et ses réponses de telle manière qu'il puisse accuser ses détracteurs d'incompréhension, ce qui les insulte encore davantage. Il est méprisable et pourtant je dois admettre qu'à mon sens il a une stratégie d'argumentation bien étudiée. D'autant plus que tout ça me donne de plus en plus l'impression que son intérêt premier était bel et bien de lancer une polémique - objectif atteint, donc.

Enfin je reste persuadée que les généralisations de Scott Adams sont aussi choquantes que sa vision dégradante de la femme, et que la plupart des hommes sont trèès loin de s'y accorder. Ce qui me dérange le plus finalement (car des c*** il y en aura toujours) c'est qu'en survolant les commentaires des internautes sur son blog, peu d'hommes prennent la défense des femmes. Soit le blog possède un outil de filtration des commentaires, soit les internautes masculins n'osent pas se faire entendre pour une cause pareille... peut-être que j'ai raté un épisode, mais pour moi il y a aussi un problème de ce côté là.

Désolée pour le "pavé"
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