Il semblerait que certaines ne soient pas transportées de joie à l’idée de visionner araignées et autres petites bêtes atroces : soyez ravies, ce sera le focus psycho-socio de la semaine, tiens.
Première partie : la live-expérience
Les courageuses, commençons donc par un petit live-test souhaitant tester votre sensibilité au dégoût (WARNING WARNING le lien qui suivra va comporter des images absolument insoutenables de trucs dégueulasses – insectes, plaies béantes, boutons purulents…).
Pour prendre part à cette expérience, élaborée par le Docteur Val Curtis, rendez-vous sur le site de la BBC. Le questionnaire est en anglais, mais point besoin de manier la langue de Shakespeare façon fluent, je traduis ici pour les non english-ophones.
Les consignes sont les suivantes :
> le questionnaire comporte 20 questions et devrait vous prendre entre 5 et 10 minutes.
> Les 19 premières questions vont vous présenter des photos de trucs, et vous devrez évaluer comment vous vous sentiriez si vous deviez toucher ça, en allant de 1 – pas dégoûtée à 5 – très dégoutée.
> Lors de la dernière question, vous devrez simplement indiquer à quelle personne vous aimeriez le moins prêter votre brosse à dents (au choix : votre partenaire, votre frère/soeur, votre meilleur ami, votre patron, le postier, le présentateur de la météo).
GO !
Qui a envie de me jeter des nuggets périmés après avoir vus tous ces machins purulents et
dégoûtants ? L’expérience a été créée avec l’idée que le dégoût est un mécanisme psychologique présent pour nous protéger de la maladie. Selon quelques psychologues, ce serait un facteur qui permettrait de nous protéger et de garantir « la survie de l’espèce ». Ce qui ressemblerait le plus à une menace de maladie et d’infection est en général ce que nous considérons comme le plus dégoûtant.
Le site reprend vos résultats point par point, et de la question 1 à 19, vous pouvez comparer vos résultats aux prédictions données par les chercheurs. Vous devriez revoir les images du test, avec une échelle colorée en haut qui indique ce que les chercheurs ont pensé que vous répondriez, et une échelle colorée en bas indiquant ce que vous avez effectivement répondu.
Je ne vous traduis pas tous leurs commentaires sur vos résultats, disons simplement que :
– le ballon de football n’a pas dû en dégoûter beaucoup d’entre vous, puisque nous le voyons mal nous transmettre la lèpre;
– l’image du chat n’a pas dû vous dégoûter non plus, bien que nous gardions en général une certaine distance entre nous et nos animaux de compagnie (à l’exception d’un certain type de gens cher au coeur de Fab);
– En revanche, l’image des gencives et dents pourrissantes n’a pas dû vous transporter, et je parierais qu’elle a obtenu un bon 5 sur l’échelle du dégoût (et pour cause : qui dit pourri dit infection ?);
– Dans le même schéma, vous vous souvenez des assiettes avec les produits liquides ? Le bleu n’étant pas souvent présent dans la nature et donc non associé avec une maladie, nous ne nous en méfions pas et l’idée de toucher ce truc n’est pas des plus effrayantes. A l’inverse, l’assiette jaune-rouge pourrait bien ressembler à un peu de pus, peut-être des restes d’intervention chirurgicale… et ça a dû avoir un score assez haut sur l’échelle de dégoût.
– Idem, vous avez dû voir l’image d’une brûlure, que vous préféreriez a priori toucher plutôt que l’espèce d’affreuse infection rouge-noir visionnée en suivant (qui était en l’occurrence une infection post-opératoire).
– On en arrive à ce que vous n’aimez que modérément : les petites bestioles. Les insectes, ces petits trucs vicelards qui se faufilent partout (je sais bien qu’à vous aussi un jour une bonne âme a dit « arrête donc d’en avoir peur, on en avale des milliers au cours de notre vie » – va pioncer paisiblement avec ça). Comment avez-vous évalué ça ? Normalement, les chenilles n’ont pas dû vous dégoûter outre mesure (elles sont justes bonnes à devenir des papillons) alors que les petits vers ont dû décrocher la palme du dégueulasse, et pour cause : ces Ascaris Lumbricoides n’ont qu’un seul souhait, venir squatter nos intestins. GROSS.
Pour finir avec le sujet de la brosse à dents : normalement, vous avez dû choisir l’un de vos proches, puisque nous avons déjà partagé bien des germes avec notre famille proche et que nous sommes contraints de ne pas être dégoûté de notre partenaire pour cause de procréation. En revanche, un étranger pourrait nous refiler une nouvelle maladie, et ça, ce serait NIET.
Deuxième partie : dégoût, phobie.. Même combat ?
Alors voilà, une fois que l’on sait que le dégoût de certaines bébêtes pourraient bien provenir d’un mécanisme psychologique de protection, quid de la trouille ? Figurez-vous que la phobie aurait des structures sous-jacentes similaires, et que notre côté trouillard permettrait aussi de nous préserver des dangers qui nous entourent.
a) A partir de quel moment notre peur devient-elle pathologique ?
Nous avons tous peur de quelque chose : personnellement, l’image d’un serpent à la téloche me fait lever les pieds systématiquement (des fois qu’un python royal serait tapi sous mon clic-clac), j’enferme les araignées sous des verres nutella par trouille de les tuer et mon mec a des sueurs froides à l’idée de prendre l’avion pour partir en vacances (et il veut rentabiliser : quitte à risquer sa peau, autant la risquer pour aller à l’autre bout du globe), mais est-ce que ça handicape nos vies ? Est-ce que ces peurs sont invalidantes ?
Si vous êtes vraiment sujette à une peur pathologique, vos choix et décisions seront orientés en fonction de l’objet de votre peur. Vous pourrez par exemple limiter vos transports, refuser de regarder certains films, serrer bien fort les dents en cas de peur du vomissement (COUCOU Jack Parker)…
La phobie se caractérise par une peur très intense, une difficulté à contrôler cette peur, un évitement des sources de la phobie, une souffrance extrême en cas de confrontation… L’anticipation anxieuse handicape votre vie, atteint votre qualité de vie.
Des travaux modernes expliquent que les personnes phobiques (C. André, 2004) :
– focalisent leur attention de manière pathologique sur leurs peurs, ils n’observent pas leur environnement mais le surveillent, le « scannent »,
– détectent avant tout le monde un problème éventuel,
– construisent des scenarii catastrophes (prévoir le pire permet de se protéger),
– se noient dans leurs sensations de peur et oscillent entre le besoin de ne pas regarder (c’est bien trop affreux) et celui de regarder (bien obligé de surveiller).
Finalement, disons que si vous avez peur des araignées, vous serez incapables de surmonter votre malaise pour descendre à la cave chercher une bonne bouteille… Si vous êtes phobique, vos invités devront boire de l’eau, POINT BARRE.
b) Explication freudienne de la phobie
Pour les psychanalystes freudiens, la phobie serait le signe d’une régression vers le complexe d’Oedipe. Bloqué entre le désir pour le parent de sexe opposé et la peur du parent rival, l’enfant ne peut se satisfaire et commence à craindre alors son propre corps (angoisse de castration, nous balance Freud). L’interdit de l’inceste vient généralement régler le problème, mais si toutefois l’interdit n’est pas rappelé (le petit Anatole dort avec M’man quand P’pa n’est pas là), l’angoisse remonte et l’enfant développe une phobie pour éviter cette angoisse. Selon cette explication, l’objet de votre phobie serait une représentation du père ou de la mère. PARFAITEMENT. L’araignée EST votre mère et le serpent un symbole phallique rappelant votre désir enfoui pour Papounet.
DAMNED.
c) Explications sociologiques de la phobie
De leur côté, certains sociologues considèrent que les phobies sont aussi les produits d’une époque, d’un contexte, d’une société. Les angoisses pourraient être issues de certains phénomènes sociétaux qui produiraient un climat d’insécurité personnel et collectif :
- Montée de l’individualisme, obligation d’être soi et développement des frustrations
Avec le développement de l’individualisme, nous serions soumis à une injonction d’être soi (sans vouloir radoter, vous pouvez trouver sur ce sujet l’excellentissime La fatigue d’être soi, d’Erhenberg), à une obligation de s’épanouir sur tous les plans… QUELLE PLAIE. En réalité, il est bien impossible de parvenir à une réalisation de soi complète, intersidérale et cohérente avec tous les aspects de notre vie. Nous sommes donc voués à être frustrés et par conséquent à s’exposer à l’angoisse.
- Un décalage entre nos attentes et la réalité
Il y a quelques décennies, nous prévoyions des progrès scientifiques incroyables, des avancées de la justice, … Nous imaginions une société aseptisée, et voilà que nous nous prenons un bon boomerang dans la tronche à base de tensions et extrémismes politiques, d’injustices sociales criantes, d’MST assassines, d’écoles devenues espaces de violence et d’institutions déchues… La société produirait un « mal être ensemble », qui ne ferait qu’amplifier nos angoisses individuelles.
Sommes-nous foutues ? Non.
Premièrement, parce que des accompagnements existent. Les TCC (thérapies cognitivo-
comportementales), centrées sur la disparition du symptôle, proposent une prise en charge particulièrement rapide. Elles amènent à se confronter progressivement à ses peurs et restructurer ses perceptions grâce à la critique de son propre raisonnement (en somme : vous finirez bien par comprendre qu’il n’y a absolument aucune possibilité pour qu’une araignée sorte de votre ordinateur pour vous bouffer toute crue). La psychanalyse préconise plutôt un travail profond, permettant de remonter aux causes et d’éviter que la phobie se déplace sur un autre objet.
Ensuite, on ne va pas se mentir : les peurs pathologiques sont particulièrement rares, et quoi que vous en pensiez, vous pourriez bien réussir à vous débarrasser de votre trouille pathologique toute seule.
Vous savez le pire dans tout ça ? J’ai peur d’avoir peur, et je crois que ça mérite la palme du cerveau malade.
Et vous, que pensez-vous de vos phobies ? Comment parvenez-vous à les combattre ?
Pour aller plus loin
– La réflexion du sociologue Vincent de Gaulejac
– Un article du courrier international proposant le dégoût comme origine de la morale
– Une émission « Specimen » consacrée au sujet
– Pour les anglophones, un article de la BBC sur le dégoût
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Voir une image de chien ne me pose pas de problème mais devoir en croiser un c'est déjà plus compliqué.
Je me suis fait attaquer par un berger allemand quand j'étais petite mais je crois que j'avais déjà peur avant ça. En tout cas ce qui est sûr c'est que rien que l'idée d'aller chez des gens qui ont un chien (et même un tout petit) ça me tétanise si je suis seule. Accompagnée c'est un peu moins difficile mais c'est toujours compliqué. Mais le truc qui m’énerve le plus c'est les gens qui me disent "mais il est gentil" ou "il a jamais mordu personne" ou pire "il sent ta peur c'est pour ça qu'il vient te voir" !! je ne peux pas m’empêcher d'avoir peur ! Le pire c'est si le chien aboie alors là c'est mort, je suis tétanisée, tremblante, mon cœur bat la chamade et j'ai envie de vomir tellement ça m'angoisse... La plupart des gens ne comprennent pas du tout et me trouve ridicule mais j'ai beau prendre sur moi ça ne s'arrange pas avec le temps...