Publié initialement le 13 août 2013
Pour celles et ceux ayant coupé leur connexion Internet ces trois derniers mois, je rappelle que les cronuts (croissant + donut) sont une pâte feuilletée similaire à celle du croissant, modelée en forme de donut avant d’être frite comme un beignet. Ce dernier est roulé dans du sucre, fourré de crème, puis orné d’un joli glaçage pour la déco. Tu m’étonnes que ça fasse le buzz : moi aussi je veux qu’on me roule dans le sucre.
Je ne suis pas ce qu’on pourrait appeler une pionnière de l’innovation. Déjà, petite, dans la cour de récré, quand les Pogs devenaient la dernière tendance, j’attendais plusieurs semaines avant de demander à mes parents d’en acheter. Je faisais mon étude de marché histoire de voir si ça valait VRAIMENT le coup, ce qui était plébiscité, quelles étaient les arnaques à éviter (les jaunes, personne ne voudra les échanger avec toi !).
Bref, je suis ce qu’on appelle une suiveuse c’est-à-dire, soyons honnêtes, une trouillarde. Face à tout engouement populaire, je me méfie et j’attends. Comme à mon habitude, j’ai donc suivi le buzz généré par le cronut de très loin.
Le gros de la tempête médiatique semblant être passée depuis quelques semaines, ma curiosité me pousse a posteriori à me pencher sur ce fascinant phénomène et à constater que, mondialisation et démons de l’Internet aidant, notre espèce est définitivement pervertie… Ou simplement humaine ? Je vous laisse juger.
D’où viennent les cronuts ?
La légende des cronuts démarre dans la paisible bourgade de New York, sur la petite île méconnue de Manhattan, et plus précisément dans la boulangerie-pâtisserie d’un certain Dominique Ansel. Cet homme a été formé en France dans les meilleures maisons, il a une boutique qui déboîte, il apprend aux Américains la prononciation du mot Kouign Amann (KOO WEEN AH MAHN), bref : il a tout pour plaire.
Chaque jour, des pâtissiers créent de nouvelles recettes. Ils sont inspirés, ils essayent, ils goûtent et rectifient. Dominique n’étant pas moins créatif que les autres, il se dit qu’il pourrait façonner une pâtisserie hybride entre le croissant bien frenchie et le donut américain. Fort bien.
Après plusieurs tentatives, la version définitive du cronut naît donc. Le 10 mai, très exactement. Si nous étions dans un cas de figure normal les papillons virevolteraient dans l’air printanier, les gens seraient calmes et les médias parleraient des cronuts en toute retenue.
Le buzz cronuts se prépare dans l’ombre
Sauf que nous sommes dans le cas d’un buzz aux multiples racines.
D’abord, à New York en tout cas, la renommée de la maison Ansel n’est plus à faire (comme nos Fauchon, Ladurée, Pierre Hermé et compagnie). Il est évidemment plus simple de rencontrer le succès si vous êtes déjà « quelqu’un » et que les médias scrutent la moindre de vos nouvelles créations.
Cela n’enlève rien, bien sûr, au talent du chef pâtissier mais cela lui donne un avantage notoire par rapport à un artisan lambda : les journalistes ont présenté le cronut à la population avant sa sortie officielle. Sans même l’avoir goûté pour certains, sans même savoir si le succès serait au rendez-vous pour la majorité des New-Yorkais.
Les journalistes n’ont d’ailleurs pas vocation à prédire s’il y aura succès ou non. Ils informent, point. Mais cela induit un effet de teasing bien connu : les journalistes créent l’attente là où la demande est déjà importante du fait de la notoriété du pâtissier. Autrement dit, une demande qui se rajoute à de la demande déjà existante et on obtient un cocktail de consommateurs sous pression prêt à exploser.
La veille du lancement officiel, le site Grubstreet, par exemple, publie un éloge dithyrambique du cronut, insistant sur la difficulté technique de sa réalisation qui relèverait du « génie technologique ». Ils titrent même que le cronut « pourrait bien changer votre vie ».
Oui, alors, c’est probablement très bon mais le cronut ne sera pas l’invention de l’année : ça ne guérit pas le cancer et ça ne trouve pas du boulot à votre place, que je sache.
J’ai peur de vexer quelqu’un si je dis « vol-au-vent sucré »
En parallèle des médias, il faut également noter que Dominique Ansel n’est pas né de la dernière pluie. En businessman averti, il a non seulement créé une recette et inventé un nom pour son produit : il a surtout déposé ce nom comme nom de marque. Très malin de sa part, surtout pour la suite.
Une contrebande de cronuts
Un départ sur les chapeaux de roue, un bon réseau de clients et des médias qui facilitent le bouche-à-oreille : en trois semaines la boutique Ansel devient le lieu plus convoité de la grosse pomme. Nous aurions pu en rester à une simple tocade new-yorkaise.
Mais l’Histoire en a décidé autrement et on peut s’en apercevoir à travers l’évolution du vocabulaire. Les cronuts ont non seulement leurs fans, la communauté des cronutphiles, puis rapidement leurs contrebandiers, les cronut scalpers : ceux qui achètent des cronuts… mais pas pour les manger. Et c’est probablement là que tout part en cacahuète.
Tout à fait, messieurs dames. Un marché noir s’est déjà développé. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent assez tôt pour acheter des cronuts à $5 et les revendre ensuite au plus offrant (jusqu’à $40), à tel point qu’un système de rationnement à dû être mis en place (d’abord six, puis trois, puis deux cronuts maximum par personne).
Comme d’habitude, il y a toujours moyen de griller la file si on a un peu d’argent. source
Puis les cronuts ont traversé l’Atlantique
À ce stade, il y a indéniablement un buzz. À la rigueur, on peut comprendre que l’information ait été relayée à l’échelle des États-Unis du fait de l’existence de ce marché noir assez surprenant. Mais comment la frénésie des cronuts est-elle parvenue jusqu’à nos oreilles ?
Paradoxalement, c’est lorsque que les journalistes ont arrêté de parler du produit en lui-même et ont commencé à s’attarder pour photographier la file d’attente (elle se forme environ 2h avant l’ouverture chaque matin) que le buzz naît réellement On ne parle plus du cronut, de son origine, de sa composition ou de son mode de fabrication. Le cronut n’est plus une pâtisserie mais un phénomène, un lifestyle.
La file d’attente pour les cronuts, le 3 juillet 2013 (source)
Le temps est venu des articles intitulés «
J’ai fait la queue pour avoir un cronut et j’ai une histoire à vous raconter ». Il ne s’agit plus d’acheter son petit-déjeuner, mais de vivre une aventure.
Les gens discutent dans la file d’attente : auront-ils une chance d’accéder au cronut avant l’inévitable rupture de stock ? Ils s’ennuient (alors qu’il est si facile de savoir s’occuper dans les files d’attente) et tweetent leurs impressions, leurs déceptions, leurs coup de gueule. Ils abandonnent leur vélib’ new-yorkais, ils dorment sur le trottoir, ils commentent tout : leur heure d’arrivée, le nombre de personnes qui les précédaient, les altercations verbales et physiques.
Chacun y va de son avis, de son ressenti et le phénomène devient mondial à travers les réseaux sociaux. Les débats deviennent passionnés et renvoient au prisme culturel de chacun.
En France par exemple, le buzz a bien marché car nous étions stupéfaits de voir qu’autant de personnes étaient prêtes à patienter si longtemps. Pour nous, Françai-se-s, il est rare de faire la queue pour manger même dans un très bon restaurant On préfèrera se rabattre sur un autre établissement et revenir dans le premier une autre fois avec une réservation.
À New York (ou en Suède, d’ailleurs), une attente d’une heure n’est pas inhabituelle. Une file de deux heures pour une simple pâtisserie reste exceptionnelle mais l’attente « fait partie du jeu ». Est-ce un nouveau privilège de nos pays riches de faire la queue pour manger ?
Dans le même temps, pour ceux qui ne peuvent pas attendre, le marché noir devient hyper-performant puisqu’il se développe en ligne. Des sites comme Premium Cronut Delivery voient le jour et proposent de vous livrer à domicile (à New York seulement) pour la modique somme de 100$ le cronut. L’affaire du siècle !
La concurrence et la contrefaçon de cronuts, suite logique du marché noir
Se faire de l’argent de poche en revendant des cronuts avec une marge conséquente est finalement bien peu de chose face à la mondialisation du phénomène. Dominique Ansel ne fabrique « que » 250 cronuts par jour. L’offre est donc bien inférieure à la demande et surtout elle ne peut pas satisfaire les non-New-Yorkais.
Le nom « cronut » étant déposé, les équivalents étrangers fleurissent sous divers noms :
- Dossant à Chicago
- Dosant à Londres (c’est subtil)
- Cray-nut à San Diego
- Frissant à Vancouver
- Zonut à Sydney
- Une pâtisserie californienne se lance même dans les cr-oh-nut holes (un trou qui n’en n’est pas un). Au moins c’est une idée anti-gaspillage qui a le mérite de récupérer les chutes de pâte…
D’autres versions du cronut parviennent au Japon, en Chine, aux Philippines, à Singapour… Personne n’est épargné et ce qui devait arriver arriva, le cronut industriel naquit.
Les New York Pie Donuts, versions industrielles des cronuts, sont commercialisés en Corée du Sud
J’ai dû prendre un instant pour méditer sur l’incroyable réactivité des géants industriels de notre société. Reproduire une recette dans une pâtisserie artisanale, je peux le concevoir.
Mais pour produire à grande échelle, il a fallu être informé de l’existence d’un produit à fort potentiel, se le procurer, imiter la recette, évaluer la demande en Corée, imaginer la chaîne de production la plus optimale, mobiliser et former du personnel, lancer une campagne publicitaire. Tout cela a été fait en moins de deux mois !
Et cela fonctionne très bien, vu la file d’attente en Corée. Visiblement le fait que la pâtisserie soit artisanale ou industrielle n’a que peu d’importance.
Les cronuts : déjà has been ?
Le temps d’un été, le cronut aura donc créé de l’emploi. Il aura poussé des gens à rompre leur régime et incité d’autres à en commencer un. Des couples se seront formés dans les files d’attente du monde entier. À l’heure où je vous parle, ils sont peut-être déjà mariés, voire divorcés. Le cronut aura provoqué beaucoup d’émotions chez l’espèce humaine allant de l’hystérie collective à la violence physique (doubler dans la file, c’est mal, n’est-ce pas Emma Roberts ?).
Quoi qu’il en soit, le cronut est déjà tristement banal. À la base, il s’agissait d’un croisement audacieux d’un croissant et d’un donut mais ce temps est révolu. Cela implique qu’on peut désormais le fusionner avec un tas d’autres aliments !
Dérive ultime de notre société, le cronut burger — mais si, vous vous souvenez : c’est l’un des principes fondamentaux de la cuisine-fusion !
Les New Yorkais-es continuent de se lever aux aurores et de patienter devant la boutique de Dominique Ansel pour un cronut. Pourtant le Washington City Paper me conseille déjà de l’oublier (« Move over cronut ! ») et de passer à autre chose… comme à un donut à la crème glacée par exemple.
Me voilà bien renseignée et prête à sauter sur la prochaine tendance, mais je m’inquiète pour les autres : comment feront ceux qui n’était même pas au courant de l’existence du cronut pour passer à autre chose ?
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Les Commentaires
Ah non pardon : oulala c'est gras!
Oui bon mon poids ça fait belle lurette que je l'ai vendue contre le plaisir du sucre donc tant pis.
Ca me fait bien baver derrière mon ordi ^^