Ça doit faire maintenant à peu près 12 ans que j’ai accès à Internet à la maison. Bien sur, le petit crépitement du modem a changé ma vie. D’abord, je suis ici, sur madmoiZelle, et ça, c’est un peu de la balle. Et puis il y a les billets de trains, les billets d’avions, la recherche d’emploi, les inscriptions à la Fac, les recherches d’itinéraires, toutes ces milliers de choses qui semblaient si compliquées et si fastidieuses quand la toile magique n’existait pas. Y’avait bien le minitel, sorte de grand-père acariâtre de la technologie, avec ses photos en ASCII et ses tarifs prohibitifs, mais y’avait surtout la Poste, le papier, des timbres et des centaines de minutes passées et perdues à chercher la bonne information au bon endroit, à consulter guides et annuaires gros comme mes fesses. Bien sur, Internet a tout changé, je ne suis pas là pour faire un cours de marketing en ligne, j’en serai bien incapable, mais moi ce qui m’intéresse, c’est qu’on a surtout complètement repensé notre manière de rencontrer ces inconnus qui deviennent nos proches après quelques mails et des heures passées au téléphone.
Bien sur on pourrait dire que les petites annonces ont toujours existé. Dans le Chasseur Français, magazine qui sent bon le sanglier faisandé et les bottes en caoutchouc, on trouve depuis des décennies un carnet entier rempli des attentes les plus folles d’inconnus prêts à tout pour s’accoupler prestement. Il y a ensuite eu les 3615 glauques et leurs posters collés à la va-vite sous les ponts des autoroutes, avec leurs dames dénudées qui semblaient pleurer d’ennui de se retrouver à glander là sous la pluie. Mais ces méthodes là n’avaient qu’un seul but : le coït (et parfois le mariage, soyons honnête). Il y avait peu de place pour les relations amicales entre personnes du même sexe, on n’envisageait pas d’écrire à Sud Ouest « JF bien ss tt rap ch JF mm profil pr shopping sur 75, écrire au journal qui transmettra ». Le collège, le lycée, la fac, le travail, voilà où se cachaient les amis potentiels, certainement pas dans une petite boîte en plastique triste.
Quand je fais un tour d’horizon rapide de mon répertoire téléphonique, il me semble que la tendance est radicalement inversée aujourd’hui. J’ai pourtant fréquenté une pension tout le long de mes études secondaires, censée forger des amitiés inébranlables pour toute la vie. Je dois être un monstre d’autisme et de méchanceté, mais je ne garde aucune réelle affinité avec les filles qui ont partagé mon dortoir pendant ces années. Mes vrais amis, mes vraies amies, sont pour la plupart des personnes avec qui j’ai d’abord dialogué virtuellement. Et les rencontres amoureuses qui m’ont marquées sont elles aussi issues de près ou de loin des Internets Mondiaux. Je l’ai croisé à une rencontre IRL d’un forum, je l’ai croisée à une soirée, je l’ai rencontré car nous dialoguions depuis longtemps, et les liens que nous avons tissés de claviers à claviers ont pris chair au moment de notre première bise. J’ai eu de la chance, je suis rarement tombée sur de dangereux psychopathes prêts à me découper en morceaux et à me ranger dans des sacs sous vide sous leur canapé. J’ai pris quelques précautions, et j’ai surtout eu du nez.
Je pense que nos générations hyper connectées sont dotées d’un 7e sens.
Nous avons la capacité à voir au delà des photos et des mots. Nous percevons quelque chose d’autre. Nous pouvons nous emballer pour quelqu’un que nous ne connaissons pas physiquement, à des centaines de kilomètres de nous. Nous connaissons les codes, les usages, les tribus, nous nous reconnaissons à travers des indices aussi minces qu’un avatar, une liste de chanteurs préférés, nous avons la capacité formidable à nous ouvrir à une inconnue. Je n’évoque pas ici ceux qui pensent sortir avec une chérie par webcam interposée, ou celles qui désespérées s’inventent une vie pour adoucir un quotidien pas terrible. Je parle juste des échanges incroyables dans les forums par exemple. Des conseils, des avis, de la dose d’amour et de confiance qu’un être peut recevoir juste en se connectant et en écrivant. Je parle de toutes ces bandes de potes qui se trouvent autour d’une passion, d’un hobby, aussi stupide soit il. Je parle de tous ces gens qui sortent de la solitude grâce à des communautés virtuelles qui les soutiennent. Je parle de ces milliers de couples qui se font et se défont au gré des statuts Facebook et des notifications BBM.
Le nouvel outil Facebook, la timeline, marque bien la révolution qu’Internet est en train d’opérer. Notre histoire devient intimement liée à notre utilisation du réseau. Il n’existe plus de différence entre nos existences réelles et nos personnages virtuels. Nous sommes présents, ici, et ailleurs, et c’est cet ailleurs immatériel qui nous permet de démultiplier nos capacités à rencontrer l’autre, à apprendre, à nous émerveiller. J’ai l’air d’un Bisounours accouplé à une licorne, je sais, mais j’y crois vraiment. A ce truc un peu dingue qui fait que je suis persuadée d’avoir un genre de meilleur pote que je ne connais pas à des centaines de kilomètres de moi. A ce truc qui fait que je ne fais pas qu’allumer mon ordinateur le matin, j’ai aussi le sentiment de retrouver tous ceux qui m’ont manqué.
Les Commentaires
J'ai moi aussi discuté avec des gens sur le net et je me suis rapproché de certains internautes (uniquement virtuellement) parce que je trouve qu'il est plus facile de trouver des personnes qui ont les même difficultés que soi (merci les forums, merci Google). Et puis j'arrive mieux à me confier à des inconnus, à travers un écran.
Par contre j'ai moi aussi eu des mauvaises surprises, qu'on retrouve souvent sur le net : des gens qui s'inventent des fausses vies.
Donc je pense qu'il faut faire un minimum attention et se méfier (sans devenir parano bien sur) d'internet et de toutes ces possibilités.