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Petits sous et grosses galères — Carte postale du Venezuela

Au Venezuela, l’économie est une question complexe. Pendant que de nombreux programmes sont mis en oeuvre pour aider les plus pauvres, la classe moyenne lutte jour après jour contre une inflation constante, et rien ne garantit que le pays se maintienne sur le long terme…
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Pancarte accrochée par des étudiants en signe de manifestation à l’aéroport de Caracas : « Bienvenue au Venezuela. Attention il n’y a pas d’électricité, ni de papier hygiénique, ni d’œufs, ni de président, il y a que dalle » (source

L’économie du Venezuela

L’économie est un sujet sensible, car comme pour tous les thèmes publics au Venezuela, chaque camp blâme l’autre de tous les maux : pour l’opposition, c’est la faute aux nationalisations mal gérées, au vol pur et simple des devises par les enchufados (« pistonnés ») du gouvernement, et pour les chavistes, l’opposition est accusée de propager des rumeurs pour créer des mouvements de panique et décrédibiliser le gouvernement, et ils accusent d’autre part les sociétés privées de générer de la spéculation.

Et dans le contexte d’un pays socialiste toujours en plein milieu de la « révolution bolivarienne », c’est tabou de parler économie, on est vite taxé de capitaliste, d’impérialiste ! Ce qui compte au Venezuela, c’est avant tout la patrie, le peuple.

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« Mec, on s’en fout ! On a la patrie ! » (source)

Le pétrole, miracle et malédiction

Loin d’avoir un diplôme en économie, je vais quand même tenter de vous résumer grossièrement la situation pour vous situer.

La bénédiction — ou malédiction — du Venezuela (selon le point de vue), c’est son économie de rente, car il s’agit d’un des pays avec les plus grandes ressources pétrolières au monde.

C’est à la fois une bonne chose, car cela rapporte de grosses rentrées d’argent, notamment grâce au prix en hausse du baril, mais aussi une mauvaise chose, car du coup le pays a très peu diversifié le reste de ses secteurs économiques, et l’économie repose aujourd’hui quasi exclusivement sur ce pétrole, tandis que plus de la moitié des produits de consommation courante sont importés.

De plus, comme le gouvernement a imposé un prix de vente pour certains produits, les producteurs n’y trouvent plus leur compte, et cela leur revient moins cher d’importer que de produire sur place, ce qui n’incite certainement pas à produire local…

De plus, l’argent généré par le pétrole a été utilisé majoritairement pour les politiques sociales du gouvernement, pour améliorer l’accès à la santé, à l’éducation des plus pauvres, et pour la Gran Mision Vivienda (le plan de construction de logements pour les plus démunis), ce qui est en soi une belle chose.

Seulement, il n’y a eu aucun investissement dans d’autres secteurs que l’on pourrait considérer comme plus importants pour le long terme, comme l’industrie, la production agricole… Surtout que si un jour, le prix du pétrole baisse, le pays se retrouvera privé d’une énorme partie de ses revenus.

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La mission Vivienda est le programme de logement des plus démuni-e-s. (source)

Bref, je vais m’arrêter ici pour les explications basiques et je reprends ma plume d’habitante pour vous décrire ce que ça fait (et coûte) d’habiter au Venezuela au quotidien, quand on fait partie de cette grosse masse qu’est la classe moyenne.

Une vie extrêmement chère

La vie au Venezuela coûte incroyablement cher, et franchement je me demande même comment les gens arrivent tout simplement à vivre…

Au taux officiel actuel (oui, il y a plusieurs taux… l’explication vient plus bas), 1 euro = 7,50 bolivars. Déjà, si vous convertissez toutes les sommes en euros avec ce taux, ça ne vous semblera pas donné. Mais alors si vous comparez le coût des produits avec les salaires ici, ça vous semblera tout simplement hors de prix !

Pour que vous puissiez mieux vous représenter la situation, voici un petit tableau comparatif du prix de certains biens, avec le pourcentage de ce que cela représente pour le SMIC vénézuélien (2457 Bolivars) et pour un salaire moyen (6000 Bs), et l’équivalent de ce que ce pourcentage représenterait sur des salaires SMIC français (1430 euros) et sur un salaire moyen de 1800 euros net.

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« Voyage au cœur des prix du supermarché » (source)

Alors oui, on fait le plein d’essence pour 3 Bs, mais une bouteille d’eau en coûte 8… Le sens des priorités me laisse perplexe.

On arrive à se nourrir, sans forcément trop varier du coup, en se limitant aux produits basiques, mais pour ce qui est du loyer ou de l’achat d’un logement, peu de foyers peuvent se permettre de louer, et beaucoup de jeunes vivent chez leurs parents jusqu’à un âge avancé, sans pouvoir se marier… car à quoi bon se marier si c’est pour ensuite vivre ensemble dans un petit appartement partagé avec ses parents ?

Pour ce qui est du reste, les sorties sont très vite limitées faute de moyens. J’ai souvent l’impression que beaucoup de gens ici, sans vivre dans des conditions déplorables (en ayant au moins un toit, un travail), sont quand même plus dans la survie que dans la vie.

Certains prix sont tout simplement honteux, par exemple celui du ticket d’entrée au concert de Beyoncé, 7500 Bolivars, qui a généré une grosse polémique.

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« Avec le prix des entrées tu peux nourrir ta famille pendant deux semaines ? Oups ! » (source)

L’inflation, ce fléau

Et l’autre problème du pays, c’est l’inflation. Parce que les prix ne sont pas simplement trop élevés, ils n’arrêtent pas de grimper ! Quand y en a plus y en a encore !

Il s’agit d’une des plus fortes au monde, de plus de 30% par an. En six mois, je vois clairement une différence sur les prix du supermarché : en janvier, un plein de courses pour deux pour une semaine me coûtait dans les 600 Bs ; aujourd’hui, j’arrive difficilement à tout acheter pour 1000…

Du coup, il s’agit d’un des rares pays où il vaut mieux ne pas économiser et plutôt dépenser très vite son argent. En effet, si tu as 3000 Bs, à la fin de l’année, cette somme ne vaudra en réalité plus que 2100 Bs ! Et c’est aussi un des seuls pays où ta voiture peut doubler de valeur en quelques années…

Dévaluations et pénuries

Ce qui n’arrange pas ce problème, ce sont les dévaluations de la monnaie, qui servent officiellement à valoriser les exportations, en augmentant les quantités vendues à l’étranger, et à inciter à moins importer. L’opposition accuse le gouvernement de vouloir en réalité contrôler la monnaie et se réserver les devises étrangères.

La Banque Centrale a donc décidé plusieurs fois ces dernières années de dévaluer le Bolivar ; la dernière fois, en février 2013, c’était de 42%. Seulement voilà, tout ce que cette dévaluation a fait, selon ce que je peux voir, c’est augmenter les prix : comme le Bolivar vaut moins cher, tout ce qui est importé coûte plus cher, et évidemment il s’agit d’une bonne partie de ce qui est consommé au Venezuela…

Et en plus de ça (non, ça n’est pas fini !), il y a constamment des pénuries de certains produits. Je ne parle pas de pénuries de produits un peu spéciaux, genre extrait de truffe ou autres délicatesses, non, je parle de sucre, d’huile, de farine… la base quoi. Ou même encore de médicaments.

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« Des vénézuéliens cherchant des médicaments » (source)

Comme je vous l’expliquais, le pays importe une énorme partie de ses biens de consommation, donc dès qu’il y a un problème de liquidité, ou de stocks, ou de délais de livraisons… on n’a plus de produits !

Récemment ce qui a fait la une des journaux du monde entier, et ça serait drôle si ça n’était pas si triste, ça a été la pénurie de… papier toilette. Evidemment les Vénézuélien-en-es n’ont pas manqué de faire tourner tout un tas de caricatures et d’images satiriques.

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Le cadeau de la « Révolution » (source)

Mais finalement, qu’importe de se nettoyer les fesses quand on a la patrie ! C’est ce qu’a trouvé intelligent de déclarer le chancelier de la république, Elias Jaua, face à cette crise :

« La patrie ne se mesure pas dans un supermarché (…) Vous voulez la patrie ou vous voulez du papier toilette ? »

Ben, personnellement…

Taux officiel et taux parallèle

Comme je le mentionnais avant, il existe deux taux de change. Il y a un taux officiel de 7,5 Bs pour 1 euro, qui est en réalité bien en-dessous de la valeur réelle de la monnaie mais qui est contrôlé par l’État, et un taux du marché noir, qui est en constante augmentation et qui est aujourd’hui de 44 Bs pour 1 euro (il était de 18 Bs pour 1 euro en janvier !).

Ceci est dû à l’inflation démesurée et aux dévaluations, qui font que la monnaie vénézuélienne vaut chaque jour un peu moins cher.

Pour cette raison, les Vénézuélien-ne-s cherchent à « investir » dans les monnaies étrangères, comme le dollar ou l’euro, qui sont beaucoup plus stables ; et comme l’attribution de monnaie étrangère est contrôlée par l’État (voir plus bas), ils « achètent » donc des euros ou dollars au marché noir pour placer leur argent, comme un vrai investissement.

Évidemment, chaque système a ses défauts, et vous imaginez bien que celui-ci ouvre la porte à des milliers de magouilles possibles, entre ceux qui ont des comptes à l’étranger, les expatrié-e-s qui sont payé-e-s en euros ou dollars, ou même simplement les touristes qui viennent en vacances au Venezuela et qui changent leur argent à un taux beaaaucoup plus avantageux pour eux.

CADIVI, ou la GROSSE galère pour voyager

Le gouvernement contrôle les frontières monétaires, et ne permet de sortir de l’argent du pays que sous contrôle de l’État.

Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que quand on est Vénézuélien-ne, on ne peut pas disposer de son argent comme on le veut… On doit tout raconter au big brother CADIVI, la Commission d’Administration de Devises.

Si on veut partir en vacances à l’étranger, on doit préparer tout un dossier à déposer à la banque, qui examinera la demande et autorisera le déblocage d’une certaine somme en fonction du pays, de la durée du séjour, etc. Par exemple on donnera 1500 à une personne pour une semaine dans telle ville, ni plus, ni moins. Et si jamais tu dépenses plus, ou que tu as un problème sur place et que tu as besoin de plus d’argent ? Eh bien tant pis pour toi !

Évidemment, ça n’est pas aussi simple que ça en l’air d’avoir l’accord de la banque : il faut par exemple avoir une carte de crédit valide depuis au moins 6 mois, mais pour obtenir une carte de crédit, il faut remplir tout un tas de conditions… Ne voyage pas qui veut.

C’est aussi pour cette raison que les Vénézuélien-ne-s cherchent à acheter des monnaies étrangères, même à un taux beaucoup plus élevé.

Une photo postée par la fille de Chavez sur internet avec une liasse de dollars à la main avait d’ailleurs provoqué un véritable tollé et généré tout un tas de photos parodiques.

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« Rosines – Moi (un homme avec des dossiers CADIVI). Égalité ?? » (source)

Ce système a cependant un avantage, c’est que les euros ou dollars sont changés au taux officiel, qui est ridiculement bas comparé au taux réel. Du coup, une fois à l’étranger, le prix des articles comme les vêtements, l’électroménager… est bien moins élevé qu’au Venezuela !

Il y a donc tout un tourisme « de shopping » qui s’est développé, surtout à Miami, la destination préférée d’une bonne partie des Vénézuélien-ne-s, en raison de sa proximité et de son climat. Les habitant-e-s partent là-bas pour les vacances et en profitent pour acheter certaines choses dont ils ont besoin.

Avis à celles et ceux qui veulent voyager vers Caracas : ne prenez pas trop de bagages à main, les casiers sont tout de suite bondés !

Que penser de la politique économique du gouvernement ?

Améliorer l’accès à la santé, à l’éducation, attribuer des logements aux familles pauvres est louable, c’est miser sur l’humain et offrir de la dignité aux plus démuni-e-s.

Je ne m’y connais sûrement pas assez en économie pour pouvoir réellement juger, mais quelque chose m’empêche d’adhérer à cette « révolution bolivarienne ».

Outre le fait que je galère un peu plus chaque jour (car oui je suis payée en monnaie locale, et non, je ne touche pas une somme mirobolante) et que je ne sais pas jusqu’à quand je vais pouvoir payer mes dépenses de base avec mon salaire, certaines observations et critiques me taraudent :

  • les pénuries sont de plus en plus nombreuses
  • les hôpitaux publics sont d’une qualité extrêmement médiocre
  • je ne vois pas le nombre de bidonvilles diminuer
  • le gouvernement fait trop de pub pour lui-même (à la télé, en affichage…) pour que ce soit honnête
  • les logements de Misión Vivienda n’appartiennent pas aux familles, elles n’ont aucun titre de propriété, et sous une intention louable, ça me donne plutôt l’impression d’un bon gros paternalisme pour maintenir l’amour et la dévotion au gouvernement.

Alors quelle amère ironie que la situation dans laquelle se trouvent les Vénézuélien-ne-s, que le régime chaviste souhaitait tant libérer du joug nord-américain, et qui aujourd’hui se précipitent à Miami acheter tout ce qu’ils peuvent car tous ces articles leurs reviennent beaucoup moins cher que dans leur propre pays…

Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Pour parier sur le futur, le social suffit-il ?


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

10
Avatar de SofiaMargarita
9 août 2013 à 19h08
SofiaMargarita
Hola Sofia!, je suis vénézuélienne et je te remercie pour ta carte postale, je la trouve super drôle et "exacte" tu nous décris très bien je trouve. Je te remercie aussi pour ce post, c'est pas évident d'expliquer aux étrangers notre situation, il y en a bcp qui pensent que Chavez et la révolution c'est génial, alors que ce n'est pas du tout le cas!.  J'ai hâte de lire la suite de ta vie ou plutôt ton avis de mon cher pays que malgré tout, me manque énormément chamaaaa! lol Bon courage!

Gracias Chipie! J´ai écris d´autres cartes postales, tu peux aller les lire!
Me ENCANTA Venezuela, con todo lo bueno y también con sus defectos!
Chaito!
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