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Humeurs & Humours

Virginia Woolf : dans la maison de mon idole

Virginia Woolf est l’idole de Christine Berrou. Cette dernière a été en pèlerinage dans la maison de l’écrivaine en Angleterre. Récit.

Mardi 23 août 2011 (J-4)

Je m’étais promis d’y aller le jour où un éditeur accepterait de publier mon premier livre. Ce jour étant arrivé, j’ai fait mon sac pour Rodmell, petit village du Sussex (Pas de vanne) où Virginia Woolf a passé 20 ans de sa vie. C’est là qu’elle y a écrit Mrs Dalloway et puis c’est là qu’elle s’est suicidée. Effectivement, l’un de ces deux éléments n’est pas très festif mais on peut quand même penser que s’il y a un fantôme, il est là-bas. Et ce fantôme, j’ai besoin de le rencontrer.

J’imagine que chacun a ses idoles. Vous avez une idole ? Moi quand j’étais petite c’était princesse Sarah. Quand j’ai grandi c’est devenu Virginia Woolf. Parce que je partage ce que ses écrits défendent, parce que notre enfance a des points communs qui expliquent que toutes deux avons d’autres points communs. Parce qu’aussi il m’est arrivé d’avoir des idées que je croyais inédites avant de découvrir que, non seulement elle les avait eues bien avant moi, mais qu’en plus, ce qu’elle en faisant touchait au génie quand moi je me contente de toucher à ma Nintendo DS. Et en fait, tout ce que je viens de vous dire se résume en une phrase simple et, je trouve, un peu vulgaire : je suis fan. Je suis fan de Virginia Woolf et dans quatre jours je visiterai sa maison.

Mercredi 24 (J-3)

Je n’avais jamais pris l’Eurostar et on s’en fout. Mais quitte à étaler des banalités, sachez que hier soir j’ai dormi chez Anne-Sophie Girard. Elle m’a confié avoir elle-même un jour effectué un pèlerinage du même genre. En Roumanie figurez-vous. Mais je ne vous expliquerai pas les tenants et les aboutissants de son voyage car cela lui est très personnel. Et puis si j’étais comme elle fan de Dracula je ne sais pas si je voudrais que tout le monde le sache. Toujours est-il que ce voyage a déçu Anne-Sophie, rendez-vous compte. Et oui, c’est étonnant mais la Roumanie n’a pas été à la hauteur de ses rêves de glamour et d’exotisme.

Ça doit être terrible d’être déçu par un pèlerinage. Est-ce qu’un musulman peut regarder la Mecque et commenter comme un Américain commenterait la Tour Eiffel : « Tiens, je la voyais plus grande » ? Quand on est persuadé que des émotions vous attendent quelque part, comment gérer la non-émotion ? Autant de questions existentielles que je me pose de mon hôtel trois étoiles à Londres, qui m’a coûté le prix d’un hôtel de passe. C’est à dire, pour ceux qui ne regardent pas Capital, pas beaucoup. Si après ce voyage je ne crois plus en Virginia Woolf, je croirai toujours en une chose : le miracle de lastminute.com.

Avant d’aller à Rodmell (où la maison de Virginia est ouverte le samedi de 14h à 17h autant pas rater son coup), je voulais visiter aujourd’hui le Londres du mariage du siècle, revoir l’abbaye de Westminster en y projetant Pippa et la robe de Kate taille 34 en m’y projetant moi (Un « moi » qui aurait fait un gros régime).

Il pleuvait des trombes et des cordes en même temps, devant l’abbaye il n’y avait non pas une file d’attente mais un collier de parapluies. Une fois à l’intérieur j’ai eu beaucoup de mal à replacer les choses primordiales dans leur contexte : où était le couple Beckham ? Les filles de Fergie dans leur faute de goût en forme de robe ? Et Kate, elle était assise où Kate avec son sourire émail diamant ? J’oubliais presque que sous mes pieds dormaient pour toujours de vraies célébrités. Par exemple Charles Dickens en chair et en os mais surtout en os. Parce qu’en fait, l’Abbaye de Westminster, c’est un grand cimetière piétinable. Tu peux même marcher sur Darwin et Churchill si ça te fait plaisir.

Enfin, rassurez vous. Entre les souvenirs people des mariages princiers et la présence de ces grands hommes qui ont changé le monde, j’ai vite fait la part des choses et ai su revenir à l’essentiel : je me suis acheté une tasse à effigie de Kate et William (qui se font un bisous) et je suis partie.

La prochaine étape, c’était Buckingham. Évidemment, je voulais voir la robe ! Mais devinez quoi ? Je n’étais pas la seule à en avoir eu l’idée. Et je ne sais pas qui étaient tous ces gens mais on était bien des centaines, peut-être un millier, toujours sous la pluie, amassés, formant non pas une file mais une grappe d’êtres humains plus ou moins serrés selon le bon vouloir de la circulation automobile. En d’autres mots : c’était la merde. Là il fallait faire une heure de queue pour avoir un ticket et une autre heure de queue pour pouvoir l’utiliser. Et bien en regardant tout ce monde j’ai compris deux choses : 1) La différence entre le château de Buckingam et Space Mountain c’est que, pour rentrer dans le château, on a pas besoin de faire 1m20 minimum. D’où sans doute le succès de l’attraction 2) Il n’y avait rien pour moi là.

C’est alors que j’ai décidé de me rendre à MON attraction et celle de personne d’autre, la première étape de mon pèlerinage : la maison où Virginia Woolf est née en 1882 pour ne la quitter qu’en 1903. Le 22 Hyde Park Gate.

Le chauffeur de taxi m’a déposée au numéro 1 de la rue et j’ai d’abord cru qu’il s’était trompé. A travers toutes les descriptions de ses journaux intimes (A Virginia, pas au chauffeur de taxi), moi je m’étais imaginé un quartier victorien à la fois austère et animé. Un quartier en plein centre ville, quelque chose d’un roman de Dickens, vous voyez ? Et me voilà ce matin dans un vieux quartier résidentiel de brique et de plâtre, pas tape à l’œil pour deux pounds et d’un calme qu’aucun arrondissement de Paris ne connaitra jamais. J’avance. Presque chaque maison a sa plaque, il semblerait que tous les grands hommes de l’Angleterre soient nés, aient vécu ou soient morts dans ce pâté de maisons. La résidence familiale de Virginia est au bout de l’allée et personne (personne !) ne fait la queue devant. Cette fois je suis bien la seule à avoir eu l’idée.

Il pleut toujours mais j’y suis. Je projette sur la haute façade blanche tous ce que mon fanatisme a retenu : en 1897, sa grande sœur Stella, est morte de l’appendicite, ils ont mis de la paille sur la route pour ne pas que le bruit des calèches ne gêne le recueillement. Il arrivait que l’écrivain Henry James vienne rendre visite à son père. Virginia, très impressionnée mais aussi incroyablement timide, guettait son arrivée par la fenêtre de sa chambre sans jamais oser descendre dire bonjour. Et aujourd’hui elle est plus célèbre que lui. J’essayais de l’imaginer passant sa porte, le 27 décembre 1904, habillée et coiffée comme une dame, comme elle détestait, pour se rendre à la première de « Peter Pan » avec Vanessa et son frère Toby. Lequel d’ailleurs mourra à peine deux ans plus tard d’une typhoïde. Aujourd’hui plus personne n’a la typhoïde. Mais tout le monde a un portable.

Et tandis que mon imagination n’en pouvait plus d’imaginer, au 22 Hyde Park Gate on passait l’aspirateur. Je voyais à travers la vitre fumée le va et vient appliqué de… La femme de ménage ? La locataire ? La propriétaire ? Le fantôme de Virginia Woolf qui aime que ce soit propre ? Bien sûr, je n’ai pas osé sonné. Sans regret. La vie continue et l’accepter c’est aussi laisser les gens passer l’aspirateur tranquillement. C’est vrai, dans ces cas là on n’en finit pas de visiter les maisons des uns et des autres, imaginez : « Excusez-moi, on m’a dit que René des Musclés avait habité là de 1996 à 2002, je peux effectuer une visite spirituelle dans votre salon ? ». Non, ça ne se fait pas.

En partant, j’ai lu la plaque de la maison d’en face, entre ses quatre murs était mort Wiston Churchill dont je venais à peine deux heures plus tôt de piétiner la tombe. Décidément, à Londres les grands hommes ne vous quittent jamais. Et les baraques aiment bien faire leur crâneuses.

Samedi 27 (Jour J)

Ce matin je suis arrivée trop tôt chez Virginia Woolf, la maison/musée était fermée. J’avais deux heures à tuer et comme ce que l’on tue se retrouve au cimetière, j’y suis allée. Non pas que j’aime les cimetières, ça c’est bon pour les fans de Dracula (Salut Anne-Sophie !), c’est qu’il était juste à côté.

Et puis j’ai fait une belle balade en prenant le chemin qui menait vers l’Ouse, le fleuve où Virginia Woolf a disparu en 41. C’était en mars, le paysage devait-être différent et du coup, contrairement à moi, ce jour là elle n’a pas pu cueillir de mûres ni aller sur Facebook avec son Blackberry. Mais elle a bien marché deux kilomètres. C’est dire la volonté d’en finir. Si je m’étais trouvée ici ce jour là, sur ce même chemin de campagne, croyez moi bien que je lui aurais barré la route, je me serais accrochée à ses bottines, j’aurais été ridicule (j’ai l’habitude) et tout ça pour sauver plus qu’une vie : la littérature anglaise. Oui, j’aurais fait ça. Hélas, je suis arrivée trop tard. 70 ans et 4 mois trop tard. Même en mettant mon réveil plus tôt ce matin, je n’aurais pas été là à temps.

Et la maison a ouvert les portes de son passé, rentrer dedans m’a coûté 4 pounds. A l’intérieur, j’ai vu ses vrais meubles et ses vrais petits objets même les moches. J’étais chez elle quoi.

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Tout dans cette maison, de la collection de tableaux (pour beaucoup peints par ses proches) aux pyramides de livres (pour beaucoup écrits par ses proches), respire la création, la modernité, la liberté de pensée et sa sensibilité, cette terrible sensibilité qui aura eu raison d’absolument tout. On fait quoi dans ces cas là ? On baise le sol, on pleure, on décide que le temps s’arrête ? Je ne savais pas. Alors j’ai pris des photos de tout ce que j’avais sous les yeux. Virginia Woolf aurait pu rentrer et me demander « Excusez-moi mademoiselle, je peux savoir pourquoi vous photographiez mon pot de chambre ? ». Oui, elle aurait pu.

Et puis j’ai rentabilisé la présence du guide avec mes questions :

– Et ça c’est son vrai châle ? – Oui madame. – Et ça c’est son vrai miroir ? – Oui madame (Je me regarde dans le miroir en me disant « whoua, dingue! ») – Et ça c’est sa vraie chaise ? – Oui madame. – Je peux m’assoir dedans ? – Non madame.

Je crois que je n’ai pas laissé bonne impression.

Enfin, il y avait le jardin. Grand, fleuri, avec des bancs, une statut et une cabane. Les cendres de Virginia sont là aussi, sous un arbre. Décidément, ils ont vraiment tout gardé.

Et je suis partie. Il fallait bien. J’ai marché partout, j’ai vu son lit, ses tableaux et pas de fantômes. J’ai appelé ma sœur, je lui ai dit « Devine d’où je t’appelle ?» et voilà. J’ai réfléchi, j’ai été émue, j’ai fait tout ce que l’on pouvait faire sur place. Mieux, cela aurait été de gratter la terre, comme un archéologue remonte le temps, mais pour quoi faire ? Les plus jolis trésors de cette maison sont tous disponibles à la Fnac, ce sont les livres qu’elle y a écrit.

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Qu’est-ce qui a changé pour moi ? En me rapprochant géographiquement de la légende, voilà que j’en ai fait un documentaire. Virginia Woolf est devenue une vraie personne avec une vraie maison et un vrai potager. Comme une amie à qui je serait allée rendre visite et dont la femme de ménage m’aurait dit « Désolée, elle n’est pas là aujourd’hui, mais vous voulez rentrer quand même ? ». Et l’admiration que j’avais pour elle s’est transformée en une profonde et authentique affection. Du monstre sacré intouchable j’ai fait une femme fragile avec un châle qui écrit. Et cette image me rempli bien plus d’émotion que n’importe quelle plaque ou n’importe qu’elle statut de marbre. Ce qui m’émeut aujourd’hui, ce n’est plus son génie. C’est son humanité.

Mardi 30 (Jour J + 3)

Ce matin je suis allée devant la maison d’Amy Winehouse. Il y avait des jeunes filles qui s’y prenaient en photo et un gars qui jouait de la guitare. Trois arbres était habillés de fleurs et de messages. Des stores en bois clair cachaient l’intérieur de ce qui aura été pendant deux jours le tombeau d’une idole née un siècle après Virginia Woolf. Mais cette fois personne n’y passait l’aspirateur. Le drame de cette maison était encore trop frais pour que la vie y continue déjà.

Dans deux ou trois décennies, si c’est pas ma fille, ce sera la votre, ou votre fils, mais nos enfants viendront ici comme je suis allée chez Virginia Woolf. Ils nous demanderont « Ça fait quoi d’avoir écouté Amy Winehouse de son vivant ?» et on ne saura pas quoi leur répondre.

Je ne crois pas aux fantômes, mais je crois aux lieux. Quand les idoles partent et la magie avec elles, c’est ce qu’il nous reste. Et c’est bien un lieu, ça bouge pas. Sauf quand on est très très saoul.

Et je crois à la transmission des messages, des ressentis et des vécus. Des milliers et des milliers de gens, aujourd’hui disparus, nous ont laissé des morceaux d’eux même. La difficulté étant de trouver ceux qui s’adressent vraiment à nous. Et quand ça arrive, c’est la révélation. On dit à ses amis « Tu devrais lire ce livre ! » ou « Tu devrais voir ce film ! » mais ils ne seront jamais autant touchés que nous le sommes. Et alors, cette œuvre, on croit qu’on apprend à la connaître mais en fait on apprend à la reconnaître. A moins que ce soit nous même que nous reconnaissions.

Ces « idoles », on peut les remercier de construire une part de nous même. Elles peuvent nous remercier de maintenir en vie une partie d’elles-mêmes. Mais alors et vous, c’est qui ? C’est qui que vous maintenez en vie ? C’est où votre lieu ? (Un conseil : ne choisissez pas Dracula, ça vous ferait aller en Roumanie et il paraît que c’est pas top)


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Les Commentaires

15
Avatar de Melvina
12 avril 2013 à 02h04
Melvina
Je fais partie des Madz qui ne connais pas Virginia Woolf, mais cet article est tellement bien écrit.
Il m'a amené dans le monde de cette femme dont je ne connaissais même pas le nom, m'a donné envie d'en savoir plus, de savoir ce qu'elle a accompli, l'univers de ses écrits, ce qui l'a poussé à mettre fin à ses jours.
Tout ça grace à la passion et au talent de l'auteur à l'exprimer.
Je ne sais pas ce qu'elle va publier, mais tenez nous au courant surtout!
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Voir les 15 commentaires

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