Le vote utile, c’est vraiment la petite musique qu’on entend sur tous les plateaux à chaque présidentielle. On n’est plus qu’à quelques semaines du premier tour, et ça ne manque pas : candidats, soutiens, journalistes et éditorialistes, tout le monde n’a plus que ce mot à la bouche.
Bon déjà, c’est quoi le vote utile ? C’est une expression pour parler d’un vote qu’on ne ferait pas vraiment parce qu’on soutient un candidat et son programme, mais plutôt en réfléchissant aux conséquences du bulletin qu’on mettra dans l’urne.
Ça peut être empêcher un candidat d’accéder au second tour, ou bien en favoriser un autre avec lequel on n’est pas vraiment en accord — ou en tout cas, pas sur tout — mais qui a un peu plus de chance de faire un bon score à l’arrivée, que le candidat dont on se sentait plus proche en terme de propositions.
En gros, si on schématise par opposition au vote de cœur, au vote de convictions, on trouve le vote utile.
Évidemment, parler d’un vote utile, ça ne se fait pas dans le vent, en ne se basant sur rien : il faut avoir connaissance des intentions de vote en amont du scrutin, et donc réussir à discerner qui est susceptible d’arriver au second tour, voire de remporter l’élection. Dans une campagne électorale où il ne se passe pas un jour sans qu’un média sorte un nouveau sondage, la question du vote utile surgit donc assez facilement.
Et puis surtout, le vote utile, c’est lié à une histoire, à une évolution du paysage politique français. S’il apparait dans les années 1960, ce n’est qu’au début des années 2000 que l’expression s’est vraiment installée.
21 avril 2002, il est 20 heures et c’est la tête de Jean-Marie Le Pen qui apparait dans la télé au milieu du salon. Je m’apprête à couper le gâteau que j’ai préparé pour le dessert et toute la famille est bouche bée, sous le choc.
Ce jour-là, Lionel Jospin, candidat du Parti socialiste, échoue à gagner le second tour à la surprise générale. Aussitôt, il faut trouver des raisons et des coupables. Rapidement, on parle du nombre de candidats à gauche, trop nombreux — ils étaient huit — qui aurait donc créé une dispersion des voix.
Cette élection de 2002, où le candidat du Front national avait réussi à être face à Jacques Chirac au second tour, ça avait traumatisé tout le monde. Et personne ne voulait revivre ça.
Depuis, en 2007, en 2012, en 2017 et aujourd’hui en 2022, il y a forcément ce retour du vote utile, cette injonction à miser sur le bon cheval, souvent brandi par la gauche.
Une injonction à penser pour le bien commun et non avec ses petites convictions à soi, à voir le tableau en grand et pas par le petit bout de la lorgnette… avec aussi une pointe de culpabilisation, sous entendu, si la gauche perd encore, si on se fade l’extrême droite au second tour et si on a Macron encore pendant cinq ans, ce sera de ta faute et celle de tous ceux qui ont donné leur voix à un candidat ou une candidate dont on sait déjà qu’il ou elle n’allait pas dépasser les 5%…
Vous le voyez, l’éternel dilemme ?
Cette année, c’est Jean-Luc Mélenchon qui incarne cette incitation à privilégier la stratégie électorale ; Jean-Luc Mélenchon qui depuis février connait une progression très nette dans les sondages, taquinant les 14-15% d’intentions de vote, au point qu’il commence sérieusement à nourrir l’espoir de parvenir au second tour.
En creusant l’écart avec ses concurrents de gauche, il devient de fait le candidat le plus à même de faire de l’ombre à Marine Le Pen ou Valérie Pécresse, qui elles sont en chute dans les sondages face à Macron.
Lui et la France Insoumise y vont donc à fond pour séduire l’électorat de gauche dans sa globalité, au grand dam des autres candidats — notamment d’Anne Hidalgo, puisque c’est son parti, le Parti socialiste, qui a bénéficié du vote utile en 2007 avec Ségolène Royal puis en 2012 avec François Hollande.
Anne Hidalgo qui ne décolle pas dans les sondages, coincée entre 2 et 3% ; elle appelle logiquement à un vote de conviction et dénigre ouvertement cette idée de vote utile, vu que mathématiquement, il n’est clairement pas pour elle :
« Je suis cette gauche républicaine, européenne, cette gauche de responsabilité. Si vous voulez être utile aussi à la reconstruction de la gauche, alors faites-vous plaisir : votez pour une femme de gauche à cette élection. »
Bon, ça ne semble pas beaucoup convaincre pour le moment.
Le vote utile, quand il est pour soi, on trouve ça formidable, et on le brandit à tort et à travers, on se présente comme le sauveur de la gauche. Mais quand il ne nous arrange pas, il est contesté, vilipendé avec la même ferveur.
Vous savez ce que disait Jean-Luc Mélenchon du vote utile quelques mois avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2012 ?
« Le vote utile est une camisole de force. Il culpabilise les électeurs : s’ils ne votent pas bien, c’est-à-dire pour les deux principaux partis, c’est Mme le Pen qui va passer. »
Ça c’était il y a 10 ans.
Aujourd’hui Mélenchon a changé de discours et préfère l’idée d’un vote « efficace » — c’est écrit par exemple sur un de ses tracts de campagne — à celle d’un vote utile. Bon, si c’est juste une question d’adjectif…
Mais écoutez plutôt :
Être pragmatique, tout en ne cachant pas son envie de rassembler autour de lui… ou plutôt autour de son programme, c’est désormais la ligne de conduite de Jean-Luc Mélenchon — une stratégie qui s’avère plutôt payante à deux semaines de la présidentielle.
Mais aujourd’hui, QUI répond à l’injonction au vote utile ?
Eh oui, c’est Fabien Roussel, le candidat du parti communiste !
Comme quoi, la vie est un éternel recommencement : même histoire, même personnages, juste un autre casting.
Un coup de pied dans les urnes est un podcast de Madmoizelle écrit et présenté par Maëlle Le Corre. Réalisation, musique et édition : Mathis Grosos. Rédaction en chef : Mymy Haegel. Direction de la rédaction : Mélanie Wanga. Direction générale : Marine Normand.
Les Commentaires
Je m'en souviens très bien donc c'est clair pour moi qu'ici "gagner" est dans le sens de "atteindre" mais ce n'est peut être pas si évident pour les lecteurs et lectrices plus jeunes ?