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"©Benjamin DECOIN : M6"
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L’émission « Opération Renaissance » sur M6 provoque la colère des militantes anti-grossophobie

Le premier épisode d’Opération Renaissance sera diffusé le 11 janvier sur M6. Cette émission, qui met en scène des personnes atteintes d’obésité, inquiète les associations de lutte contre la grossophobie.

Mise à jour du 12 janvier – L’émission, diffusée lundi 11 janvier, n’a pas eu l’audience attendue. En effet, les premiers épisodes ont remportés 1.82 et 1.91 million de téléspectateurs, dont 12,3% et 15,1% de la part de marché auprès des 25-49 ans.

Mise à jour du 11 janvier – Karine Le Marchand a répondu à notre question au sujet de l’indignation des associations militantes. Vous pourrez retrouver sa réponse à la fin de l’article.

Article publié le 7 janvier 2021

Alors que l’on parle de plus en plus du problème de la grossophobie, c’est-à-dire des discriminations vécues par les personnes grosses en France, la future émission de Karine Le Marchand ne plaît pas aux personnes concernées par l’obésité.

Diffusé à partir du 11 janvier, « Opération Renaissance » est un nouveau programme de la chaîne M6 qui propose de suivre dix personnes obèses, neuf femmes et un homme, dans leur parcours de chirurgie bariatrique.

Ces actes chirurgicaux sont décrits par la Haute Autorité de Santé comme « des opérations qui modifient l’anatomie du système digestif. C’est une aide mécanique et métabolique qui permettent de diminuer la quantité d’aliments consommée (principe de restriction) et/ou l’assimilation des aliments par l’organisme (principe de « malabsorption »). »

Ces dix personnes seront accompagnées par des experts (médecins, nutritionnistes, psychiatres…) et les téléspectateurs de l’émission pourront donc voir « la renaissance » des participantes après avoir subi ces chirurgies dites « de l’obésité », délestées de plusieurs dizaines de kilos.

Les associations de lutte contre la grossophobie, comme Gras Politique notamment, s’inquiètent de la diffusion d’une telle émission et du danger qu’elle pourrait représenter.

La maladie de l’obésité en France et les chirurgies bariatriques

Dans une tribune engagée de Gras Politique disponible sur le site de Mediapart, on apprend qu’entre 2016 et 2017, 450.000 personnes obèses sont passées sur le billard en France dans le cadre d’une chirurgie bariatrique.

« Depuis 2010, plus d’une femme âgée de 18 à 54 ans sur mille est opérée chaque année. Les taux de recours à la chirurgie, tous âges et sexes confondus, sont plus élevés en France que dans d’autres pays où la prévalence de l’obésité est pourtant supérieure. »

Il faut dire qu’en France, les personnes grosses sont systématiquement confrontées à l’avis de tout un panel de professionnels (et moins professionnels) qui leur rappelle constamment que leur poids est un problème qui doit disparaître.

Au fil du temps, la chirurgie bariatrique est ainsi devenu un marché juteux, comme le rappelle Gras Politique :

« De la gaine à la livraison de repas calibrés pour un nouvel estomac, du coaching opératoire au groupe de parole payant, en passant par le livre de conseils de “self love” vendu par la présentatrice de l’émission, c’est toute une économie parallèle qui se développe autour de ces techniques chirurgicales, un nouvel eldorado pour les entrepreneurs de la culture des régimes. »

Sauf que ces opérations — sleeve gastrectomie ou pose d’un by-pass — ne sont pas anodines. Et ces chirurgies ne s’avèrent efficaces dans le temps que si le suivi en pré et post-opératoire est complet, et que les patients sont pris en charge sur le long-terme, comme l’indique la Haute Autorité de Santé sur son site.

Pour vous donner une idée du processus, voici un graphique des étapes nécessaires et obligatoires :

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Parcours du patient candidat à la chirurgie bariatrique – HAS

Chirurgie bariatrique : qu’en pensent les médecins spécialisés ?

Nous avons demandé au docteur Diana Kadouch, PHc au service endocrinologie, diabétologie et nutrition de l’hôpital Bichat, à Paris, s’il y avait un recours excessif à ce type de chirurgie en France.

« Le nombre d’opérations a explosé, et nous constatons beaucoup d’échecs, par manque de suivi nutritionnel et de préparation.

En cas d’obésité, le plus important, c’est une préparation nutritionnelle [avant l’opération] qui permet à nous médecins de faire perdre 5 à 10% de poids avec une stabilisation de ce dernier, ce qui n’est pas un échec mais un succès pour un médecin nutritionniste.

L’obésité reste une pathologie chronique pour laquelle il n’existe pas de traitement qui guérit la maladie. »

La chirurgie bariatrique n’est pas une solution miracle

Pour la médecin nutritionniste et médecin du sport, la chirurgie bariatrique – présentée comme une manière de perdre environ 30% de son poids initial – n’est donc pas une solution miracle.

« Très souvent, les patients disent : je vais faire cette chirurgie, puis je ferai les efforts ensuite, je vous jure que ça va me motiver. Ce n’est pas comme ça que ça marche.

La maladie reste là après même si les patients peuvent avoir l’impression de s’en être débarrassés suite à l’opération. C’est une bataille au long court, au même titre qu’on se bat contre l’asthme ou le diabète, on arrive à l’améliorer mais pas à l’éradiquer.

Si on passe le restant de sa vie à comprendre son corps, ce qu’il faut manger, à pratiquer des activités physiques quotidiennement pour limiter le risque de récidives de la maladie alors oui, la chirurgie pourra avoir de beaux résultats, mais seulement dans ces conditions-là. »

Pour en finir avec les préjugés autour de l’obésité

Diana Kadouch, comme d’autres médecins nutritionnistes, partage certaines inquiétudes des militantes contre la grossophobie, notamment l’émergence d’un business autour de la chirurgie bariatrique. La spécialiste de l’obésité appelle également à en finir avec les préjugés autour de l’obésité.

« Il faut arrêter avec la culpabilisation des patients d’avoir développé cette maladie : c’est comme si on reprochait à un asthmatique d’avoir des difficultés à respirer ! »

Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on a un poids élevé qu’on est forcément en très mauvaise santé.

Il y a des patients qui ont un poids fort mais qui font du sport et qui font attention à leur vie quotidienne, et qui sont finalement en « bon état métabolique ». Pour ces patients-là, par exemple, la chirurgie n’est pas indiquée.

Elle l’est seulement lorsque l’IMC (indice de masse corporelle, ndlr) du patient est supérieur à 35, mais avec des complications. »

Opération Renaissance : qu’en pensent les associations ?

Pour les associations anti-grossophobie, l’idée n’est pas non plus d’être totalement opposées aux chirurgies bariatriques ou de ne pas accepter le fait que les personnes grosses veuillent perdre du poids.

Ce qu’elles redoutent avec ce genre d’émission, c’est qu’elle fasse croire que l’amaigrissement n’est pas si complexe, et que quelques coups de bistouris peuvent permettre d’annuler une souffrance et un mal-être bien présents chez les personnes obèses.

Elles craignent également que ce programme ne contribue encore plus à la stigmatisation des personnes grosses, qui subissent déjà la grossophobie dans la vie de tous les jours.

À quelques jours de la diffusion du premier épisode, nous avons interrogé Daria Marx, cofondatrice de Gras Politique, qui avait déjà milité il y a trois ans pour que l’émission soit annulée.

« Les seules réponses obtenues à l’époque étaient une fin de non-recevoir du CSA, qui a d’ailleurs délivré une autorisation spéciale à l’émission, et une invitation molle du groupe hospitalier Saint-Joseph (lieu où se déroule l’émission, ndlr) à visiter leur aile de chirurgie bariatrique.

Karine Le Marchand a prétendu dans plusieurs médias nous avoir invitées à discuter de l’émission, cela n’a jamais été fait. »

La lutte contre l’obésité, à quel prix ?

En 2018, le magazine Buzzfeed avait publié toute une enquête sur les coulisses du tournage de l’émission, et avait partagé des informations sur ce qui devait être montré à l’écran, comme le fait que les « candidats » devaient accomplir une randonnée en portant un sac à dos du poids de leurs kilos perdus.

« Je n’ai pas vu les épisodes, mais nous avons entendu dire que les mises en scène les plus trash que nous avions dénoncées ont été annulées : tant mieux. On reste quand même sur du contenu d’une qualité médiocre : Karine Le Marchand offre par exemple aux nouvelles opérées une ceinture sans trous, qu’elles vont poinçonner ensemble à chaque passage sur la balance. C’est infantilisant.

On a l’impression que Karine Le Marchand pense pouvoir apprendre aux gens qu’ils ont un corps, c’est d’ailleurs tout le postulat du nom de l’émission « Opération Renaissance », comme si on nous enlevait le droit de naître sans chirurgie, le droit de vivre. »

Lorsqu’on demande à Daria Marx si ce genre d’émission peut aider les gens à maigrir, la militante est très claire :

« Ce genre d’émission n’aide que les portefeuilles de la chaîne, de la productrice et de ses intervenant·es. Aider les gens à maigrir, ce n’est pas décider pour eux du récit qui sera fait de leurs vies, de leurs corps, de leurs combats, ce n’est pas s’approprier la douleur des gens pour en faire un business.

La seule chose que va produire cette émission, c’est l’augmentation de la pression à la chirurgie pour toutes les personnes grosses, qui vont se faire renvoyer la possibilité de se faire couper les 2/3 de l’estomac comme quelque chose de possible et accessible à toutes et tous. Ce n’est pas le cas. »

« Opération Renaissance » : les candidats sont-ils bien pris en charge ?

Comme nous l’avait précisé Diana Kadouch, les patients ayant eu ce type de chirurgies doivent recevoir un suivi pré et post-opératoire très important. Daria Marx estime qu’il ne sera pas suffisant dans l’émission, comme elle nous l’explique :

« Le suivi proposé aux téléspectatrices et aux téléspectateurs est un mirage : il n’existe pas. On va faire croire aux gens que le suivi pré et post-opératoire est idylliquement organisé, possible partout, et rempli de professionnel·les de santé bienveillant·es. C’est faux.

Les statistiques du dernier rapport de la CPAM sur la chirurgie bariatrique montre que plus des 30% des opéré·es n’ont pas le suivi pré-opératoire suffisant, et qu’une personne opérée sur cinq n’est plus suivie après 12 mois. On sait également que le milieu de la santé est particulièrement grossophobe, et je doute que cela soit reflété dans l’émission. »

Quant aux candidates de l’émission, nous demandons à Daria si elle compte prendre contact avec elles pour recevoir leurs impressions :

« Non, je ne pense pas le faire. Gras Politique est évidemment là pour les soutenir si besoin, mais nous ne voulons pas leur faire porter la moindre responsabilité ou les stigmatiser pour leur participation à l’émission.

Nous savons à quel point les parcours personnels des personnes grosses sont difficiles, et les pressions faites pour maigrir si fortes, qu’il ne nous viendrait pas à l’idée de chercher à les perturber.

On sait qu’elles vont être particulièrement observées pendant les mois qui suivront leur passage dans l’émission, et on leur souhaite la plus belle vie possible. »

Contactée pour répondre aux critiques soulevées par les associations, Karine Le Marchand nous répond : « Je leur aurais montré [l’émission] avec plaisir si elles me l’avaient demandé. Mais bon… apparemment ce n’est pas le dialogue qu’elles cherchent. »


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