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"Crédit : Markus Spiske / Unsplash"
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La loi Avia (contre la haine en ligne) a du plomb dans l’aile

Les discours de haine sur Internet te révoltent et tu trouves qu’ils ne sont pas assez sanctionnés ? Le Conseil constitutionnel vient de retoquer le projet de loi Avia qui avait été voté en mai à l’Assemblée nationale, en critiquant son atteinte à la liberté d’expression.

Mise à jour du 19 juin 2020

Les méthodes de lutte contre les discours de haine en ligne proposées par la loi Avia n’ont pas fait mouche auprès du Conseil constitutionnel, garant des libertés fondamentales des citoyens et saisi en mai dernier par des députés.

Étudiée par les Sages, cette loi qui continue à créer un riche débat public ressort du Conseil constitutionnel complètement détricotée. Les volets répression et sanction, comme celui de la prévention ont été critiqués par l’instance. Le Monde précise :

Le juge constitutionnel a censuré la disposition-phare du texte, l’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer, dans les vingt-quatre heures, sous peine de sanctions pénales, les contenus « haineux » qui leur sont signalés. Pour le Conseil constitutionnel, ce mécanisme n’est en effet pas compatible avec la liberté d’expression. Il donne ainsi raison aux opposants du texte, qui dénonçaient les risques de surcensure des messages postés par les utilisateurs de plates-formes en ligne, comme Facebook, Twitter, Snapchat ou YouTube (propriété de Google).

Les détracteurs de la loi Avia – et ils sont nombreux à défendre un web libre tout en étant correctement régulé – se réjouissent de voir leurs prises de position confirmées.

Selon Le Monde, seules restent des mesures mineures :

Il ne reste de la loi que des dispositions relativement « mineures », ajoute l’avocat : la création d’un parquet spécialisé dans la haine en ligne, chargé des enquêtes judiciaires sur des messages postés sur Internet ; la simplification, pour l’internaute, de la procédure de signalement d’un contenu ; ou la création d’un « observatoire de la haine en ligne », auprès du CSA.

Pour lutter contre les discours de haine en ligne, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (la CNCDH), un rapporteur national indépendant, a émis plusieurs recommandations dans son rapport 2019 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. L’infographie rappelle qu’en 2018, 228 545 signalements ont été déposés sur la plateforme gouvernementale Pharos et qu’ils ont été traités par 6 (six) enquêteurs. Entre 2018 et 2019, le nombre de signalement à augmenté de 140% !

Parmi les recommandations-phares : un plan d’action national sur l’éducation et la citoyenneté numérique, la création d’un instance de régulation spécifique au web, le maintien du juge judiciaire dans le processus de retrait de contenus, etc.

Ajoutera-t-on à cela la reco de fermer Twitter à partir de minuit, comme Blanche Gardin le suggérait dans son spectacle Bonne nuit Blanche ?

https://twitter.com/filbiniou/status/1273614706280927233

Initialement publié le 14 mai 2020

Après des mois d’allers-retours parlementaires et de consultations, la loi Avia a été adoptée par l’Assemblée nationale.

Que contient la loi Avia ?

Débattue depuis le printemps 2019, la loi portée par la députée Laetitia Avia s’attaque aux contenus haineux sur Internet.

Elle a notamment pour objectif de faire supprimer certains contenus haineux sous 24h sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, etc.), sur certaines plateformes collaboratives (LeBonCoin, TripAdvisor, Wikipédia, etc.) et dans certains moteurs de recherche (Google, Bing, Qwant, etc.).

Pour y parvenir, les plateformes doivent mettre en place un outil de signalement. Si le signalement n’est pas suivi après 24h, la plateforme encourt une sanction financière pouvant aller jusqu’à 1,25 million d’euros ainsi qu’une sanction administrative du CSA.

Tout signalement abusif peut être sanctionné par 15 000€ d’amende.

La loi prévoit également qu’un Observatoire de la Haine en Ligne réunissant différents acteurs du Web soit créé pour formuler des propositions concernant la sensibilisation, la prévention, la répression et le suivi des victimes.

De quelles « haines » parle-t-on dans la loi Avia ?

La loi Avia s’inspire directement du droit français pour désigner les discours de haine concernés par les sanctions.

Sont visés :

  • Les injures envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap
  • L’apologie des crimes contre l’humanité et la provocation à la commission d’actes de terrorisme
  • L’incitation à la haine raciale
  • L’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes et au harcèlement sexuel
  • Les atteintes à la dignité humaine
  • La traite des êtres humains
  • Le proxénétisme
  • Le revenge porn

Pourquoi la loi Avia fait polémique ?

Cette loi est fortement controversée, et ceci pour plusieurs raisons.

Si, dans le texte, elle vise à mettre fin à l’impunité des internautes qui diffusent des paroles haineuses, elle est pourtant rejetée par de nombreux acteurs du Web et personnalités politiques.

La Quadrature du Net, le Conseil national du Numérique, la Commission nationale des Droits de l’Homme, la Commission européenne et des députés de tous bords se sont ainsi farouchement opposés à sa mise en vote.

Le Monde détaille les raisons de ce rejet en bloc :

Tous accusent ce texte de faire reculer la liberté d’expression en confiant à des acteurs privés d’importants pouvoirs en la matière.

Les opposants au texte craignent notamment que, par peur des amendes et en l’absence de sanctions significatives pour « surcensure », les réseaux sociaux soient incités à supprimer des contenus pourtant légaux.

La relative absence du juge garant des libertés individuelles dans le dispositif a aussi fait polémique.

Les dommages collatéraux de la loi sont multiples et particuliers.

Dans un communiqué, l’Inter-LGBT qui défend les droits des personnes LGBT en France pointe plusieurs risques, comme l’invisibilisation des artistes qui sont déjà touchés par la modération puritaine des réseaux sociaux ou la précarisation des travailleurs et travailleuses du sexe… entre autres :

Enfin, la loi prévoit dans le cas d’un signalement émanant d’une personne mineure, que l’association saisie doive informer « selon des modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant, ses représentants légaux de ladite notification ».

Or, s’il est question de contenus LGBTphobes, cette mesure va obliger les associations à révéler l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre des enfants mineurs à leurs parents.

Une telle mesure va donc contraindre les jeunes qui grandissent dans un contexte hostile à renoncer à tout signalement, sauf à risquer de subir des violences dans leur famille.

Pourquoi la loi Avia a été votée malgré tout ?

Avec la loi Avia, la France rejoint l’Allemagne dans sa volonté de faire reposer sur les plateformes la responsabilité des contenus hébergés.

Depuis la nuit des temps, Facebook, Twitter ou YouTube nient leur responsabilité dans la diffusion des contenus haineux, mensongers ou dangereux en s’étiquetant comme « simples hébergeurs ».

Et pour cause : si les équipes et les algorithmes de modération ont été renforcés à mesure que les États faisaient monter la pression, la limite entre discours haineux et liberté d’opinion semble encore parfois floue et repose sur de nombreux enjeux législatifs et économiques.

La question morale à laquelle cette loi tente de répondre est épineuse : comment protéger des individus ou des groupes des stratégies de harcèlement en ligne – dont de plus en plus de médias se font l’écho – sans attaquer le principe même de liberté d’expression ?

Comment éviter que des femmes soient menacées de mort et intimidées parce qu’elles ont osé parler de leur rapport à leur corps, parce qu’elles ont donné leur avis sur une personnalité, parce qu’elles ont osé s’indigner des violences sexistes ? Comment éviter que des ados soient poussés au suicide face à un déferlement de haine gratuit ?

La question économique et logistique est elle aussi complexe : comment modérer des millions de messages ou d’images et des milliers d’heures de vidéos dans le monde entier ?

Alors que les robots modérateurs de certains acteurs du web sont incapables de faire la différence entre un tweet qui interpelle plusieurs personnalités et une campagne de cyberharcèlement, les « travailleurs du clic » eux, sont surmenés et sous-payés, au regard des trauma psychologiques que leurs tâches provoquent.

Les conséquences potentielles de la loi Avia

Qu’elle soit opérée par un État ou par une entreprise, la répression et la censure des contenus n’est pas une démarche anodine.

D’un point de vue démocratique, confier la responsabilité des discours à des entreprises privées est très largement questionnable. Sans aucun regard de nos représentants politiques, sans garantie dans la diversité des points de vue qui seront écoutés, c’est toute notre liberté démocratique qui est remise en cause.

Certains commentateurs pointent que la censure des discours est une des caractéristiques des pires États totalitaires.

D’un point de vue technique, la contrainte législative et économique peut nous faire redouter une mise en application très irrégulière sur les plateformes.

Comment un robot ou un humain surmené va-t-il appréhender certains discours considérés comme du second degré ? Comment les tweets #MenAreTrash, les messages misandres que certaines publient « pour rigoler » vont-ils survivre dans un environnement où le doute ne peut pas exister sous peine de sanction financière ?

D’un point de vue philosophique, comment qualifier une parole haineuse ?

Les discours avec lesquels je ne suis pas d’accord ne sont pas des discours haineux pour autant, or la polarisation des opinions et les communautés qui se développent et se déchirent sur les réseaux sociaux tend parfois à faire oublier cette nuance, ce qui risque de provoquer de nombreux signalements bordeline.

D’un point de vue psychologique, on peut aussi s’attendre à ce que la censure entraîne un phénomène de réactance qui amplifierait les discours qui cherchent à être censurés, alimentant les théories complotistes les plus vives.

La censure pure et dure sans dialogue devrait aussi nous interroger sur les moyens que nous souhaitons mettre en œuvre pour nous faire progresser en tant que civilisation.

La loi Avia viendrait ici poser un sparadrap sur une plaie béante, mais comme souvent, la question est : comment prévenir au lieu de guérir ? Comment agir en amont de la publication des discours de haine ?

Et maintenant que la loi Avia est votée ?

Comme beaucoup, je doute que sans sensibilisation et réelle éducation aux médias, une personne qui voit son tweet ou sa vidéo supprimée sous prétexte qu’elle véhiculerait un message de haine remette en question ses agissements sur Internet.

Et maintenant que la loi est votée… C’est le bordel.

Les plateformes ont quelques semaines pour s’organiser et mettre en place un système de signalement viable. Alors qu’elles ont été auditionnées pour participer au projet de loi, les associations de défense des droits ne semblent pas avoir été écoutées.

Bien que le doute subsiste, il ne reste plus qu’à espérer que de véritables leviers d’action et de sensibilisation leur soient octroyés pour qu’elles puissent contribuer à la sensibilisation du grand public sur les discours de haine en ligne.


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