Commençons par un rapide sondage parmi notre auditoire : qu’est-ce qui est le plus déprimant ? Que des concours de beauté mettent en compétition des jeunes femmes selon leur apparence physique, ou que l’organisme qui offre le plus de bourses d’études aux femmes dans le monde le fasse sur la base de leur apparence physique et de l’état de leur utérus ?
Je vous laisse réfléchir à cette question pendant que vous poursuivez la lecture de cet article.
Dimanche soir, dans son émission Last Week Tonight
, le comédien et critique politique satyrique John Oliver est revenu sur le concours de beauté Miss America, et son principal argument publicitaire, que ses présentateurs claironnent à tout bout de champ :
« Miss America est le premier fonds de mise à disposition de bourses d’études pour les femmes dans le monde ! »
L’organisation avance la somme de 45 millions de dollars distribués en bourses d’études, un chiffre qui a intrigué le présentateur de Last Week Tonight.
Miss America, un concours académique ?
« Dimanche dernier, l’un des événements les plus bizarres diffusés à la télévision a eu lieu, une fois encore.
« Préparez-vous pour le lip gloss, les spray bronzants, le sang et la luxure »
« Mesdames et messieurs, elles sont magnifiques ! »
Magnifiiiques ! Et juste un rappel pour vous chers téléspectateurs : nous sommes en 2014, et je suis un homme, complètement habillé, debout devant une file de femmes en maillot de bain, qui attendent d’être jugées. Magnifiiiique !
Oui, dimanche dernier, le concours de Miss America a eu lieu. Les maillots de bain, les numéros de danse, le numéro de ventriloquie inexplicable… il était vraiment difficile de ne pas se demander : pourquoi est-ce que ce bordel a encore lieu ?
Les concours de beauté n’ont plus eu de sens depuis que l’époque où l’on parlait ainsi est révolue :
« Femmes, femmes, femmes, chacune d’entre elles, charmante et talentueuse, une de chaque État de l’Union, et même d’Alaska ! »
Et même d’Alaska, oui ! Et vous savez pourquoi cette précision ? Parce que l’Alaska venait juste de devenir un État, à cette époque ! Il fut un temps où il était pertinent d’avoir une compétition, puisqu’il existait des critères d’évaluation, comme ceux-ci :
« La première année, on a décomposé la notation. Cinq points pour la construction faciale, cinq points pour les membres, trois points pour le torse, deux points pour la jam… »
Trois points pour le torse. Je parie que même à l’époque, c’était un nom de code. « Hey j’ai rencontré cette damzelle, tu sais, elle a un joli… torse, tu vois ! Un torse en 75E, tu devrais la rencontrer ! Comment est sa construction faciale ? Ridicule ! »
Mais la seule raison pour laquelle les concours de beauté ont encore un sens aujourd’hui, c’est lorsque l’un de vos contacts vous transfère un lien vers quelque chose comme ça :
Il faut lui rendre justice, car la question qu’on lui a posée était « Pouvez-vous imiter un dictionnaire dans une machine à laver ? » et je crois qu’on est tous d’accord pour reconnaître qu’elle a assuré sur ce coup-là.
C’est facile de se moquer des candidates aux concours de beauté. Mais qu’est-ce qui est le plus fou : qu’elles donnent parfois des réponses stupides, ou qu’on leur pose presque toujours des questions extrêmement difficiles ?
« La surveillance des télécommunications par le gouvernement a fait la Une des journaux récemment : est-ce une violation de la vie privée, ou une impérieuse nécessité de sécurité nationale ? Et pourquoi ? »
« Devrait-on poursuivre pour haute trahison les personnes qui divulguent des documents confidentiels au grand public ? »
« Récemment, le gouvernement américain a remis en liberté 5 détenus de Guantanamo, en échange d’un soldat américain retenu prisonnier en Afghanistan. La politique des USA est de ne laisser aucun soldat en arrière ; pensez-vous qu’il est juste d’échanger des vies, pour respecter cette politique ? »
Mais QUOI ? Je suis totalement d’accord avec le gars qu’on voit en second plan [en plein facepalm]. Je doute fortement que la complexité des problèmes posés par les échanges d’otages soit résolue par une étudiante en relations publiques de 21 ans, et la star de Sharknado.
Sans rire, dimanche dernier, voici une question qui a été posée :
« La brutalité de la menace d’ISIS vis-à-vis de nos pays a été démontrée par l’horrible vidéo montrant la décapitation de trois otages américains. Quelle devrait-être la réponse de nos pays ? »
Oui absolument, ils ont demandé à l’une des candidates de résoudre la crise de l’État Islamique. Et elle n’avait que 20 secondes pour répondre. Comment s’en est-elle sortie ?
« C’est un véritable scandale, et on ne peut pas laisser ces actes sans réponse, mais je ne pense pas que l’Amérique doit être seule à réagir, je pense qu’il est important que le monde, que les Nations Unies se réunissent pour décider ensemble des actions à mener, afin de peser davantage et d’apporter une réponse commune et efficace pour mettre fin à ces atrocités. »
Oh putain ! C’est une bien meilleure réponse que celle que j’aurais été capable de donner dans le même temps imparti. C’est presque une meilleure réponse que celle qu’Obama a donnée la semaine dernière !
En effet, la plupart des candidates en lice dimanche dernier étaient tout simplement impressionnantes, et les gens organisant Miss America avanceraient que cela est dû au fait qu’ils gèrent un organisme plus sophistiqué que leurs concurrents. Ce qui n’est honnêtement pas si difficile.
Miss USA par exemple, est la propriété de Donald Trump — un clown, fait de prépuce momifié et de barbe à papa. Il est plutôt direct au sujet de ses critères :
« Clairement, c’est une question de beauté extérieure. On pourrait être politiquement correct et dire que « la vraie beauté est intérieure », mais dans ce concours, évidemment, la beauté extérieure compte davantage.
Comme vous, par exemple, vous n’auriez pas eu ce job si vous n’étiez pas belle ! [à une journaliste, NDLR].»
C’est un peu ironique que le concours de beauté Miss USA soit la propriété d’une des âmes les plus ignobles de la planète.
Mais le concours de Miss America est censé être différent de tout ça. Ce n’est pas qu’une question d’apparence.
« C’est un concours pour une bourse d’études ! Miss America accorde des bourses ! C’est le plus grand fonds de mise à dispositions de bourses d’études pour les femmes ! Il est facile de penser que ce n’est qu’un concours de beauté, mais c’est un concours pour décrocher des bourses d’études ! »
Mmh, c’est cela, oui. Vous avez besoin de les voir en maillot de bain, parce que la partie du cerveau qui contient l’intelligence est localisée quelque part au niveau des hanches.
Miss America promeut sa dimension de fond de financement scolaire à tel point que lorsque vous appelez leur siège, voici ce que vous entendez :
« Merci d’avoir appelé l’organisme Miss America, le premier fonds de mise à disposition de bourses d’études pour les femmes dans le monde. »
D’accord, ceci est très suspect comme message d’accueil. C’est un peu comme si Walter White disait « Bonjour, et bienvenue dans ce lavomatic tout à fait ordinaire, qui n’est absolument pas une devanture visant à blanchir l’argent engrangé par mon labo de meth. Bienvenue ! ».
S’il est avéré que Miss America est vraiment le premier fond de bourses d’études au monde pour les femmes, c’est un peu bizarre, parce que Miss America ne propose pas des bourses à toutes les femmes, mais seulement à celles qui participent à ses concours.
Donc, pour être éligible à une bourse d’études, vous ne devrez pas seulement attester du fait que vous n’avez jamais été mariée, mais également certifier que vous n’êtes pas enceinte, et que vous ne l’avez jamais été. Ce qui a du sens, n’est-ce pas, puisque Miss America est censée être un exemple pour les enfants : comment peut-elle remplir son rôle si elle est flanquée d’un gamin qui la contemple, les yeux levés, en permanence ?
Et ce ne sont que les règles officielles ! Si vous voulez avoir une chance de gagner, vous devrez également être au point sur ce genre de techniques :
« La colle à fesses ! Un spray indispensable pour que les culottes de maillot de bain restent bien posées sur les fesses ! »
Est-ce qu’on peut s’attarder là-dessus un instant ? « Comment s’est passé ton entretien pour la bourse ? Oh, eh bien mon cul est encore un peu collant, je crois que ça va passer ! »
Miss America ne se contente pas de proclamer qu’ils sont les premiers en termes de bourses d’études, ils avancent des chiffres pour le prouver :
« Nous sommes le plus important fonds de financement de bourses d’études pour les jeunes femmes, avec 45 millions de dollars disponibles chaque année ! »
45 millions ? C’est une somme d’argent assez incroyable ! Je n’y ai pas cru. C’est le genre de chiffres qui peut vous rester en tête, et tourner en rond pendant des jours, à vous rendre fou, obsédé par l’idée d’en savoir plus.
« Pour en savoir plus, rendez-vous sur MissAmericaFoundation.org »
Et voilà où commence toute cette folie. Nous sommes allés sur leur site, et pour être honnête, ce n’était pas bon signe que leur page « à propos de nous » affiche ce message : « nous finanssons vos études ! ».
Je crois que vous feriez mieux de coller une cédille avec un spray à fesses sur ce double s !
C’est en visitant leur site Internet que nous avons découvert que Miss America était une association à but non lucratif, ce qui veut dire qu’ils doivent publier leurs comptes.
Donc ce que nous cherchions, c’était ce chiffre invraisemblable. 45 millions de dollars. Ce que nous avons trouvé, c’est qu’en 2012, ils ont dépensé moins de 500 000 dollars en bourses d’études. Ce qui fait tout de même une différence de 44,5 millions avec le chiffre qu’ils annoncent.
À ce stade, nous avions deux choix : se dire, ok, les chiffres ne correspondent pas, mais il s’agit de Miss America, et tout le monde s’en fout, non ? Ou bien, nous pouvions aller chercher les déclarations de toutes les concours locaux de Miss America dans le pays, parce que ce problème commençait à nous rendre fous.
Cette semaine au bureau a été étrange. On a obtenu les documents des concours de 33 États, et même si nous n’avons pas pu avoir tout le monde, et même en faisant des hypothèses extrêmement favorables sur les documents que nous n’avons pas pu avoir, nous étions toujours très loin du compte.
Nous les avions pris au pied de la lettre, quand ils disaient « 45 millions de dollars mis à disposition chaque année ».
COMMENT EST-CE POSSIBLE ?
On était beaucoup trop impliqués. Nous avons donc appelé l’organisme, où nous avons entendu le message automatique pour la première fois :
« Merci d’avoir appelé l’organisme Miss America, le premier fond de mise à disposition de bourses d’études pour les femmes dans le monde »
Le mot clé ici est « mise à disposition ». Certaines écoles offrent des bourses directement aux candidates, et le truc, c’est que Miss America compte toutes les bourses mises à disposition, pas seulement celles qui sont effectivement attribuées.
Par exemple, le site de Miss Pennsylvanie liste les quatre écoles pour lesquelles une bourse est disponible. Et les valeurs de chacune de ces bourses sont additionnées, malgré le fait que la gagnante de Miss Pennsylvanie n’ira vraisemblablement pas dans quatre écoles en même temps, étant donné qu’elle n’est pas James Franco.
De plus, l’organisation de Miss Alabama par exemple annonçait offrir 2,5 millions en bourses pour l’université de Troy, ce qui m’a complètement décoiffé, parce que si c’est vrai, ce doit être la plus belle école de tous les États-Unis. Nous avons contacté l’université, et ils nous dont expliqué avoir obtenu ce chiffre en multipliant le montant d’une bourse par 48, soit le nombre de candidates au concours, donc le nombre maximal de candidates potentiellement éligibles à cette bourse, en théorie. Alors qu’en réalité, le nombre de candidates qui ont accepté cette bourse d’études cette année est — et vous n’allez pas le croire — zéro.
Ce qui signifie que la différence entre l’argent qu’ils ont « mis à disposition » et l’argent qu’ils ont effectivement attribué en bourses est égale à : « tout l’argent qu’ils ont mis à disposition ».
Et nous avons dû nous arrêter là, parce que c’était il y a une demi-heure et qu’il fallait qu’on se mette en place pour présenter l’émission. Mais on dirait bien que deux choses sont vraies dans cette histoire.
La première, c’est que Miss America distribue bien moins que 45 millions de dollars en bourses d’études.
Et la deuxième, c’est que peu importe le chiffre réel, une chose semble pourtant être tristement vraie : « Miss America est le plus gros fonds de mise à disposition de bourses d’études aux femmes dans le monde ».
Oui, car même leur chiffre le plus bas reste plus élevé que n’importe quel fonds de bourses d’études réservé aux femmes que nous avons pu trouver. C’est davantage que la Société des Femmes Ingénieures, davantage que la Fondation Patsy Mink, et davantage que la Fondation Jeanette Ranking.
Ces trois fondations acceptent les dons, et vous pouvez leur faire un don si vous souhaitez changer le fait qu’à ce jour, le premier fond de mise à disposition de bourses d’études pour les femmes en Amérique exige que vous soyez célibataire, avec un utérus en état neuf jamais servi, et récompense votre connaissance des colles à fesses en spray.
Et cette réalité est un peu déconcertante. Laissez-moi expliquer pourquoi c’est déconcertant au comité de Miss America, à travers le seul moyen que ses membres comprennent : des conversations de 20 secondes avec des femmes habillées en robe de soirée.
Soyez les bienvenu•e•s au concours de Miss Last Week Tonight !
Je suis fier de vous annoncer que nous sommes le premier fonds de mise à disposition de bourses pour les femmes, puisque ce soir, 400 millions de bourses d’un dollar seront mises à disposition de la gagnante, qui pourra choisir l’une de ces bourses.
Veuillez accueillir notre première candidate, Miss Première Candidate !
Première question : qu’est-ce que le maintien de concours de beauté comme celui de Miss America dit de la façon dont les femmes sont perçues dans la société américaine ? Vous avez 20 secondes pour répondre.
— Depuis la Convention de Seneca Falls en 1848, qui a impulsé la première vague de féminisme, la perception des femmes aux États-Unis a toujours été complexe, et fluide. Alors qu’il est tout à fait possible que Miss America puisse devenir une compétition pour l’obtention de bourses d’études sur des critères purement académiques, la notion qu’aujourd’hui, les concours de beauté puissent évoluer vers autre chose que la simple évaluation de l’apparence est démentie par le maintien d’un défilé en maillot de bain, et le fait que je sois contrainte de répondre à cette question en moins de 20 secondes.
Veuillez accueillir notre dernière concurrente : Miss Kathy Griffin ! Miss Kathy, voici votre question : lors du processus d’attribution d’une bourse d’étude, y a-t-il une quelconque pertinence à évaluer l’apparence physique d’une femme ?
— Oh je ne vois pas du tout le problème. — Comment ça ? Attendez — Non, je ne vois pas le problème, tant que les hommes sont assujettis au même processus humiliant. Laissez-moi vous montrer. Giuseppe, viens par ici ! — Non non non ! Ah merde ! Qu’allez-vous faire ? — Je vais juger vos capacités d’animateur d’émission, en comparaison avec lui. Allez John, défile sur le podium ! — Présenter une émission requiert bien plus de qualités que l’apparence physique, Kathy ! Ah non, ne faites pas ça ! Ce n’est pas qu’une question de physique ! — Ce n’est que 20% de ta note ! Allez, je donne cette manche à Giuseppe, parce qu’il l’emporte au niveau de la masse musculaire, des jambes, et bien sûr, de la construction faciale. — D’accord, d’accord, j’ai compris. — Non, laisse-moi expliquer pourquoi je te mets une note aussi basse. Je regarde Giuseppe, et j’ai envie de lui faire l’amour. Quand je te regarde, j’ai envie de faire l’amour à Giuseppe. Allez, Giuseppe l’emporte !
Les concours de beauté sont horribles ! Merci à Kathy Griffin, c’est fini ! »
L’organisme Miss America a répondu à la chronique de John Oliver, par un communiqué repris par Slate US. Ils persistent et signent :
« L’organisme Miss America est dévoué à l’amélioration des opportunités offertes aux candidates, et sa mission est d’offrir toujours plus d’opportunités aux jeunes femmes. »
Aux jeunes femmes correspondant aux canons de beauté, et dont l’utérus est à l’état neuf-jamais-servi, cela s’entend.
Je ne sais pas si l’on doit s’en réjouir ou s’en désoler… Et toi, qu’en penses-tu ? Pour en revenir à la question posée en début d’article, quelle est ta réponse ?
À lire aussi : Miss America visée par des propos racistes
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Les Commentaires
Non en fait ils mettent pas vraiment d'argent eux. Ce sont les universités qui proposent des bourses aux participantes (souvent pas acceptées d'ailleurs comme le montre John Oliver)