Publié initialement le 19 juin 2014
Les fesses, aussi nommées région glutéale, distinguent l’homme du vulgaire quadrupède.
Chez les primates, leur rebondi permet le confort de la station assise, chez l’Homme elles sont d’autant plus imposantes que la station debout développe les muscles fessier tout en en marquant joliment le pli. Libérant ainsi ses mains permettant la création d’outils, l’Homme doit toute son humanité à ses fesses. Comme le disait Pierre Desproges lui-même :
« Si nous asseyons côte à côte un employé de banque que nous appellerons A et un épagneul breton que nous appellerons Catherine – en hommage à Catherine de Médicis qui était pas mal velue elle aussi – et si nous disons : « Haut les mains ! », seul l’épagneul breton se casse la gueule. »
Les fesses sont-elle pour autant le propre de l’Homme ? Non, puisque je viens de dire que les singes en avaient aussi. Mais c’est leur usage qui distingue la bête de l’être évolué que nous sommes.
C’est bien la fessée, au sein d’un rapport entre adultes consentants, qui redonne aux fesses leurs lettres de noblesse…
Correctement exécutée, la fessée peut même produire des paillettes.
Tout dans le bouli appelle à la fessée ; je dirais même qu’elle accomplit, épanouit un cucul. La paume de la main est creuse pour s’adapter à la forme ronde et généreuse de notre région glutéale, c’est bien connu.
De plus la fessée ne se pratique pas habillé-e, ou alors par des personnes de peu de goût : elle suppose une certaine nudité, dévoilant, sans oser l’affirmer puisque de dos, les parties les plus sensibles du/de la partenaire dévêtu-e.
Enfin la fessée ne se pratique pas n’importe comment. Elle se distingue en cela de la vulgaire tape sur le cul administrée par ces mecs un peu lourds qui se croient revenus à l’âge de pierre. Elle nécessite une mise en scène, c’est-à-dire l’anticipation qui permet d’en savourer l’attente…
La fessée, un peu d’Histoire
- Dans l’Antiquité
L’histoire de la fessée érotique semble remonter aussi loin que l’érotisme lui-même. C’est que cette pratique est flatteuse pour les courbes féminines, comme le remarquait déjà Ovide au Ier siècle :
« La même posture ne convient pas à toutes. Que celle qui brille par les attraits du visage, s’étende sur le dos ; que celle qui s’enorgueillit de sa croupe élégante, en offre à nos yeux toutes les richesses. » (Ovide, L’Art d’Aimer)
- La fessée au XVIIIème
La fessée connaît un véritable boom et devient LA pratique dépravée par excellence qu’on se plaît à évoquer dans tout les romans licencieux. Même les plus grands noms de la littérature deviennent libidineux lorsqu’il est question de tape sur le bouli, à commencer par Jean-Jacques Rousseau lui-même :
« Comme mademoiselle Lambercier avait pour nous l’affection d’une mère, elle en avait aussi l’autorité, et la portait quelquefois jusqu’à nous infliger la punition des enfants quand nous l’avions méritée. (…)
Mais après l’exécution, je la trouvai moins terrible à l’épreuve que l’attente ne l’avait été: et ce qu’il y a de plus bizarre est que ce châtiment m’affectionna davantage encore à celle qui me l’avait imposé. (…)
J’avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m’avait laissé plus de désir que de crainte de l’éprouver derechef par la même main. » J.J. Rousseau, Les confessions.
En réalité, Rousseau est loin de faire preuve d’audace. Le sujet est pour ainsi dire à la mode et même son ami Diderot, l’auteur des Encyclopédies, se prête au jeu de l’écriture grivoise avec une certaine originalité…
En effet, en 1759, un certain Marquis de Croismare s’exile en province, au grand dam de Diderot et ses amis. Ces derniers décident alors d’entamer une correspondance dans le but d’attirer le Marquis à Paris, se faisant passer pour… une pudique religieuse ! L’échange s’intensifiera jusqu’à inspirer Diderot pour son roman La Religieuse dont voici un extrait qui vous donnera une idée assez précise de la teneur de ces lettres :
« [la mère supérieur du couvent] l’a fait venir dans sa cellule, la traite avec dureté, lui ordonne de se déshabiller et de se donner 20 coups de discipline. La religieuse obéit, se déshabille, prend sa discipline, et se macère ; mais à peine s’est-elle donné quelques coups, que la supérieure devenue compatissante, lui arrache l’instrument de pénitence, se met à pleurer, dit qu’elle est bien malheureuse d’avoir à la punir » Diderot, La Religieuse.
L’apothéose de l’art de la fessée est atteinte dans les récits de Sade, le célèbre auteur qui bouleverse ses critiques contemporains : « Tout ce qui est possible à l’imagination la plus déréglée d’inventer d’indécent, de sophistique, de dégoûtant même, se trouve amoncelé dans ce roman bizarre, dont le titre pourrait intéresser et tromper les âmes sensibles et honnêtes », critique le journal des Petites Affiches.
Tantôt considéré comme un libertin, tantôt comme un pur sadique, il met en scène dans son roman Justine ou les Malheurs de la Vertu ce qu’une femme pauvre et vertueuse doit traverser dans une société inégalitaire et violente pour tenter de survivre. Dans cet extrait, c’est un moine qui abuse ainsi de son autorité :
« « Tiens-toi bien ma coquine », me dit-il, « tu vas être traitée comme la dernière des misérables ». Je reçois à ces mots cinquante coups, mais qui ne prennent que depuis le milieu des épaules jusqu’à la chute des reins exclusivement. » Sade, Justine ou les malheurs de la vertu.
La fessée, mais pourquoi ?
Dis-nous, Britney, pourquoi la fessée ?
- La fessée et son rapport à la hiérarchie sociale
La fessée érotique se comprend définitivement à travers sa sociologie. Elle marque un rapport de domination physique qui est aussi un rapport de domination sociale. Il n’est pas innocent que chez Musset encore, au XIXème, ce soient à nouveau des moines qui l’administrent dans Gamiani ou deux nuits d’excès :
« – C’est par là que la femme pèche, c’est par là qu’elle doit souffrir ! dit le moine d’une voix sépulcrale. (…)
Elle s’expose bravement toute nue, écartant les cuisses, les tenant élevées. Les coups pleuvaient ; le bourreau était impassible. (…) Ma tante restait inébranlable, criant par moments : Plus fort !… ah !… plus fort »
C’est que la fessée est punition du supérieur à l’inférieur, à l’inverse d’une bataille à coups de poings entre deux boxeurs égaux, et que, contrairement à la gifle, elle ne permet pas la réplique. Ainsi des moines transforment l’acte de conFESSion en acte… de fessée tout court !
- La fessée et le rapport à l’enfance
Humiliante, elle rappelle à nous son origine enfantine et l’impuissance que nous avions face à l’autorité parentale. Et ce lien entre le châtiment reçu par l’enfant et les plaisirs des adultes n’est pas sans laisser rêveur jusqu’à Freud lui-même :
« Depuis les confessions de J.J. Rousseau, il est connu de tous les éducateurs que la douloureuse stimulation de la peau des fesses est une des racines érotisantes de l’objet passif de la cruauté (masochisme) »
Ayant une confiance en Freud située à peu près au même niveau que celle que je porte au Père Noël, je me garderai cependant de conclusions hâtives.
- La fessée et la recherche de la pureté… détournée.
La fessée est entrée définitivement dans l’imaginaire collectif grâce aux flagellations expiatoires religieuses, et ce dès les origines du christianisme. En effet, dans la typologie chrétienne le corps est opposé à l’âme et c’est le corps qui, corruptible, est susceptible de pécher. La fessée ou la flagellation en général permet donc de corriger ce corps faible. On retrouve cette même dynamique dans l’ensemble des mouvements sado-masochistes occidentaux.
Elle devient donc d’autant plus attirante qu’elle dévie cette intention première vertueuse. Ainsi la nourrice de Rousseau et bien d’autres avec elle ont dû se rendre compte de cette étrange dualité que Guillaume Apollinaire explique dans Les exploits d’un jeune Don Juan :
« Déjà, autrefois, lorsque j’avais dix ans, ma mère, à cause d’une bêtise que j’avais faite, m’avait pris entre ses cuisses, ôté mes culottes et avait tapé dur sur mes petites fesses, de telle façon, qu’après la première douleur, j’avais conservé toute la journée un sentiment de volupté. »
Il faut dire qu’avant même d’être punitive ou séductrice, la fessée est… curative !
Asclépiade, au IIème siècle avant J-C., prétendait guérir les maniaques… par la fessée. Au Vème siècle, Coelius Aurelianus suggère cette pratique comme traitement au délire à la « mélancolie érotique ». Valescus de Tarente propose même de soigner l’impuissance et la nymphomanie à grands coups de fessée, comme le souligne Alexandre Dupouy dans son Anthologie de la fessée de la flagellation !
On expliquait les vertus curative de la fessée de deux façons : soit parce qu’elle stimule le corps, comme lorsqu’on suggère d’utiliser des orties (!), soit parce qu’elle permet la pénitence de l’âme face à aux divinités.
Quelque chose me dit que ces jeunes femmes ne vont pas au catéchisme.
- Alors, la fessée : soumission ou audace libératrice ?
Pour ce qui est de l’anatomie, le sujet est clair, et comme le proverbe italien le dit : « Sotto l’umbilico, ne veritate ne religions » : sous le nombril, ni vérité ni religion.
Mais derrière le nombril ? Le popotin a le mérite d’être un impensé, une zone de liberté : le fessier est érotique à condition que son propriétaire le veuille bien, à l’inverse des seins qui pâtissent parfois malgré eux d’une forte charge érogène. Il peut être une masse de graisse flasque ou un rebondi appétissant, c’est selon.
La fessée n’existe que pour le plaisir de celui qui la reçoit, c’est donc à lui de l’érotiser. Sans cela, ce n’est qu’un simple châtiment corporel parmi d’autres : châtiment religieux, traitement médical, punition enfantine…
Un bon résumé de la situation ambivalente dans laquelle se retrouve la fessée se trouve d’ailleurs dans la définition du fouet par le dictionnaire de l’Académie de l’humour français de 1934 :
« La terreur des gosses, l’espoir des vieillards. »
La fessée dans le Kama Sutra…
Obsédés par la religion et/ou la psychanalyse, ces auteurs français passent peut-être à côté de ce qui reste, au fond, le plus important : le plaisir. Il vaut mieux s’exiler un peu et partir en des contrées lointaines, grâce au fameux Kama Sutra :
« Les coups sont une sorte de mignardise », annonce d’emblée le Kama Sutra, qui détaille les sons, sifflements et petits cris accompagnant une bonne fessée. Ainsi le son « Phat ! » imite-t-il le bambou que l’on fend. « Phut », le son d’un objet qui tombe dans l’eau… Mais on peut aussi agrémenter l’affaire avec « l’imitation du bourdonnement des abeilles, du roucoulement de la colombe et du coucou, du cri du perroquet, du piaillement du moineau, du sifflement du canard, de la cascadette de la caille et du gloussement du paon ». » — La fessée à confesse, Libération.
Remarquez comme le Kama Sutra encourage à l’inventivité ! Abandonnez le fouet, aux origines culpabilisantes et religieuses, le plat de la main routinier ou les tapettes à mouches en forme de coeur !
Et pourquoi pas une fessée avec un iPad ? Une anthologie de Jean d’Ormesson ? Vos liasses de cours de l’année dernière ?
Voilà, ça c’est de la fessée originale !
À vous de vous approprier et de rénover l’antique art de la fessée !
Si vous ou un de vos proches vous sentez concerné-e par la maltraitance physique vous pouvez contactez le :
- 119 allô enfance en danger, pour les personnes mineures
- 3977 contre la maltraitance des personnes âgées ou handicapées
- 3919 concernant les violences conjugales et/ou contre les femmes.
Les Commentaires
Mais clairement, l'article ne va pas dans ce sens de façon explicite, c'est dommage. Peut-être parce que, comme cela a été souligné, il n'est illustré que par des exemples tirés de la littérature classique, uniquement d'auteurs masculins hétéro ?
Enfin, ce n'est pas grave de toute façon, ce qui compte c'est que l'article est décomplexant et dédramatisant, sans pour autant oublier la petite note d'attention qui va bien à la fin.
En conclusion, savoir recevoir la fessée, c'est une chose, savoir la donner c'est aussi important. Et ça vaut quel que soit notre genre / sexe et nos goûts personnels.