Article initialement publié le 4 septembre 2013
Davy Mourier est un touche-à-tout aussi drôle que talentueux. De Nerdz à Karaté Boy, de ses passages sur Nolife au Golden Show, de ses bandes dessinées autobiographiques (50 francs pour tout, 41€ pour une poignée de psychotropes…) à son one-man show au théâtre de Dix Heures, sans oublier son blog, il est partout, et toujours pour le meilleur.
Aujourd’hui, mercredi 4 septembre 2013, paraît sa nouvelle bande dessinée, La Petite Mort. Une BD composée de strips à l’humour noir savamment dosé, qui nous raconte l’entrée à l’école de l’enfant de la Grande Faucheuse. Il va faire sa scolarité parmi les humains, tout en commençant l’apprentissage de son futur métier avec son papa.
Oeuvre transmédia, la BD contient des flashcodes qui permettront de regarder un dessin animé La Petite Mort ou de jouer au jeu vidéo La Petite Mort. Tout un univers imaginé par Davy Mourier, fait d’absurde et de poésie, et parsemé de petites réflexions sur le sens de la vie. C’est drôle et triste, joli et horrible, 90 pages qui parlent de la mort sans jamais être vraiment déprimantes.
Mais laissons Davy Mourier en parler lui-même avec cette vidéo très choupi dans laquelle il découvre et présente le tout premier exemplaire de La Petite Mort !
En bonus, plein de guests cool se sont invités au fil de pages !
Davy Mourier, l’interview
Cette BD est une jolie surprise, et Davy Mourier a eu la gentillesse de nous en dire plus dans cette interview réalisée à la Japan Expo en juillet dernier.
Peux-tu te présenter, nous raconter un peu ton parcours ?
Je m’appelle Davy Mourier. Je suis Ardéchois, à la base. Je suis venu à Paris pour faire de la télévision, c’était mon rêve. Mais vu qu’au début, les gens de la télévision ne voulaient pas que je fasse de la télévision, j’étais graphiste. J’ai commencé dans le DVD, je travaillais chez Kaze, je faisais des coffrets de dessins animés.
Entre temps, la chaîne No Life s’est lancée, et vu que j’en avais marre du DVD, je suis parti y travailler. J’ai fait une série avec Monsieur Poulpe et Didier Richard qui s’appelle Nerdz. C’était, je pense, la première websérie en France. Et ça a dépassé nos espérances. Au début, c’était une saison, puis deux, trois, quatre… Au départ sans budget du tout, puis au bout d’un moment , on a trouvé Ankama qui nous a donné de l’argent.
Et puis j’ai fait des BD à côté : je rêvais d’en faire, et le succès de Nerdz me l’a permis. Je voulais faire des oeuvres à moi, pas inspirées de la série, donc j’ai fait des BD autobiographiques. Deux chez Adalie, deux chez Ankama, et la BD de Karaté Boy, la série pleine de fails volontaires.
J’ai aussi sorti des DVD de Nerdz et de la série Karaté Boy. Après ça, on a lancé le Golden Show qui a beaucoup marché l’année dernière sur Internet, avec François Descraques et Monsieur Poulpe. On a fait ça pendant sept mois.
Ça s’est mal fini avec Ankama, on a arrêté. Et entre-temps, Alexandre Astier a accepté de nous produire. Donc on est revenus sur Golden Moustache, avec le Golden Show produit par Alexandre Astier. Et comme ça s’est fini avec Ankama, j’ai changé d’éditeur. Delcourt a acheté mon projet, La Petite Mort.
J’ai aussi trouvé un éditeur de jeux vidéo qui a accepté de me recevoir. Le projet La Petite Mort leur a plu, et donc on a fait un jeu vidéo, qui sort le 4 septembre, en même temps que la BD. Avec ton iPhone, quand tu filmeras la page, ça téléchargeras le jeu et tu pourras jouer. Et c’est le CNC qui a donné de l’argent pour faire le jeu vidéo parce qu’ils ont aimé. C’est un jeu français, voilà !
Je me suis aussi lancé dans le one-man show. J’ai fait deux dates exceptionnelles au théâtre de Dix Heures, et ils ont aimé. Et donc à la rentrée [l’interview a été réalisée à l’occasion de la Japan Expo début juillet, NDLR], il y a des chances pour que j’ai une date par semaine au théâtre de Dix Heures. Le spectacle s’appelle Petite dépression entre amis.
Voilà, Davy Mourier c’est moi.
Comment raconterais-tu La Petite Mort en quelques mots ?
C’est comme si Papa et Maman Mort avaient un enfant, et que pour lui apprendre la vie ils l’envoyaient à l’école. Parce que quand on fauche la vie, c’est mieux de côtoyer les humain-e-s.
Le problème, c’est qu’elle commence à les aimer, ce qui est un peu embêtant quand on sait qu’on va faire un travail de Faucheuse plus tard. Et le pire, c’est que la Petite Mort, elle veut être fleuriste. Normalement, vu sa nature, elle ne va pas réaliser ses rêves. C’est la base de la BD.
Comment est née l’idée de La Petite Mort ?
L’idée à la base est un peu triste. Enfin pas triste-triste, mais mon papa a fait un infarctus en 2010. Il n’est pas mort mais il a été entre la vie et la mort pendant trois jours. Dans ces cas-là on se pose des questions, et comme je suis quelqu’un qui aime bien dessiner, j’ai dessiné le personnage de la Petite Mort, et ce personnage est resté.
Puis mon père allait mieux, j’ai décidé d’en faire un strip sur mon blog, et j’ai eu énormément de commentaires. Les gens me demandaient « À quand la suite ? ». Pour moi il n’y avait pas de suite. J’ai fait deux, trois pages en plus. Et peut-être cinq mois plus tard, un mec vient me voir en dédicace, et il a la Petite Mort tatouée sur le corps. Et là je me suis dit « Oh, c’est bizarre quand même, il a l’air de marcher ce personnage
»…
J’ai continué et j’ai rencontré un deuxième type avec la Petite Mort tatouée sur lui. Le personnage plaisait, le truc m’a dépassé. Depuis 2010 j’y travaille, et là c’est l’accomplissement. J’espère que les gens vont aimer.
Est-ce qu’aborder le thème de la mort en bande dessinée, c’est une manière de l’apprivoiser ?
Honnêtement, je pense que c’est l’inverse que je fais. Je crois que j’ai un problème avec la vie. Pour apprivoiser la vie, comprendre pourquoi on vit… Je suis toujours là à me dire « Est-ce que j’ai fait la bonne chose ? Est-ce que c’est le bon choix ? Qu’est-ce que je fais là ? ».
En fait je crois que pour aborder la vie, le meilleur moyen était de parler de la mort. Qui mieux que la Mort peut se poser des questions sur la vie ? Quand tu lis la BD, c’est plein de petites questions un peu tristes sur pourquoi on vit. Des choix de vie même. À la fin, la Petite Mort a un choix à faire. Est-ce qu’elle ne va pas le regretter ?
En plus de la mort, tu abordes de nombreux thèmes dans cette BD. Les liens familiaux, l’enfance, l’amitié… Il y a même des évènements historiques. Est-ce que tu voulais parler de tout ça en amont de l’écriture, ou est-ce que ça s’est imposé au fur et à mesure ?
Je déteste savoir ce que je vais faire. J’ai fait trois ans d’impro sur scène. Et la seule BD que j’ai écrite entièrement, je ne l’ai jamais dessinée. Je m’emmerdais. Je savais ce qui allait arriver. Il faut que je me surprenne.
Je savais que je voulais parler de la famille, que la fin serait triste. C’est pour ça que j’ai amené certains personnages qui n’existaient pas sur mon blog, qui sont là pour cette fin justement. Je ne peux pas en parler davantage !
L’idée des fausses pubs par exemple, c’est venu un peu plus tard, quand je me suis demandé comment ancrer la Petite Mort dans une réalité. Ce n’est pas vraiment pour les enfants, mais si des enfants lisent la BD, ils vont reconnaitre Mc Do, Pokémon, Hello Kitty… Mais en même temps, ça n’est pas vraiment Pokémon ou Hello Kitty.
J’inscris la Petite Mort dans un monde parallèle mais qui ressemble beaucoup au nôtre. Un monde où on peut croiser la Mort à l’école et ça ne choque personne.
Les pièces sont nées au fur et à mesure. C’est ça que j’adore, le puzzle. Je sais de quoi je parle, je pose, et après je me dis « Ok, comment lier tel endroit à tel endroit ? ». C’est comme le jeu vidéo. Il va y avoir un dessin animé aussi.
Dans le jeu, c’est l’aventure de la Petite Mort qui fauche les âmes en Enfer, ce qui n’est pas dans la BD. C’est devenu énorme, mais ça n’est pas de ma faute, c’est à force de travailler dessus. Je suis assez pressé…
Avant je faisais des trucs autobiographiques, donc c’était pour me délester d’un poids. Quand les gens ont aimé la BD, ça m’a fait plaisir, mais il n’y avait pas d’enjeu scénaristique. Là, je veux savoir si les gens ont compris, quel message est passé… Je suis pressé de faire des dédicaces pour avoir le retour du public.
Tu fais énormément de choses très différentes : qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la bande dessinée, et quels sont les avantages de ce média ?
Au CP, quand le maître d’école nous a demandé ce qu’on voulait faire quand on serait grand, les autres ont dit pompier, policier. Moi j’ai dit dessinateur de BD. J’ai appris à lire avec Gaston Lagaffe, Les Schtroumpfs, Astérix... J’ai toujours adoré la BD.
Le problème c’est que je ne suis pas nul en dessin, mais je ne suis pas super fort non plus. J’ai dû travailler des années et des années. Les gens ont plus parié sur moi sur la scène, parce que je fais des mimiques etc. Je fais rire paraît-il. Donc je me suis dit : faisons rire, quitte à gagner de l’argent, autant le faire en faisant des trucs cool ! Et grâce à ça j’ai pu revenir à la bande dessinée.
Mais c’est ce que je rêvais de faire. Quand je fais des vidéos sur Internet, tout le monde y a accès, donc je fais des choses que tout le monde peut aimer ou détester. Mais en BD, je peux faire rentrer les gens dans mon univers. Je peux me permettre de leur foutre une dépression, après je m’en fous.
C’est ce que je fais en spectacle aussi, c’est pour ça que ça s’appelle Petite dépression entre amis. Les gens viennent, je ferme les portes. Ça a failli s’appeler Le Syndrome de Stockholm…
Contrairement à tes précédents titres, La Petite Mort n’est pas autobiographique. Mais t’es-tu quand même replongé dans ta propre enfance pour l’écrire ?
Oui, toutes mes BD parlent de l’enfance et du problème de devenir adulte. Là je raconte une histoire, ce n’est pas moi mais ce sont les mêmes sujets. Ça ne traite pas de la mort, toutes les autres parlent de la mort, mais la c’est la Mort qui parle du sujet de la vie. C’est viscéral. Je pense que plein d’artistes ont leurs marottes, leurs névroses, et tournent en boucle là-dessus. Après, le truc c’est de réussir à faire des œuvres différentes à chaque fois.
En fait maintenant que j’ai balancé ces BD autobiographiques, je peux m’éloigner de ça et l’enrober. La Petite Mort, c’est pour moi ma BD la plus réussie parce que ça parle de mes sujets, mes peurs, mais je ne suis pas dedans. Sauf une page.
En lisant La Petite Mort, j’ai plus pensé à un comics qu’à une BD franco-belge, dans le traitement graphique, le rythme… Est-ce voulu ?
Il y a des fausses pubs, tout ça… Les strips c’est américain en fait. Mais Trondheim m’a beaucoup influencé aussi avec Le Pays des Trois Sourires, une très belle BD. Je m’ennuie très vite, donc il faut que j’aille vite. Je dessine des gags de 3, 6, 9 cases. Mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir envie de faire une grande histoire.
Au début, je ne faisais que des strips, mais je me suis dit « il faut que je raconte un truc, je ne peux pas ne pas raconter un truc ». Donc peu à peu, j’ai intégré une histoire, et comme dans Le Pays des Trois Sourires de Trondheim, ça amène à quelque chose. Au début, on croit que ce sont justes des vannes et puis on découvre un univers.
Et pour le côté américain, quand je suis arrivé au milieu de la BD, je me suis dit que je n’avais jamais lu de BD composée de strips. J’ai acheté Snoopy, Garfield, Calvin et Hobbes. Devant Calvin et Hobbes je me suis dit « merde, il y a un truc qui ressemble un peu à La Petite Mort » — je ne l’avais jamais lu !
Mais c’est bizarre, je crois que je n’aime pas Calvin et Hobbes. Je trouve ça trop poétique, pourtant j’aime ça d’habitude mais là ça va trop loin. Par contre, Snoopy j’ai kiffé grave ! Il y a une dépression sous-jacente tout le long que j’adore.
Et après, il y a eu ce rythme-là que je me suis imposé. Parce que 96 pages, bon… J’avais des idées, mais je trouve que j’ai réussi à faire un joli puzzle.
Justement, au niveau de la construction : as-tu écrit La Petite Mort de manière linéaire, ou as-tu tout assemblé au fur et à mesure ?
J’avais les cases en noir du début. Le bouquin sur les bébés n’y était pas, les pubs non plus. J’avais deux-trois trucs. J’avais une idée d’histoire d’amour, vaguement, j’avais dessiné quelques gags. Je savais que j’allais les mettre au milieu. J’avais le début, le milieu et la fin, et la BD a évolué ensuite.
Par exemple, pendant une dédicace en février, quelqu’un m’a demandé de dessiner La Petite Mort. J’ai fait un truc sur la Saint Valentin, et je me suis dit que l’idée était bonne. Après je me suis dit « J’ai aussi Noël… je peux encore plus ancrer la Petite Mort dans le temps en suivant les fêtes » !
Noël, c’est très important dans la BD parce que je suis un gamin, et on a des jouets, c’est cool. Et la Saint Valentin aussi, parce qu’il faut parfois se prendre des râteaux, et que c’est le bon moment pour ça, c’est là où ça fait le plus mal.
Tu parlais de Trondheim tout à l’heure ; quelles sont tes autres influences ?
Larcenet. Larcenet c’est un dieu vivant, je le suce quand il veut. Il le sait en plus. Il m’a beaucoup inspiré. Trondheim. Après ça se sent un peu dans la narration, le style de dessin. De toute façon je suis obligé de faire du dessin minimaliste, parce que je n’ai pas les capacités pour faire autre chose, et ces gens ont beaucoup fait dans le minimalisme. Sinon Goscinny, qui est un scénariste de ouf, qui savait faire rire. Franquin, un dépressif total que j’adore. Gotlib aussi, pour le cul. Il y en a plein d’autres, mais ce sont les gens qui m’ont vraiment marqué.
Un grand merci à Davy Mourier !— Retrouvez La Petite Mort sur Amazon et chez votre libraire préféré.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
j'adore tellement ses Bd ! Je l'ai rencontré plusieurs fois au festival d'Angoulême et c'est un mec adorable et qui donne l'impression de rester très humble.
Il est tellement trop mignon quand il découvre sa BD, on dirait un enfant à noël !