Je pense qu’une de mes plus grandes prises de conscience féministe a été de comprendre à quel point j’ai de la CHANCE de vivre à une époque, dans un pays où l’IVG et la contraception sont facilement accessibles.
J’ai parfois le vertige en imaginant ma vie dans une autre contrée, un autre temps : les gamins sur les bras (moi qui suis childfree !), la peur à chaque relation sexuelle, la honte, les avortements clandestins, le mensonge, la peur.
Bien sûr, tout n’est pas parfait au niveau des droits des femmes mais à chaque fois que j’ai mes règles, à chaque fois que j’achète pour une copine la pilule du lendemain, je mesure ma chance.
Et ça me rend encore plus vigilante face à celles et ceux qui voudraient me retirer le droit à disposer librement de mon corps.
Une longue étude sur l’IVG et ses conséquences
Le New Yorker résume les résultats d’une passionnante étude au long cours menée auprès de femmes souhaitant interrompre une grossesse. Certaines ont pu avorter, d’autres non.
Pendant 5 ans, des femmes ont été suivies et témoignent de leur qualité de vie, après leur IVG… ou après avoir mené à terme une grossesse non-désirée.
Les résultats sont à la fois peu surprenants (à mes yeux) et fascinants. On t’en avait déjà parlé sur madmoiZelle, mais plus d’infos sont à présent disponibles !
Comment cette étude sur les conséquences de l’IVG a été menée
Diana Greene Foster, de l’université de Californie à San Francisco, chapeaute cette étude américaine qui a commencé en 2007.
Pendant 3 ans, elle et son équipe ont recruté 1132 femmes à travers les salles d’attente de 30 cliniques d’avortement réparties sur 21 États.
Toutes ces femmes avaient un point commun : enceintes, elles souhaitaient interrompre leur grossesse. Certaines ont pu avorter, d’autres étaient hors-délai et ont dû tourner les talons.
Pendant 5 ans, ces 2 groupes de femmes (celles qui ont avorté et celles qui n’ont pas pu) ont été interviewées plusieurs fois par an, afin de dresser un portrait de la vie avec, et sans IVG.
Au début, les deux groupes étaient similaires : même genre, même classe sociale, même tranche d’âge, grosso modo. Mais comme tu vas le voir, les choses changent avec les années.
NB : l’étude, et cet article, parlent de « femmes » car aucune des personnes participantes n’est un homme trans ni une personne non-binaire.
Ces femmes qui n’ont pas pu avoir recours à l’IVG
Parmi celles qui n’ont pas pu avorter, 70% ont mené leur grossesse à terme. Les autres ont réussi à obtenir une IVG tardive, ou ont fait une fausse couche.
Chiffre glaçant, 2 de ces femmes sont décédées de complications liées à leur accouchement. Aucune de celles qui ont avorté n’ont perdu la vie pendant la procédure.
Le New Yorker
insiste sur ce chiffre car aux États-Unis, certains messages anti-IVG présentent la procédure comme particulièrement risquée, ce qu’elle n’est pas.
À court terme, les femmes qui n’ont pas pu avorter allaient moins bien que celles qui ont pu interrompre leur grossesse : elles témoignent de niveaux d’anxiété plus élevés et d’une estime d’elles-même en berne.
À plus long terme, aucune différence notoire n’est observée entre les deux groupes quand il s’agit de la santé mentale (dépression, anxiété, qualité de vie, addictions, stress post-traumatique…).
Ces femmes qui n’ont pas pu avorter regrettent-elles d’avoir mené leur grossesse à terme ? Je cite le New Yorker qui a des mots très justes :
« [Après 5 ans], la grande majorité des femmes qui n’ont pas pu avorter disent qu’elles ne voudraient pas que les choses soient autrement, maintenant qu’elles ont un enfant de 4 ou 5 ans.
Et c’est bien — on espère aimer cet enfant, et vouloir son bonheur ! »
Je trouve ça important de noter ce point : bien sûr que c’est positif de voir que ces femmes aiment leurs enfants, et ne se disent pas, avec le recul, « j’aurais quand même préféré l’avorter » — même si le cas de figure doit exister, et doit être respecté.
Cela ne veut pas dire qu’il faut restreindre l’accès à l’IVG en se disant « Une fois le bébé né, elles l’aimeront ». Car déjà, ce n’est pas sûr, et aussi, penchons-nous sur les femmes qui ont pu avorter…
Ces femmes qui ont pu avoir recours à l’IVG
Je vais mettre le chiffre en gras : après 5 ans, 95% des femmes qui ont avorté estiment que c’était le bon choix. 95%. Quatre-vingt-quinze pour cent.
La 1ère émotion qu’elles citent, au sujet de leur IVG ? Le soulagement. Un soulagement qui reste présent au fil des années, même si son intensité s’atténue.
L’immense majorité de ces femmes ne regrette pas d’avoir avorté.
Voici quelques chiffres supplémentaires :
- Après 2 ans, 47% des femmes ayant pu avorter disaient être dans une relation amoureuse « très bonne », contre 28% pour celles qui n’ont pas pu avorter
- Après 5 ans, celles qui ont pu avorter étaient plus nombreuses à vivre ou avoir vécu une grossesse désirée que celles qui n’ont pas pu avorter
- Celles qui ont pu avorter sont globalement : moins dépendantes des aides sociales, vivent moins dans la précarité, sont en meilleure santé, et si elles ont des enfants, ils sont plus nombreux à ne pas vivre dans la pauvreté.
Regarder en face la réalité de l’IVG
Aux États-Unis, l’accès à l’IVG est en danger, et ça ne s’est pas arrangé depuis l’élection de Donald Trump, qui n’est pas un allié des droits des femmes.
Pour restreindre la capacité des femmes à interrompre une grossesse, certaines lois ou propositions de lois présentent l’IVG comme une procédure dangereuse qui doit être très strictement encadrée. D’autres comme un traumatisme dont on ne se relève jamais.
C’est pour cela qu’il est essentiel d’effectuer, de publier et de médiatiser ce genre d’études : pour remettre en lumière la réalité de l’IVG, pour faire entendre la voix de toutes ces femmes qui ont avorté et ne le regrettent pas.
Je laisse le mot de la fin au New Yorker, car je ne ferai pas mieux :
« Même si elle a été très minutieusement menée et conçue, [cette étude] sera forcément interprétée, critiquée, utilisée à des fins politiques.
C’est inévitable, alors il est important de souligner à quel point cette étude est utile au niveau politique.
Car à la lumière de ses résultats, la logique derrière tant de restrictions au droit à l’IVG (notamment que l’avortement est un danger et une souffrance pour celles qui le choisissent) s’écroule, tout simplement. »
À lire aussi : Des anti-IVG devenus pro-choix racontent ce qui les a fait changer d’avis
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Après je pense que cette étude n'est pas forcément pour convaincre les anti-IVG, car comme beaucoup on dit, leurs avis vient de religions et ne sont pas du tout logique scientifiquement. Aucun moyen de les convaincre avec des arguments.
De plus ils mettent "la vie" d'un groupement cellulaire au-dessus de la vie de ceux qui portent la vie. Donc bon..
À partir de la difficiles d'opposer des arguments.
Par contre je pense que cela peut rassurer et déculpabiliser de nombreuses personnes qui sont passés par là ou vont passer par là. Je suis persuadée que beaucoup de détresse post IVG sont dues aux mœurs et jugements des professionnels de santé et de l'entourage des gens qui avortent.
Perso j'ai eu un gynéco au top, et un entourage non culpabilisant qui m'a accompagné (sauf mon ex qui voulait le forcer à avorter mais à vrai dire, malgré cela, je continue de penser que c'était la meilleure décision de ma vie).