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 © Linkedin / Charlotte Peyronnet
Société

Charlotte Peyronnet : « Les femmes alcooliques se cachent »

Dans son premier essai, « Et toi, pourquoi tu bois ? », sorti en janvier aux éditions Denoël, Charlotte Peyronnet retrace son histoire avec l’alcool, de ses 13 ans à ses 30 ans, où elle prend conscience de sa maladie alcoolique et décide de sauver sa vie, en arrêtant de boire. Au-delà de l’introspection cash, drôle et percutante, l’autrice nous invite à réfléchir à notre propre rapport à l’alcool, à la façon dont il structure nos vies et la société française. On a rencontré Charlotte Peyronnet, abstinente depuis trois ans, et qui se dit « malade alcoolique », pour contrer les clichés sur cette addiction toujours tabou, en particulier chez les femmes.  

Madmoizelle. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ? 

Charlotte Peyronnet. D’abord, j’ai découvert le livre de Claire Touzard, Sans alcool, au moment où j’ai arrêté de boire. Il est super bien et cette lecture a vraiment accompagné mon chemin de sobriété. Mais je me suis demandée : elle buvait quoi cette femme, comment et pourquoi ? Il me manquait l’avant. 

Ensuite, je n’ai pas eu le choix d’arrêter de boire. Quand on est malade alcoolique, c’est soit ça, soit la mort, l’hôpital ou la prison. Je buvais vraiment beaucoup, et pourtant je me suis pas dit un seul instant que je pouvais être alcoolique. Dans mon imaginaire, l’alcoolique c’était un homme en marge de la société, pas une jeune femme de 30 ans. J’ai voulu montrer que ça n’arrive pas qu’aux autres. Je me suis dit que mon livre pourrait peut-être aider d’autres personnes dans la maladie alcoolique, et permettre de réaliser que ça peut arriver à n’importe qui. 

Vous écrivez : « Il est certes interdit de consommer de l’alcool quand on est mineur, mais c’est socialement accepté. » L’alcool au sein des familles, c’est un vrai sujet. On débute souvent notre relation à l’alcool avec ce petit verre goûté un peu trop jeune. Comment aimeriez-vous que l’alcool soit abordé dans les familles ? 

Je n’ai pas vocation à fracasser le patrimoine français [rires, ndlr] et je ne milite pas pour qu’on ne fasse plus ce genre de dégustation. Le problème, c’est qu’on banalise complètement cette consommation d’alcool. J’ai bu mon premier verre à 13 ans, un verre de sauterne en famille, avec ce côté très rite initiatique. Je sais que ma famille ressemble à plein de familles. Ce que je déplore, c’est le manque d’explications. Je trouve qu’il manque de la prévention, pour ne pas banaliser ces petites dégustations. J’aurais apprécié que mes oncles ou mes parents me disent pourquoi ils me servaient ce verre et pourquoi ils aimaient ça. Et qu’il me disent : ‘attention, on n’est pas sur la dégustation d’un bœuf bourguignon’. Parce que c’est facile de passer de l’autre côté et de consommer trop, mais ça, on ne le dit jamais.

« Boire était une manière d’oublier ce corps et de me sentir intégrée. »

Charlotte Peyronnet

A travers votre expérience, on voit que l’alcool est un rite de passage pour s’intégrer, que ce soit au moment de l’adolescence ou des études supérieures. C’est une succession de moments où la consommation d’alcool à haute dose est normalisée.

Je ne considère pas que je suis tombée dans l’alcoolisme. C’est un faisceau de raisons que j’ai assemblé, comme un grand puzzle. A 18 ans, j’avais le sentiment d’avoir un corps « en travaux ». J’avais du mal à accepter mes kilos, ma poitrine, mes attributs féminins… Boire était une manière d’oublier ce corps et de me sentir intégrée. J’avais cette crainte absolue de ne pas me faire de potes. 

Parmi les centaines d’élèves de mon école d’ingénieurs, il n’y en avait pas un qui tournait au soft. Pas un seul. Si je n’avais pas bu, j’aurais été mis à la marge. Se faire des potes, ça passe par boire. Ça me paraissait presque la seule option possible. On est tellement encouragé à boire. Le problème, c’est que j’ai continué à boire beaucoup. Et quand je suis arrivée à Sciences Po et en école de journalisme, la peur du manque s’était déjà installée. Quand tu fais des soirées trois ou quatre fois par semaine pendant cinq ans, tu as envie de reproduire ce modèle-là. C’est hyper insidieux. Verres après verres, occasion après occasion… Je ne me suis pas rendue compte qu’il m’en fallait de plus en plus. 

La maladie s’est installée très progressivement. Certain·es s’arrêtent à 30 ans, quand ils trouvent un boulot. Mais je me suis tellement construite avec l’alcool, de mes 13 ans à mes 30 ans. J’avais l’impression que si j’enlevais la Charly très bonne vivante, je ne serai plus moi. 

« On ne sait pas créer ces occasions sans alcool »

Charlotte Peyronnet

Vous revenez sur votre travail comme journaliste chez RMC. Il semblerait que l’alcool et le journalisme entretiennent des liens étroits ? 

En même temps, je me demande quel secteur n’est pas concerné ? Dans le milieu agricole, on picole beaucoup aussi. J’ai des proches qui viennent du milieu médical. C’est pareil. Ma compagne vient de la tech. C’est pareil. Il y a ce que j’appelle la « promotion picole », présente dans tous les secteurs. Il y a des choses qui se disent en réunion, de manière très officielle et actée. Et puis il y a tout ce qui se dit de manière officieuse, en dehors, quand on boit des verres ou au resto. Et on ne sait pas créer ces occasions sans alcool. 

 © Linkedin / Charlotte Peyronnet
© Linkedin / Charlotte Peyronnet

RMC était une rédaction paritaire, et pourtant, comme mes consoeurs journalistes, je voulais intégrer le « boy’s club » et correspondre à l’image du reporter-baroudeur. Et pour ça, il fallait être aux soirées et picoler. Pour la première fois, je me suis forcée à sortir avec mes boss, car j’avais conscience que tout se décidait dans ces moments-là. En plus, j’étais pigiste et je voulais tellement un CDI. Pour moi, ces soirées étaient ultra casse-gueule. Je me rappelle des lendemains compliqués, à me demander : « Est-ce que je n’ai pas dépassé les limites avec mon boss ? », « Est-ce que je n’ai pas été trop ? ». Parce que l’image de la femme alcoolisée qu’on a, c’est qu’elle est toujours trop. Je me souviens d’une soirée où une collègue m’a dit : « Rentre, Charlie. Je pense que c’est le bon moment ».  J’ai vomi en rentrant de chez moi. Et le lendemain, la honte. 

« Les femmes alcooliques se cachent »

Charlotte Peyronnet

Vous dites qu’il existe « un alcoolisme au féminin ». Qu’est-ce qui le différencie de l’alcoolisme au masculin ? 

Je ne veux pas les opposer. Il n’y en a pas un plus reluisant que l’autre. Pour autant, je pense qu’il existe des particularités. Les femmes alcooliques se cachent. On est des clandestines. On attend des femmes qu’elles gèrent les enfants, le foyer, et qu’elles aient en même temps un boulot épanouissant. On a une charge mentale très forte. Et à côté de ça, on devrait respirer la sensualité et la poésie. La femme qui boit ne colle pas du tout avec cette image-là. Elle est gênante. Elle crée un malaise. Face à une femme qui boit un peu trop, on ne sait pas quoi dire. 

J’ai senti cette différence de traitement dès l’école d’ingénieur. L’homme qui boit peut se cacher derrière un côté viriliste, très performant. Mais les étudiantes qui buvaient, on les appelait des « sacs à vin » ou des « chaudières », parce que l’alcool désinhibe. Je me suis mise à me cacher à ce moment-là. C’est absurde, parce qu’on nous encourage quand même à boire ! Une femme qui boit trop, elle parle trop fort, elle prend trop de place. C’est toujours ce jeu d’équilibriste. Il faut en être, mais pas trop. 

Vous avez aussi détecté un dénominateur commun chez les personnes alcooliques lors de vos réunions aux Alcooliques Anonymes : le trauma, bien souvent des violences sexuelles. Patriarcat et alcool sont un combo gagnant, non ? 

Je suis tombée des nues, très honnêtement. Je continue à côtoyer les Alcooliques Anonymes, tous les vendredis. Et au fur et à mesure des partages de femmes, je me suis rendue compte que le patriarcat joue un rôle immense dans notre consommation d’alcool. On s’est beaucoup mis à boire pour créer un espèce de bouclier autour de nous. Comme si les émotions, ce qu’on attend de nous, ce qu’on nous impose, tout ça était trop dur à supporter. 

Il y en a pour qui les violences sexuelles ont été la raison de l’alcoolisme. Dans mon cas, ça a été une raison de plus. J’ai été violée. Ce qui m’embête, c’est que je ne peux pas m’empêcher de me dire : « Qu’est-ce qui se serait passé si je n’avais pas bu ? » Et je sais que penser ça, c’est donner raison au système. 

« Il y a déjà très peu d’endroits pour les femmes bi ou lesbiennes et ce sont tous des lieux d’alcool. »

Charlotte Peyronnet

Vous expliquez avoir effectué un coming-out tardif. Vous avez l’intuition d’être lesbienne mais vous la refoulez « sous des litres d’alcool ». Pourquoi les femmes bi et lesbiennes consomment-elles, en moyenne, plus d’alcool que les femmes hétéro ? 

Je ne connais pas beaucoup de gens pour qui l’errance homosexuelle n’a pas été accompagnée d’alcool. Dans mon cas, j’ai grandi dans un milieu bourge et catho, où le mot « lesbienne » n’existait pas. Au collège, personne n’était out. Quand j’ai senti mes premiers désirs pour une femme, vers 18 ans, je n’ai pas compris ce qui se passait. Je me suis confortée dans un couple hétéro. À 26 ans, ça m’est revenu et ça m’a vraiment fait flipper. L’alcool a été une manière de faire taire ma petite voix, de faire taire mon désir. Je m’assommais et j’ai eu besoin de me rassurer avec des hommes. Sauf que je ne pouvais pas rencontrer des hommes sans être alcoolisée.

Lors du lancement de mon livre en librairie, une jeune femme lesbienne m’a demandé : « Si on ne veut pas consommer d’alcool, en tant que personne de la communauté, où est-ce qu’on va ? ». C’est vraiment très compliqué d’explorer sa sexualité ou juste de rencontrer ses pairs dans des lieux non-alcoolisés. Ça manque terriblement dans notre communauté. Et puis quand on se cherche, les dates sobres, c’est assez effrayant. Il faut vaincre sa timidité. Pour moi, ça passait par boire un ou deux verres avant même de rencontrer la personne. 

À lire aussi : « Ma consommation d’alcool était trop importante » :  elles font le Dry January et nous expliquent pourquoi

Vous faites aussi le constat qu’en France, « on ne sait pas aider les malades alcooliques ». Qu’est-ce qu’il faudrait mieux faire selon vous ? 

L’alcoolisme reste un sujet tabou, surtout conjugué au féminin. On a vraiment honte quand on est une femme et qu’on boit. Et du coup, on demande de l’aide souvent trop tard. Je pense qu’il faut en parler et c’est aussi pour cette raison que j’ai écrit ce livre. Je suis assez certaine que la prévention lourde ne fonctionne pas, surtout auprès des ados. Je rêve d’un monde dans lequel on en discute, de manière assez légère et décomplexée. Et qu’on arrête de boire par mimétisme, mais plutôt qu’on tente de boire en pleine conscience. 

« J’admire beaucoup les gens qui font le Dry January »

Charlotte Peyronnet

Et après, est-ce que la meilleure des préventions ne serait pas qu’on ait davantage  d’alternatives à l’alcool qui soient cool ? L’accumulation de petites choses au quotidien sera la meilleure des préventions. Il y a aussi une énorme hypocrisie de la part du gouvernement [l’alcool est responsable de 41 000 décès par an, ndlr]. La campagne « C’est la base » est ubuesque : « Boire, ok, mais bois de l’eau entre chaque verre », ou alors : « Boire ok mais occupe-toi de ton pote avant qu’il fasse un coma ». On ne dit jamais qu’on peut être cool sans alcool, que ce n’est pas la seule manière de s’affirmer. Les lobbies l’ont bien compris : c’est facile d’aller cibler les jeunes ou les femmes enceintes, tout le monde sera d’accord et ça conserve le statu quo.

©Santé publique France
©Santé publique France

Depuis quelques années, le « Dry January », une campagne de santé publique anglaise, a percé. En 2022, 24% des Français·es affirment l’avoir suivi. Quel est votre sentiment sur cette tendance ? 

J’admire beaucoup les gens qui font le Dry January, parce que j’en aurais été bien incapable ! L’intérêt du Dry January, ce n’est pas tellement de tenir bon 31 jours, mais plutôt de réaliser une sorte d’auto-diagnostic. De se demander : « Est-ce que ça me manque ? ». Et je trouve ça super aussi, de se rendre compte pendant un mois d’à quel point les sollicitations sont permanentes, à quel point on peut être ultra-lourdingue envers les gens qui ne boivent pas. Je dis ça, mais j’ai été cette restauratrice insistante. C’est bien aussi de voir si on est capable de passer une très bonne soirée sans alcool, peut-être même qu’on peut réussir à danser sans alcool ! Je trouve ça courageux, sans parler des bénéfices physiques. 

Et je pense que ça donne ensuite des comportements plus sensibilisés au fait qu’on a tendance à embêter les gens qui ne boivent pas, alors que c’est leur choix et que c’est ok de ne pas avoir envie. On est intolérants envers les gens qui ne boivent pas. 

Est-ce qu’il existe de bonnes raisons de boire, finalement ? 

Une des bonnes raisons de boire, c’est parce qu’on aime ça : la saveur, le goût, la complexité d’un vin… Parce qu’on boit beaucoup sans savoir pourquoi. Ça peut être ok de se dire « Ce soir, je sors et j’ai prévu de boire un ou deux verres ». Il peut y avoir de bonnes raisons de boire, mais elles ne le sont pas toutes. On boit des verres parce que c’est la norme et à la moindre occasion.  

Ça fait presque trois ans que j’ai arrêté de boire, et je galérais pour trouver des alternatives sympa. Cette année, j’ai passé le nouvel an dans un lieu sans alcool, qui propose des alternatives géniales, de vraies créations pour des palais d’adultes. Quand on est sobre, on nous sert du jus de pomme. Faut pas déconner, on mérite mieux que ça (rires) !  


Découvrez le BookClub, l’émission de Madmoizelle qui questionne la société à travers les livres, en compagnie de ceux et celles qui les font.

Les Commentaires

31
Avatar de Marre des
10 mars 2024 à 23h03
Marre des
@LavraiLilith 1re cause des maladies circulatoire : le stress.
Tu fais du passif-agressif, donc soit tu me prends pour une idiote en continuant à me parler ainsi, soit tu ne t'en rends pas compte donc oui relis tes messages.
Qqn affirme qqc, tu la reprends en disant "non c'est la société française". Non l'alcool est un souci de société mondiale !
La réponse a d'autres présume de ce que tu vas répondre à tous de la même façon.
Ressentir une agression dans une question c'est fou quand même. Parce que je n'ai pas mis de smiley ? C'est peut-être ça la réponse. Mais c'était qu'une question.
Et revenir encore sur "t'es agressive, t'es agressive" franchement c'est lourd surtout que tu as été agressive. C'est agressif d'employer les mots que tu as dit sur des gens que tu concidere comme criminel parce qu'ils sont viticulteurs.
Je reprends mon exemple des conducteurs, je me suis fait taper par qqn (pas sous alcool ni drogue), en transport en commun un accident à cause d'une voiture qui a grillé une priorité au bus alors que le bus était sur sa voie, je pense que c'est dangereux, je souhaiterai que tous n'ai plus de voiture et rien à faire qu'ils perdent leurs boulots. Ça fait quoi ? Les accidents de voitures font énormément de mort, brisent des vies, faut supprimer les voitures? En suivant ton raisonnement sur les viticulteurs c'est exactement cela. Et surtout impossible à mettre en place car tu ne vois que par le prisme français. L'alcoolisme est une problématique mondiale. Tout interdire c'est créer d'autres problématiques.
Harcèlement en ligne. Supprimer internet, les smartphones et les ordinateurs ?
Bref, comme sur plusieurs messages tu dis que tu ne répondras plus, pour ensuite remodifier et revenir...
Et je le rappelle ce que tu as pris pour une agression c'était une question. Et oui tu me remontres que tu uses des techniques de manipulation victimaire. (c'est pas une insulte tu ne t'en rends pas compte ou peut-être que oui)
Bonne continuation...
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Voir les 31 commentaires

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