Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il se passait dans la tête des gens bilingues ? Dans quelles langues rêvent-ils ? Dans quelles langues pensent-ils ?
Figurez-vous qu’une nouvelle recherche, menée par le psycholinguiste Panos Athanasopoulos et publiée dans la revue Psychological Science, nous donne quelques billes sur le sujet : parler couramment une deuxième langue (et plus) pourrait modifier la manière dont nous voyons le monde !
On ne s’en lasse pas, écoutez.
Des langages et des grammaires différentes pour des visions du monde tout aussi différentes
Pour analyser le sujet, Athanasopoulos et son équipe ont choisi d’analyser la manière dont des personnes germanophones ou anglophones traitaient des informations.
Les scientifiques expliquent que les deux langues ont des grammaires différentes pour situer les actions dans le temps : en anglais, pour décrire une scène, on pourrait dire « I was sailing to Bermuda and I saw Elvis » (« j’étais en train de naviguer vers les Bermudes et j’ai vu Elvis ») – en allemand, cette idée d’« action en cours » n’apparaît pas et on dirait plutôt « j’ai navigué vers les Bermudes et j’ai vu Elvis ».
Pour les linguistes, cette différence entre les deux langues ne serait pas si petite qu’elle n’en a l’air, et mènerait à des différences entre germanophones et anglophones : les personnes parlant allemand auraient tendance à détailler le début, le milieu et la fin des évènements, tandis que les personnes parlant anglais concentreraient leur discours sur l’action (et non pas sur sa temporalité).
Athanasopoulos a demandé à des volontaires (dont soit l’anglais, soit l’allemand est la langue maternelle) de regarder une série de vidéos dans lesquelles on voit des personnes marcher, faire du vélo, courir ou conduire.
Ensuite, son équipe leur a demandé de décider si une scène avec un objectif « flou » (une femme marche le long d’une rue vers une voiture garée) était plus similaire à une scène avec un objectif clair (une femme entre dans un immeuble) ou une scène sans objectif (une femme marche dans une rue de campagne).
Résultats : les germanophones auraient tendance à associer la scène à l’objectif « flou » à la scène à l’objectif « clair », tandis que les anglophones associeraient plus souvent la scène à l’objectif « flou » à la scène sans objectif particulier… Autrement dit, ce qui compterait pour les personnes parlant allemand, ce serait les résultats, les conséquences de l’action (la femme va vers une voiture ou entre dans un immeuble), alors que pour les anglophones ce serait le déroulement de la scène en elle-même (la femme marche, quoi).
C’est bien joli, mais ça ne nous dit pas ce qu’il se passe dans les têtes des bilingues !
Les bilingues seraient capables de naviguer entre plusieurs perspectives
Athanasopoulos complète son expérience : lorsque des personnes bilingues allemand/anglais (dont l’allemand est la langue maternelle) passent l’expérience précédente en allemand, les résultats sont les mêmes : ils privilégient les résultats d’une scène. En revanche, lorsqu’ils passent le test en anglais, ils se centrent cette fois sur l’action…
Pour aller plus loin, les chercheurs mobilisent 30 bilingues allemand/anglais et diffusent encore des vidéos, mais cette fois, ils demandent en même temps aux participant-e-s de dire des nombres à voix haute soit en anglais, soit en allemand.
Cet exercice supplémentaire « bloquerait » l’une des langues dans l’esprit des bilingues ! Du coup, les personnes bilingues agiraient comme celles et ceux qui ne parlent qu’une langue (les personnes répétant des chiffres en allemand concentrent leur attention sur les résultats des scènes diffusées dans les vidéos, alors que les personnes répétant des chiffres en anglais se concentreraient sur le déroulement des scènes en elles-mêmes).
16 ans, et 20 langues. BEAU GOSSE.
Les chercheurs-es ajoutent que lorsqu’ils surprennent les bilingues et changent soudainement la langue… l’esprit des volontaires suit le mouvement et change également de perception !
En fin de compte, ces petites expériences suggèrent que parler plusieurs langues pourrait avoir un impact inconscient sur la façon dont nous voyons les choses, et que les bilingues et polyglottes pourraient naviguer entre ces façons de voir le monde selon le langage le plus actif à un moment T dans leur esprit.
Finalement, les bilingues seraient capables de prendre le « meilleur » de chaque langue et la « meilleure » manière de voir les choses, et leur façon de penser pourrait être plus flexible… comme si deux esprits existaient en parallèle dans leurs têtes !
Pour aller plus loin :
- Un article de Science magazine
- Le site Psychopium, qui relaie formidablement les actualités de la psycho