Il y a neuf mois de ça, on m’a proposé de participer au Festival d’Avignon. On m’a dit : « Ton spectacle il est un peu mi-stand-up, mi-on sait pas, ça pourrait marcher à Avignon ». Moi, l’idée que je me faisais du Festival d’Avignon, c’était une sorte de carnaval du théâtre avec des parades où des chars, aux effigies des compagnies, circulaient avec des cracheurs de feu autour et des gars avec des diabolos, des bâtons, des chiens, des dromadaires. J’imaginais que c’était tous les jours l’arrivée du prince Ali à Agrabah dans Aladdin.
Et puis on m’a parlé de ce marathon scénique, vingt-quatre représentations de suite, sans relâche. Tout ça m’intriguait beaucoup, du coup j’ai accepté.
J’ai eu neuf mois pour me préparer. Neuf mois pour peaufiner le spectacle, pour réfléchir aux parades, aux tenues, aux contraintes techniques (j’y reviendrai), neuf mois pour convaincre ma femme que c’est une super bonne idée de partir un mois au soleil pendant qu’elle s’occupe seule des enfants.
On est arrivés il y a un peu plus d’une semaine, dans la chaleur écrasante de l’été. On a posé nos affaires au théâtre, et on a parcouru la ville.
Ici pas de dromadaires, pas d’éléphants géants, pas de chars. Juste des affiches, aux murs, aux arbres, au sol, des affiches qui s’invitent partout et qui donnent le ton à la ville : ce sera la foire, ce sera l’orgie théâtrale, et ce sera féérique.
Ici il n’est pas rare de croiser l’armée d’Écosse, venue faire la promo de Macbeth en pleine rue, des hommes qui donnent à boire à leur cheval gonflable, des affiches avec des brumisateurs intégrés pour t’inciter à t’approcher d’elles, une chorale antique de trente-cinq âmes qui quadrille la ville en chantant…
Et des musiciens, comme nous, qui font écouter leur musique à l’aide d’un tuyau et de deux entonnoirs.
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Chaque jour, c’est la même rengaine inouïe.
On alpague les gens, un peu à la manière des gars de la Croix-Rouge avec leur sac à dos à République, on leur parle de notre spectacle, on essaie de placer qu’on a beau les aborder dans la rue, on est quand même un (tout petit) peu connus (« Et là on vient de faire le Printemps de Bourges, on part jouer aux Francofolies, et on sera le 20 novembre à la Cigale
»). Mais ça, les gens ils s’en foutent : tu pourrais leur dire que tu seras au Stade de France à la rentrée, ça leur ferait ni chaud ni froid.
On leur fait écouter du son, ils disent que c’est bien, ou pas, et puis ils viennent voir le spectacle. Ou pas.
Souvent ils me disent « Ah oui j’ai vu votre affiche dans la rue, je croyais que c’était le spectacle d’un vampire qui parle d’austérité ». C’est vrai qu’on l’a bien plantée cette affiche… Je suis pâle comme un Anglais en hiver, et j’ai une mimique tellement flippante : on croirait que je viens vendre des abris anti-atomiques.
Alpaguer les gens, c’est violent, c’est ingrat, mais quand ça marche, c’est beau.
Ensuite on marche dans la ville en direction du théâtre, parfois on croise des copains qui jouent, ils nous parlent de spectacles qu’ils ont vus, on se donne des conseils.
À 15h on joue, sur une scène partagée par neuf spectacles (pas simultanés évidemment). C’est pas commode, neuf spectacles du point de vue logistique et technique : il faudrait que je vous montre la loge… On dirait la baraque d’un intermittent syllogomane (la syllogomanie c’est ça).
Le spectacle terminé, on va boire un café frappé rue des Teinturiers, au Zinzolin.
Et puis on va voir d’autres spectacles.
Moi j’ai vu le spectacle de mon pote Oldelaf (on est sur le même flyer, on est corporate), et aussi Origines de Baptiste Lecaplain, je me suis marré comme rarement.
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Avignon, semaine 1, c’est de l’espoir plein les valises pour les 1300 compagnies qui jouent des coudes pour se faire une place dans le cœur des festivaliers.
C’est déjà sept représentations, et le bonheur de voir le show se bonifier. C’est dix coups de fil à la famille pour rester au contact, pour ne pas perdre le quotidien.
Et c’est cette carte, qui m’a fait pleurer des rivières, reçue hier avec le courrier, avec les mains de mes deux garçons posées dessus — « pour papa », y a écrit sur le dos.
Papa ça va, il est à Agrabah.
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