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À Paris, le Comité Jacqueline Marval oeuvre pour la reconnaissance d’une grande artiste française

Ouvert pendant le confinement, le Comité Jacqueline Marval, qui œuvre pour la reconnaissance du travail de l’une des peintres françaises les plus réputées du XXe vient de déménager. Camille Roux dit Buisson, sa directrice, dresse le portrait d’une artiste éminemment féministe, mais injustement ostracisée par l’histoire de l’art. Rencontre.

Le Comité Jacqueline Marval est d’abord une histoire de famille : il y a quarante ans, Raphaël Roux dit Buisson, marchand d’art, s’éprend des œuvres d’une artiste alors méconnue en France, Jacqueline Marval. Elle est d’origine grenobloise, semble avoir changé de nom (elle s’appelait auparavant Marie-Joséphine Vallet, avant de devenir Jacqueline Marval) et son travail, de la peinture moderne essentiellement, a quelque chose de différent, d’avant-gardiste. Une peinture forte, aux couleurs douces, qui cache une histoire digne d’un roman, celle d’une femme qui s’est émancipée du carcan patriarcal pour s’imposer dans un monde de l’art qui a tout d’un boys club à l’époque. Raphaël Roux dit Buisson part en quête de ses œuvres et, à mesure qu’il en découvre de nouvelles, réalise l’ampleur de la chose : Jacqueline Marval était une véritable star pour son époque, comme le prouvent les centaines de coupures de presse qui commentaient tant son œuvre que ses tenues vestimentaires comme on pourrait le faire de n’importe quelle célébrité actuelle.

Dès l’enfance, Camille Roux dit Buisson, directrice du Comité, grandit donc avec des œuvres de Marval recouvrant les murs de sa chambre. C’est tout juste avant le confinement qu’elle décide de quitter le monde de la mode où elle exerçait jusque-là pour rejoindre son père mais aussi son frère Lucien Roux (responsable des recherches et archives du Comité) et ouvrir officiellement le Comité Jacqueline Marval. Cette structure leur permet aujourd’hui de porter l’œuvre de Marval aux yeux du grand public, notamment dans le cadre d’expositions, en France ou à l’étranger, mais aussi par le biais des réseaux sociaux et notamment d’Instagram, sur lequel le Comité est très présent.

Le Comité, qui n’est pas ouvert au public, était installé depuis son ouverture au cœur de la très intimiste Cité Malesherbes, dans le 9e arrondissement. Début 2023, les locaux ont déménagé pour le 16e arrondissement, afin de voir plus grand notamment, et continuer d’œuvrer à remettre en lumière le travail de Marval. Une nouvelle page qui s’écrit pour le Comité, et l’occasion de poser quelques questions à sa directrice. Interview.

À lire aussi : « Une Place », l’essai-illustré brillant d’Eva Kirilof qui explique l’absence des femmes de l’histoire de l’art

Interview de Camille Roux dit Buisson, directrice du Comité Jacqueline Marval

Portrait – ©Kate French
Camille Roux dit Buisson dirige le Comité Jacqueline Marval © Kate French

Madmoizelle. En quoi Jacqueline Marval était une artiste éminemment avant-gardiste et féministe ?

Camille Roux dit Buisson. Dans un milieu de l’art très masculin du début du XXe siècle, Jacqueline Marval a su se faire une véritable place, ce qui n’était pas aisé pour l’époque. Autodidacte, elle n’a jamais compris ni accepté que l’on puisse mettre de côté les artistes femmes à cause de leur sexe. Pierre Varenne, critique, journaliste, l’explique notamment dans le dictionnaire des artistes contemporains, le 15 novembre 1931 : « Jacqueline Marval n’est pas une femme peintre. C’est un peintre, voilà tout. Elle n’a jamais compris que l’on catalogue les artistes par leur sexe. Elle s’est toujours refusée à exposer avec des « consœurs » uniquement. » Enfin, Marval ne craignait pas de bousculer, de dénoncer : féministe d’avant-garde, elle critique souvent le rôle attribué aux femmes par la société (dans lequel elle ne se reconnaît absolument pas), en peignant des femmes endormies, voire cadavériques (Les Endormies, Les Neurasthéniques…). Elle n’a pas peur non plus de créer le scandale et n’hésite pas à attaquer directement les mécènes du Théâtre des Champs-Élysées qui « profitaient » des jeunes danseuses.

Jacqueline Marval, même si elle eut un grand succès de son vivant, était une femme et a subi le sort qu’ont malheureusement connu bon nombre d’artistes femmes, puisqu’elle a simplement été effacée de l’histoire de l’art. 

Camille Roux dit Buisson, directrice du Comité Jacqueline Marval

Comment cela se traduit-il dans son travail ?

D’un point de vue artistique, Marval reprend les codes traditionnels de la peinture masculine, comme les sujets du nu féminin et des Odalisques. Mais elle va encore plus loin, en se réappropriant sa propre image : on retrouve dès le début de sa carrière de nombreux autoportraits où elle apparaît nue (Odalisque au Guépard, 1900), ou prenant les traits de créatures mythologiques (Sirène, 1900 et Minerve, 1900).

Chez Marval, pas de male gaze donc. Dans sa grande composition des Odalisques (1902-1903, aujourd’hui au Musée de Grenoble), cinq odalisques, chacune empruntant les traits de Jacqueline Marval, ont des corps présentés de façon brute, naturelle. Des plis de peaux se forment, les chaires apparaissent bleutées. Les regards de deux des odalisques nous font entrer dans cette composition, pire, nous semblons les déranger. Lorsqu’il est présenté au salon des Indépendants de 1903, ce tableau est salué par la critique. Guillaume Apollinaire le considère comme « une œuvre importante pour la peinture moderne » (Chroniques d’Art, 1902-1918). D’ailleurs, Les Odalisques de Jacqueline Marval sont peut-être repérées par Picasso, peignant quelques années plus tard les Demoiselles d’Avignon (1906-07) dont la composition est étrangement proche du tableau de Marval.

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Les Odalisques (1902-1903) Musée de Grenoble © Comité Jacqueline Marval

Comment expliquer sa « disparition » des ouvrages d’histoire de l’art, alors même qu’elle bénéficiait à l’époque d’une renommée extraordinaire ?

Plusieurs facteurs entrent en jeu : Jacqueline Marval est décédée relativement tôt par rapport à ses pairs, en 1932, soit bien avant la Seconde Guerre mondiale. Elle ne fait donc pas partie du mouvement de l’après-guerre. De plus, ayant perdu son seul enfant à l’âge de six mois, et séparée de son compagnon Jules Flandrin au moment de sa mort, Jacqueline Marval n’a pas eu d’héritier, ou quiconque pour s’occuper de sa succession, bien que le critique René-Jean et la sœur de Jacqueline Marval aient voulu donner Les Odalisques (1902-03) au Musée du Luxembourg à Paris (le directeur du Musée de Grenoble de l’époque, Andry-Farcy, a insisté pour que l’œuvre aille au Musée de Grenoble). Enfin, Jacqueline Marval, même si elle eut un grand succès de son vivant, était une femme et a subi le sort qu’ont malheureusement connu bon nombre d’artistes femmes, puisqu’elle a simplement été effacée de l’histoire de l’art. 

J’aimerais que le public français puisse découvrir son histoire et ses œuvres dans cette ville qui était si chère à Marval.

Camille Roux dit Buisson, directrice du Comité Jacqueline Marval

Pourquoi est-ce capital que la France redécouvre cette grande artiste ?

Il est important que la France puisse redécouvrir cette grande artiste pour connaître sa propre histoire de l’art, qui ne se limite pas à une poignée d’artistes masculins que l’on connait bien aujourd’hui. Comment a-t-on pu oublier une artiste d’une telle renommée, ayant connu une telle carrière – internationale de surcroît, puisqu’elle représentait la France à l’étranger dès l’Armory Show à New-York, en 1913 ? Jacqueline Marval a aujourd’hui une place importante à reprendre dans l’histoire de l’art. 

Vous œuvrez au quotidien pour replacer Jacqueline Marval au centre de cette histoire. Qu’est-ce qui vous anime le plus dans cette activité ?

Ce qui m’anime dans le travail que nous menons autour de la vie et de l’œuvre de Jacqueline Marval, c’est justement de palier à cette injustice. Ce profond désir de la faire reconnaître m’oriente dans tous mes choix concernant le Comité Jacqueline Marval : je souhaite lui rendre sa place, celle de grande artiste moderne.

Quel serait votre rêve pour Marval ?

Aujourd’hui, mon rêve serait qu’une exposition monographique de l’œuvre de Jacqueline Marval ait lieu à Paris ! Si nous sommes en préparation de telles expositions en Europe et en Asie, j’aimerais que le public français puisse découvrir son histoire et ses œuvres dans cette ville qui était si chère à Marval. Finalement, si Marie-Joséphine Vallet a vécu à Grenoble, Jacqueline Marval est née à Paris.

Visuel de Une : Odalisque au guépard, 1900 © Comité Jacqueline Marval / portrait de Camille Roux dit Buisson par © Kate French


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