Je suis grosse. Oui, grosse : les 6 lettres les plus galvaudées dans notre belle société accro à l’image. Je ne vais pas vous infliger un pamphlet interminable et mielleux sur « comment assumer ses 55 kilos » et autres « la beauté, c’est d’abord à l’intérieur, kikou hi hi ». Je vais vous parler de ce que c’est d’être une grosse, une vraie, avec l’IMC et les bourrelets adéquats, et l’impression qu’elle aurait pu tuer un chaton aveugle sur YouTube que le monde n’aurait pu la haïr davantage.
L’enfance
Ça commence quand on est petite, bien entendu. Celui qui a dit que les enfants sont d’innocentes petites créatures a dû naître adulte et n’a jamais dû se reproduire. À l’époque, j’avais deux soucis : j’étais grosse, et j’avais les cheveux courts et frisés. Prenez un adorable petit baril et foutez-lui une perruque de Gloria Gaynor, et vous aurez une image pas trop éloignée de la réalité. À part ça bien sûr, j’étais très bonne élève, pleine de vie et je gambadais fièrement dans les champs de… Non, n’abusons pas.
Mais passons plutôt en revue les petits moments marquants de l’âge dit « le plus tendre ».
- Être toujours choisie la dernière en cours d’EPS : grand classique de la dodue (mis en chanson par Oldelaf), mais qui ne manque jamais de vous rappeler que s’il y avait eu un vieillard unijambiste et borgne dans la classe, il aurait été pris avant vous pour rejoindre l’équipe de volley-ball junior de Bazouilles-en-Maquelin. Je suis grosse et je peux encore me mouvoir, merci bien. D’ailleurs, paraît même que le sport, ça aide… Ah non, j’ai dû me tromper, à voir la tête dubitative de mes profs de sport quand j’essaie de finir une longueur de piscine.
- Être regardée de travers à l’heure du goûter : 16 heures vient de sonner. Le suspense est à son comble au collège Jean Jaurès. Tous les regards se tournent vers la grassouillette de service : que va-t-elle manger ? Que va-t-elle ingérer de monstrueusement répugnant et chargé en graisses saturées pour justifier son tour de taille ? Une pomme… Hein ? Comment ça, une pomme ? Ouais, tu parles, elle a déjà dû avaler en douce ses deux paquets de Petits Lu à la graisse d’oie, la fourbe. Et oui, pour les autres, la grosse vit une vie de mensonges constants.
- Être interrogée comme un collabo par le médecin scolaire : « Non mais tu sais, tu peux tout me dire. Là tu mets que tu manges des céréales le matin. Et quoi d’autre ? Dis-moi tout, je suis là pour t’aider. » Médecin scolaire qui s’empresse ensuite de bien édicter ton poids à voix haute pour que toutes les gamines assemblées dans la salle d’attente se hâtent, effarées, de répéter dans toute l’école que la petite grosse, là, elle pèse deux fois ses petites camarades. Ça m’a facilité l’intégration, je dois dire.
- Être obligée de s’habiller en jogging-baskets : à l’époque – j’ai aujourd’hui 23 ans, si on faisait une taille 46/48 à 12 ans, il fallait aller à Décathlon et dégoter une tente Quech… des joggings gris clair chiné là, vous vous souvenez ? Non ? Tant mieux, moi si. Couplons le tout avec des grosses baskets car mes pieds larges pour ma pointure ne me permettaient pas de porter autre chose, tant qu’à faire. (Heureusement, ces années me permettent maintenant de justifier mes après-midis shopping. Et sans honte aucune, non mais.)
- Être le souffre-douleur du photographe du collège : je n’ai jamais su ce que j’avais fait à ce brave homme pour mériter sa haine et son mépris, mais pourquoi avais-je droit systématiquement à un hargneux « Allez mémère, on sourit, ouh là oui, on va dire que ça va » quand toutes les autres petites filles étaient gratifiées d’un gentillet « Oh la petite princesse, voilà un beau sourire, parfait ! » ? J’avais peut-être écrasé son chien avec mon vélo Minnie, je ne me souviens plus.
- Être considérée avec un mélange de mépris et de fausse bonne volonté par les adultes : « Oh là ma chérie, tu es sûre que tu veux un bout de gâteau ? Je sais que c’est ton goûter d’anniversaire, mais je ne pense pas que tu en aies besoin. » Bah non tiens, quelle idée ! Avoir 10 ans et vouloir un morceau de gâteau… à quoi pensais-je, bon sang de bois ?!
Mais ça, tout ça, c’est du passé, n’est-ce pas ? Je me disais naïvement que ça irait mieux plus tard. Je n’avais pas tellement tort vu que bon, ça pouvait difficilement être pire. Objet des moqueries et des violences de mes petits camarades pendant des années, j’entrevoyais les années lycée, université et tutti quanti avec un peu plus de… hum… avec un peu moins de désespoir, disons. Ah ah. Non, sérieusement, j’y croyais.
L’adolescence
J’y croyais avant de me mettre à parcourir le fameux numéro spécial de tout bon magazine féminin qui se respecte : « Être grosse et s’aimer : 10 célébrités qui vivent bien leur poids » et à me demander, effarée, pourquoi mon idole Beyoncé figurait dans l’article, comme si elle était l’équivalent américain de notre Maïté nationale. Moi aussi je peux bien assumer mon corps si je ressemble à une bombe athlétique hein, chuis cap’, j’te parie même deux Pogs à la récré.
Arriva donc l’adolescence et le lycée, épopée magique dont je suis ressortie en me disant que visiblement, on me pardonnerait tout dans la vie, mais jamais mon poids. J’étais toujours bonne élève malgré ma vie personnelle plus que chaotique, j’ai maintenu le cap de mes études malgré une dépression et autres drames familiaux, mais vous savez quoi ? [Jingle Zone Interdite] Ça ne suffit pas.
Les adultes qui m’entouraient ne faisaient que me refléter une seule vérité : « oui, c’est pas mal, mais bon si tu maigrissais, ça serait mieux ». Ceux qui pestaient sur les notes à un chiffre de leur progéniture avaient visiblement un double standard pour les autres.
Allez, petits morceaux choisis des gentillesses que les gens de l’âge de mes parents se sont chargés de me transmettre :
- « Bon, sois honnête, tu dis que le matin tu manges du pain et du beurre, mais combien de centimètres de beurre sur la tartine ? » : question très sérieuse posée par un éminent médecin d’un grand hôpital parisien. Je veux savoir quel diplôme obtenir pour extorquer 100€ de l’heure afin de balancer ça à un enfant de 12 ans, si vous avez des tuyaux…
- « Tu es sûre que tu as vraiment besoin de ça ? » : question posée par une parfaite inconnue qui me voyait manger un sandwich poulet – salade. À midi. Quelle horreur ! D’ailleurs, à en croire beaucoup, je n’avais « besoin » de rien : si je mangeais, c’était uniquement par gloutonnerie. Et on sait toutes que nous vivons dans une société qui méprise les besoins hédonistes.
- « Tu sais, les gens dans les camps, ils étaient pas gros. Donc bon hein, me sors pas d’histoires de métabolisme et de boulimie, moi j’y crois pas. » : jolie répartie de ma prof de sport (elle-même fort grassouillette).
[rightquote]Il m’a fallu des années pour comprendre que les complexes n’attendent pas le nombre de centimètres au tour de taille.[/rightquote]Bon, le lycée et l’université : check. En résumé, une alternance de moments humiliants et d’envies de meurtre : il m’est arrivé de vouloir étouffer mes copines qui rentrent dans un 36 mais qui me bassinaient sur leurs bourrelets imaginaires. Il m’a fallu des années pour comprendre que les complexes n’attendent pas le nombre de centimètres au tour de taille, et cela fait un moment que je n’ai plus aucun souci à réconforter ces mêmes amies quand elles se sentent immondes.
Mais à 15 ans, alors que l’on pleure dans une cabine d’essayage parce que la taille la plus grande du magasin s’arrête trois unités avant la sienne, la copine mince vous paraît comme l’ennemi numéro 1 à abattre. (J’avais élaboré divers scénarios, le plus élaboré d’entre eux étant de m’asseoir sur elle, ni vue ni connue.)
Mais, chères lectrices, tout n’était pas si noir. Il y avait heureusement des compliments dignes d’être mémorisés et chéris comme de petites perles de gentillesse dans ce monde de brutes. Alors on lit la liste suivante et on va câliner un Bisounours :
- « Tu as un joli visage quand même ». Variante acceptée : « C’est dommage, tu as un joli visage. » Il m’a fallu un paquet d’années pour comprendre pourquoi on ne disait jamais ça qu’aux filles grosses. Eurêka ! C’est facile : si vous êtes mince et avec un joli visage, vous êtes belle, point barre. Tout le package est bon à être validé par la société : tendez la fesse, le label rouge arrive. Mais si vous êtes grosse et dotée par un joli visage (les raisons de Mère Nature sont impénétrables !), vous avez le droit d’être considérée comme une jolie cerise sur un gâteau moisi : un vrai gâchis, en somme.
- « Bon au moins, tu peux te concentrer sur tes études. » Me répéter ça alors que je viens de me prendre un énième « j’aime pas les grosses » par le kéké acnéique / objet de mes rêveries adolescentes, ça réconforte. D’ailleurs, après chaque « râteau », j’allais embrasser mon bulletin trimestriel.
- « Au moins tu sais que si un type sort avec toi, c’est vraiment parce qu’il t’aime. » En effet. Des hommes qui cherchent les filles les plus fragiles pour assouvir leur soif de contrôle, ça n’existe pas, c’est bien connu. Et les filles minces ne tombent jamais que sur des abrutis superficiels, tout le monde sait ça.
Et aujourd’hui…
Bref. Après avoir galéré des années à vaincre ma boulimie et mes problèmes personnels, après avoir déménagé sans hésitation un paquet de fois pour mes études, puis mon stage, puis mon job actuel à 1 000 km de chez moi, après avoir suivi une thérapie pendant des années, j’ai décidé de me mettre au sport, de manger plus sainement pour enrayer un début de diabète et d’arrêter de me flageller tous les jours comme si j’avais été responsable d’un génocide dans une vie antérieure.
Bizarrement, je vis vachement mieux. Mais soyons clairs : je me tape toujours du chocolat noir quand ça me chante. J’ai dû changer d’alimentation à cause de problèmes de santé mais hors de question d’abandonner mes carrés de Lindt, faut pas déconner. Malheureusement, rien n’empêche les gens de commenter, encore et toujours : je suis toujours grosse, beaucoup moins qu’avant mais on va dire que je suis toujours plus du côté du 46 que du 36.
La différence ? J’en ai plus rien à faire. Mon plus sévère juge, je le sais maintenant : c’est moi-même. Elle aussi, je finirai bien par me la mettre dans la poche, un de ces quatre.
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Les Commentaires
Je n'ai jamais ete aussi humiliee, harcelee meme, que lorsque j'ai ete grosse. TOUT le monde, de vos parents, freres et soeurs, aux collegues, "amis" en passant par les inconnus dans la rue, se sentent le droit, QUOTIDIENNEMENT, que dis-je LE DEVOIR de vous faire des remarques sur votre corps, de vous dire quoi faire et de se foutre de votre gueule "Mais roohh c'est pour rire".
J'ai reellement decouvert un autre monde et non desolee les minces/maigres (dont je faisais partie), meme mal dans leur peau dans leur tete ne peuvent pas savoir ce que c'est...
J'ai reperdu tout mon poids a force de sport intensif et controle alimentaire important. J'y ai pris plaisir car je me sentais "puissante" de reussir et voir des progres rapides dans quelque domaine que ce soit c'est toujours galvanisant, mais je ne le faisais pas pour moi. Je le faisais pour les autres, ou en fait si, pour moi : pour qu'ils me lachent la grappe et etre enfin tranquille !
Resultat, je suis de nouveau devenue la nana super mince qu'on trouve super attirante, qu'on envie, qu'on complimente, a qui l'on demande si elle est mannequin etc...
Pour autant, j'aimais mon corps pour le "vehicule" qu'il representait, les choses qu'il me permettait de faire mais je n'etais pas attiree par lui, d'un point de vu esthetique, "sensuel".
Par la force des choses (= mise en couple avec un homme extremement gourmand et gros mangeur - et tres sportif-) j'ai repris un peu de poids et la je me suis mise a vraiment savourer de nouveau mon corps : plus de formes, plus vallonne, plus volupteux, plus doux, un corps de desir et de plaisir, moelleux, reconfortant et sensuel...
Mon fiance lui-meme qui pensait ne pas vouloir que je grossisse a finalement bien apprecie voir toutes ces formes s'epanouir et en redemande !
Depuis, j'ai decide de lacher prise et de vivre au plaisir et a l'instinct car definitivement, c'est avec des rondeurs que je me "kiffe", que je me regarde, et tant pis pour les autres et leurs remarques, je suis mieux armee maintenant que j'ai vraiment identifie que c'est ce que je prefere.
Je mange quand j'ai faim, ce que j'ai envie de manger (Mcdos, Menus japonais a gogo, chilis, salades, carbonaras, legumes, fromages), et a ma faim et meme parfois un petit plus par gourmandise. Mais je ne me gave pas car c'est desagreable quand je mange vraiment de trop ! On vit dans une societe de l'abondance et de la diversite culinaire = une chance incroyable, j'en profite.
Le sport m'a soule donc j'ai arrete, par contre j'ai grand plaisir a faire de grandes balades de plusieurs heures en foret alors je ne m'en prive pas, mais c'est par periodes. Ca depend de mon humeur. Pour les parties de foot ou de badmintons avec les petits neveux, je suis toujours partante.
Je bouge parce-que j'en ai envie et non pas "parcequ'il faut", et pour m'amuser non pas pour mon apparence.
Resultat + 17 kilos en 1 an et demi (la pilule y est pour quelque chose aussi), sans me gaver du tout mais sans me priver non plus et en marchant au plaisir donc. Je suis passee d'un mini 38 a un 44, d'un 90A a un 95C, des bourrelets au ventre, un petit double menton, des bons cuissots et plein de cellulite que je trouve trop mignonne.
Je vais surement continuer de prendre encore, pour probablement atteindre un 48 au final j'imagine et j'en suis contente. Si c'est comme ca que mon corps doit etre quand je ne suis pas en train d'essayer de le "controler" alors c'est tres bien. Je le laisse s'epanouir et j'y prends plaisir, je trouve ca vraiment magnifique les rondeurs, appetissant, attendrissant et sensuel tout a la fois.
Contrairement a avant ou je ne me regardais pas vraiment, je prends plaisir maintenant a me regarder, me coiffer, me maquiller, m'habiller...
J'ai ete abordee dans la rue recemment par un photographe pour poser pour lui et mon patron qui a lui-meme une cherie absolument magnifique et dans les criteres de beaute habituels, me dit chaque jour a mon arrivee qu'il me trouve tres belle.
Je suis en tres bonne sante mais franchement meme si dans le futur je devais developper un peu de cholesterol ou que sais-je, je m'en foutrais.
Si je devais mourir de la bouffe et bien tant pis. Je prefere mourir de plaisirs que vivre de privations.
Mais il y a peu de chance car franchement je mange de bonnes quantites mais toujours tres varie donc c'est pas comme si je me nourrissais que de poulet frit et de sodas...
J'ai decide d'arreter de trouver du plaisir a me faire souffrir (a travers le sport et le controle alimentaire) juste pour satisfaire mon ego ou les insecurites projetees des autres. Je ne veux plus rentrer dans le jeu de cette societe schyzophrene, societe de l'abondance mais qui prone le controle, la privation.
Je veux juste vivre pleinement et c'est ce que je fais : un boulot genial, un fiance genial et lui meme appetissant , du temps pour moi, du grand air a portee de main, de la bonne bouffe. Le bonheur.