D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu du psoriasis. À des degrés/endroits différents, mais j’en ai toujours eu, oui, comme à peu près 2 millions de français. Et ça m’a plutôt aidée à me construire.
Alors, avant de vous expliquer comment, point chiant sémiologie : le psoriasis (de ce qu’en sait la science, c’est-à-dire à peu près rien) est une maladie auto-immune. Globalement, ma peau ne s’aime pas trop, et elle accélère le renouvellement des cellules pour être plus jolie. Sauf que ça ne marche pas, et qu’à la place d’une jolie peau, il a des endroits sur mon corps où se distinguent de grosses croûtes blanches poudreuses dégoûtantes (appelons un chat un chat, n’est-ce pas). Ce n’est pas une maladie contagieuse.
Les marabouts du psoriasis
Endroits concernés : la face postérieure des coudes, des genoux, et le cuir chevelu. J’en ai eu aussi sur le ventre, sur le nombril, sur les mollets. Pensez-vous, mon enfance a été parsemée de courses entre les dermatologues de toute la région. De crèmes en crèmes, de grimaces en hochements de tête entendus. Je me souviens particulièrement d’une crème toute noire à l’odeur de rat crevé, à base de corticoïdes, que je devais consciencieusement appliquer chaque soir sur mes plaques.
J’ai aussi expérimenté un certain nombre de traitements homéopathiques, à l’aide d’une sorte de savant fou qui pensait que je devais prendre du lait de chèvre parce que les chèvres, comme les humains, n’ont qu’un estomac, contrairement aux vaches, qui en ont trois. Je vous épargnerai les autres théories de cet homéopathe.
J’ai également vu un sophrologue, un vieil homme qui fabriquait ses crèmes lui-même, et grattait mes plaques chaque mois à l’aide d’un scalpel. Je souffrais atrocement lors de ces séances, et rien n’y a fait, on a donc arrêté. Je devais avoir une dizaine d’années, à l’époque. On est aussi allés chercher de l’eau dans une source que l’on disait magique, qui soignait les maux de la peau. Mais non, bien entendu, même Sainte Clothilde n’a rien pu faire contre mes vilaines plaques !
Grandir avec le psoriasis
En marge de tous ces traitements, les complexes sont rapidement montés
. A l’école, certains parents demandaient à ce que leurs enfants soient placés dans une autre classe que la mienne, par peur de la contagion. Je devais présenter un certificat du médecin chaque année pour pouvoir me rendre à la piscine (des fois que je répande le mal démoniaque partout où je passe, voyez).
Mais personnellement, la piscine ne m’intéressait guère, au contraire. L’idée de montrer mes bras et mes jambes m’écoeurait. Je connaissais déjà, enfant, les regards des gens. Des adultes. Des parents. Les grimaces de dégoût, les mouvements de recul. Les enfants posent les questions, c’est beaucoup plus sain. « Qu’est-ce que tu as, aux coudes ? – C’est des boutons, c’est pas contagieux ». Et je tirais sur mes manches, puis on allait jouer dans la cour de récréation. Les parents, eux, attendaient des mois avant d’aller voir la maîtresse ou ma mère pour savoir si j’étais brûlée ou malade, si j’étais un danger pour leurs mômes normaux, eux, et qui n’avaient pas à supporter un entourage direct tel que moi.
Adolescence + Psoriasis = Enfer quotidien
Alors voilà, à partir de l’adolescence, je dirais, ça a été encore pire. J’ai arrêté tous les traitements, j’ai pris conscience que j’en avais assez de jouer les cobayes pour des charlatans (ou simplement des incompétents). Mais les complexes, la honte sont restés. Les pulls, les pantalons en toute saison. Pas d’exposition, sauf quand j’étais à la maison, et à quelques occasions où je faisais un effort. Je me grattais sans cesse, tâchant tous mes vêtements, mes draps de sang. Je me grattais tant que ça me brûlait, j’en pleurais parfois de douleur. Mais la démangeaison était bien là, et s’ajoutait à la douleur des regards dégoûtés que l’on posait sur moi lorsqu’on apercevait un morceau de peau atteint.
Toute la période collège/lycée s’est déroulée comme ça. Je me cachais, et lorsqu’on apercevait ma peau, j’étais agressive, prête à me défendre. Finalement, je le cachais autant à eux qu’à moi. Je détestais être une bête de foire, j’avais presque envie de frotter mes bras sur eux et de ricaner en les voyant essayer d’enlever les petites particules blanches qui restaient.
Acceptation…
Puis j’ai grandi, j’ai vieilli, un peu. Et les autres, aussi. J’ai réalisé que la plupart des gens l’acceptaient plutôt bien, désormais, et je pense que ça a joué un grand rôle dans mon acceptation de la chose. Depuis quelques années maintenant, j’ai les bras et les jambes nus l’été quand il fait chaud, parce que c’est normal. Et quand quelqu’un me fixe (imaginez le métro parisien bondé, quand tout le monde s’écarte à votre passage parce qu’ils ont peur que vous les effleuriez de votre peau souillée, quitte à se vautrer contre les portes noires de crasse), alors je mets mes plaques en évidence. Je remonte encore plus mes manches, croise les bras et je les dirige bien vers le regard insistant, et je regarde à mon tour cette personne, fixement. Et je ne suis pas la plus gênée (ce n’est pas malin, mais que voulez-vous, c’est si bon).
Je crois que j’ai réalisé qu’il était temps d’avancer quand j’ai croisé une dame, dans les rues de Rennes, un beau jour. Elle arrivait face à moi, son sac à main bien coincé sous son aisselle, son brushing parfaitement coincé sous les épingles de son chignon, sa dignité bien coincée entre les plis de sa bouche pincée. Elle fixait mes bras, en faisant « clac-clac-clac » avec ses talons sur les pavés. Le temps de faire les quelques mètres qui nous séparaient, elle n’a pas quitté mes bras des yeux, et sa bouche s’est encore davantage tordue, son nez s’est plissé comme si elle avait senti une odeur nauséabonde. Et là, alors qu’elle n’était qu’à un ou deux mètres, j’ai lancé mes coudes vers l’avant avec un grand « BOUH ». Elle a sursauté, s’est arrêtée un instant, et est repartie le nez en l’air, en laissant sa dignité entre deux pavés. Et moi, j’ai ri, de concert avec une bonne partie des gens présents. C’est l’anecdote qui a tout déclenché, je pense (l’envolée du complexe et la prise de confiance).
…Et Résolution
Parce que je ne suis pas une bête de foire. J’ai quelques centimètres carré de peau qui n’ont font qu’à leur tête, certes. À leur guise, si ça leur fait plaisir. Ce n’est à priori dangereux ni pour moi, ni pour les autres. Et on s’y fait. On se fait à la démangeaison. Quand je me gratte la tête, oui j’ai l’air un peu bête, comme la connasse de la pub pour Head&Shoulders. Il m’arrive encore de saigner, mais c’est devenu rare. J’accepte les obligations qui découlent de mon psoriasis : j’ai travaillé pendant deux ans dans un magasin de vêtements pour payer mes études. Le patron m’a dit d’entrée « Je t’embauche, mais il faudra que tu couvres tes bras, tu risquerais de faire fuir les clients ». Ça a l’air tout à fait déplacé comme ça, mais il l’a assumé, on en a parlé sans aucun souci. Alors on a fait le tour du magasin ensemble, pour trouver des vêtements couvrants légers, pour l’été, qu’il m’a fournis.
Ça a été plus difficile lors de mon premier stage dans un institut parisien, à la clientèle très, très aisée. Au bout de trois mois de stage, la patronne qui vous assène « Il faut que tu couvres tes bras, ça fait pas hygiénique », c’est dur. Le choix du terme, le regard dégoûté. C’est ainsi.
Et la situation est la même pour tous ceux qui présentent une « particularité physique » que tout le monde ne comprend pas : eczéma, psoriasis et autres dermatoses. Oui, ces problèmes sont moches. Mais pas plus qu’un regard de veau ignorant fixé dessus, à mon avis.
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Les Commentaires
Et ça c'est le signe que tout le monde a ses soucis. Tout le monde. Même la vieille connasse qui a regardé la Madz avec dégoût dans la rue.
Moi j'ai de l'eczéma depuis toujours. J'ai vu 50 dermatos, des magnétiseurs, j'ai fait des régimes soit disant miracle, j'ai été observée sous toutes les coutures, je me suis retrouvée un nombre incalculable de fois en petite culotte devant des médecins qui redoublaient d'idées idiotes pour exorciser le démon.
Et puis un jour je me suis rendue compte que mes crises étaient dues à mes émotions, tout simplement. Peur, stress, chagrin. J'ai passé des mois à me gratter le crâne jusqu'au sang, j'ai été jusqu'à arracher la peau entre mes doigts avec des ciseaux parce que mes ongles ne me soulageaient plus lorsque j'ai connu des périodes difficiles. La plupart du temps mes proches ne font pas le rapprochement, et je n'ai pas envie de devoir en parler, donc je sais pas trop ce qu'ils pensent. Sûrement que je refuse juste de me soigner parce que je suis têtue !
Je sors d'une phase de galère professionnelle, il me reste des plaies pas tout à fait cicatrisées entre les doigts. Samedi j'ai été faire mes ongles chez l'esthéticienne, quand elle a touché ma main elle l'a lachée d'un seul coup, comme s'il y avait eu une tarentule entre mes doigts. Je l'ai trouvée ridicule. Elle elle a une maladie qui lui fait perdre ses cheveux de manière plutôt moche, et je la regarde pas comme une bête curieuse. On a quel âge pour pas savoir se tenir comme ça ?
Bref, je suis sûre que tout le monde a quelque chose qui le gène et qu'il aimerait que personne ne voit.
Pensons à ça quand on se sent attaqué !
Courage les Madz, on peut pas lutter contre la bétise des gens mais on peut se serrer les coudes.