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Moi, moi et moi

Lettre d’amour à une amie alcoolique

Le témoignage extrêmement touchant d’une madmoiZelle, cette lettre à une amie perdue dans la boisson, avec l’espoir qu’elle en sorte avant qu’il ne soit trop tard.

Ma chérie,

Hier, tu m’as dit que je n’étais plus ton amie.

En effet, j’ai fait l’erreur de te dire une phrase que tu n’avais pas envie d’entendre : que tu pouvais t’en sortir. Ça t’a fait pleurer. Parce que tu n’y crois pas, peut-être. Parce que tu ne le veux pas, surtout. Aujourd’hui, tu ne veux que t’enfermer dans ta détresse, te laisser couler, et te dire que personne ne peut rien pour toi. Alors forcément, tous ces gens autour de toi qui vivent, qui te soutiennent, qui t’aiment, tu veux t’en débarrasser.

Cela fait longtemps maintenant, que quand je te dis qu’il y a une issue à tout ça, tu détournes le regard, et que tu changes de sujet. Hier, tu as utilisé cette phrase que j’ai prononcée comme prétexte pour me mettre à la porte, pour me dire que, non, tu ne me répondrais plus. Au fond, ce n’est que la suite logique des ce message que tu m’as envoyé, « Je n’ai pas répondu parce que je veux qu’on me laisse crever toute seule ».

Tu veux disparaître, n’exister pour personne, t’enfermer dans ta solitude et te laisser couler dans ton alcool. Est-ce que c’est pour ne pas faire souffrir ton entourage ou parce que ton entourage te fait souffrir ? Je ne sais pas. Toujours est-il que tu t’isoles avec tes bouteilles vides. Tes seules amies, que tu côtoies le soir avant de partir pour ton boulot où tu te fais exploiter. Où seul le regard libidineux de ces hommes posés sur toi quand tu danses et leurs mains baladeuses quand tu les sers te donnent de la valeur. La valeur de ton corps, qui sait encore séduire. Parce que tu ne connais plus la valeur de ton esprit, de ton humour, de ta joie.

Moi je sais qu’elle est toujours là, cette adolescente que j’ai aimée, avec son esprit, son humour et sa joie. Je la vois dans tes gestes, je l’entends dans ta voix. Et peu importe ce que tu en dis, peu importe le nombre de portes que tu mets entre nous, je suis quand même là. Je suis là parce que tu comptes pour moi. Je suis aussi là parce que c’est la seule façon qu’il me reste de me sentir utile.

On me dit qu’on ne peut pas sauver ceux qui ne veulent pas être sauvés. C’est probablement vrai. Tu ne veux de l’aide de personne. Si ce n’est ce gars. Cet homme, aussi paumé que toi, que tu aimes, et dont tu te persuades qu’il t’aime. Tu penses qu’il peut te sortir de ton trou ? Ou au contraire ne veux-tu que t’enterrer avec lui ? Peut-être qu’il pourra amoindrir tes souffrances, mais il ne te guérira jamais. Tu as beau l’aimer de tout ton cœur et de ce qu’il reste de ton foie, il n’est pas ta solution. Ça fait combien de temps maintenant ? 8 ans que je te connais. 6 ans que tu enchaînes troubles comportementaux, tentatives de suicide, comportements à risques, addictions diverses. Des années à te promener de bar en bar dans tes robes moulantes, pour te sentir en vie dans le regard des autres, englobée de désir, de risque et de silence.

Le silence. Celui-là même qui emplit ta maison, sans y laisser de place pour autre chose que le mal-être. Comme si la souffrance se transmettait de génération en génération. Comme si tu avais hérité de la dépression et des névroses parentales dans ce lieu lourd de douleurs silencieuses.

Pourtant je ne crois pas en la fatalité. Tu peux vivre heureuse. Tu ne veux pas l’entendre, mais le jour où tu seras prête, je serai encore là, à t’attendre. Je sais que tu me déteste d’être là, mais j’attends quand même, dans l’ombre, que tu choisisses de vivre. Mon père parle d’Ordalie

, cette volonté de mettre ta vie entre les mains du hasard, cette façon de dire que ce n’est pas toi qui décide, chaque fois que tu prends juste assez de médicaments pour te tuer, chaque fois que tu bois juste assez pour ne pas savoir chez qui tu dors le soir. Un jour viendra où tu réaliseras que la joie, les projets, l’affection, tout ce qui fait ce qu’on appelle communément le Bonheur, ne t’est pas inaccessible. J’espère qu’alors, il ne sera pas trop tard.

Me voilà donc à attendre sans ne rien faire. Il est frustrant ce sentiment d’impuissance, de voir une chose se détruire sans pouvoir faire quoi que ce soit. Comme dans ces films, tu sais, où le public est spectateur d’un sale coup qui se trame, et qu’on veut tous hurler au héros « Mais ne fais pas ça, bordel ! » sauf qu’il ne nous entend pas et qu’il fait exactement ce qu’il ne faut pas. Tu vois ce que je veux dire, n’est ce pas ? Eh bien voilà. Je suis le témoin muet de ta tragédie.

Je te parlais tout à l’heure de l’héritage parental. Il se trouve que j’ai l’impression de suivre un peu la voie de mes parents sur ce point. Hier soir, quand je pleurais, mon père m’a expliqué, les larmes aux yeux, l’histoire d’une de ses amies. Elle a fait un Master de Psychologie sur la prise en charge de l’alcoolisme avec mon père, avant de travailler dans le servie d’Alcoologie d’un hôpital, et de devenir elle-même alcoolique (pour des raisons extérieures à son job). Comme elle connaissait toutes les ficelles des professionnels, aucune prise en charge n’était possible. Elle a donc passé 30 ans de sa vie entre cures, séjours à l’hôpital, et retours chez elle. Elle appelait parfois mon père au milieu de la nuit, perdue, bourrée à n’en plus savoir marcher, et quand il la raccompagnait chez elle, elle le suppliait pour boire encore. Dans ses moments de lucidité, elle se rendait compte qu’elle avait fait tellement de mal à son entourage que ni ses amis ni ses enfants ne lui parlaient. Et dans ces moments-là, ces courts instants avant de retomber dans les bouteilles et les médocs, il ne lui restait que quatre amis, mes parents et un couple qu’elle avait rencontré à la fac de psycho. Tu te rappelles du tableau moche dans mon salon ? Elle l’a offert à mes parents il y a 4 ans, le jour de leur mariage. Elle y était sobre, joyeuse, presque belle. Et puis elle est morte quelques mois plus tard dans des circonstances très douteuses.

C’est marrant… La fac de psycho, là où j’étudie aujourd’hui. Là où je pense à toi en cours de psychologie sociale, de psychopathologie, de philosophie de la psychologie. Question de destinée ? D’héritage familial ? Tu vois très bien de quoi je parle ; à toi la dépression, à moi l’empathie, on ne fait pas dans l’originalité. Mais ce n’est pas forcément un cadeau. Certains me disent de ne pas me faire du mal, que ça ne sert à rien de me prendre la tête. Mais ils ne comprennent pas pourquoi je souffre de te voir comme ça. Il ne s’agit pas de masochisme, il ne s’agit pas de culpabilité mal placée, il s’agit d’amour. J’ai de l’amitié pour toi, et j’ai foi en cette amitié.

Tel est mon message ; même si ce moment peut ne jamais venir, même si je recevrais peut-être un avis de décès avant, sache que le jour où tu en as besoin, que ce soit par détresse, pas volonté, par peur ou par espoir, je répondrais à ton appel. Parce que tu pourras toujours me considérer comme une amie. Tu en es toujours une pour moi. Il est possible que tu ne me reviennes jamais. Mais ça peut aussi se finir comme pour ma mère, qui ne voyait son amie que quand elle allait bien, une fois tous les 5 ans. Ou comme mon père, qui ne la voyait presque que quand il allait la ramasser sur le bord de la route. Et l’un comme l’autre l’ont aimé et se rappellent encore aujourd’hui des bons moments.

Cette lettre, je ne te l’enverrai pas. Tu la détesterais. Et puis de toute façon, tu ne la lirais pas. Je l’ai d’abord écrite pour moi, pour mettre des mots sur mes douleurs. Et puis par tradition. Comme toutes ces autres lettres que l’on s’est échangées pendant tant d’années. Elles sont encore là, dans un tiroir sous mon lit. Elles m’ont forgées, elles font partie de ce que je suis aujourd’hui. Et toi aussi.

Ton amie.

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Les Commentaires

38
Avatar de MollyDreams1
1 mai 2017 à 11h05
MollyDreams1
Quel fléau cette maladie... :/
0
Voir les 38 commentaires

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