John Oliver a un don pour mettre le doigt là où ça fait mal, tout en humour british et en sarcasme corrosif. On l’a vu résumer avec brio la polémique entourant la neutralité du Net, taillader la très controversée FIFA pendant la Coupe du Monde 2014 et, plus récemment, dénoncer sans mâcher ses mots les agissements des policiers à Ferguson, dans le Missouri.
Il s’est attaqué hier à l’écart de salaires entre hommes et femmes aux États-Unis, un problème dénoncé à de nombreuses reprises par le président Obama. Problème ? Sa propre administration n’est pas vraiment irréprochable sur la question… Vidéo complète et traduction intégrale juste dessous.
Les femmes. Que veulent-elles ?
Cette question a taraudé des gens aussi importants que Mel Gibson, star de cinéma et humaniste notoire, avec son film Ce que veulent les femmes. À ne pas confondre avec sa suite, qui a connu bien moins de succès, Pourquoi les Juifs ?.
Ce que veulent probablement la plupart des femmes aux États-Unis, c’est être payées autant que les hommes. Et un mec quelque peu important est d’accord avec elles.
Barack Obama : « Les femmes méritent un salaire égal pour un travail égal ! » Journaliste : « L’égalité des salaires a vraiment pris une place importante dans votre présidence, c’est devenu un thème principal de votre séjour à la Maison Blanche. »
C’est tout à fait juste. C’est mieux que d’autres thèmes choisis par des Présidents dans le passé, comme « Enfermons les Japonais » et « À bas la vermine Séminole ». Malheureusement, comme souvent pour Obama, son but louable a été rapidement terni.
Obama : « Aujourd’hui, en moyenne, pour le même travail, une femme gagne 77 centimes pour chaque dollar gagné par un homme. À travail égal, salaire égal ! Ce n’est pas si compliqué. »
Bah oui ! Ça ne devrait pas être si compliqué, et sauf si Obama a ignoré quelque chose qui complique sérieusement cette situation, on devrait être bien.
« En 2013, sous Obama, les employéEs de la Maison Blanche touchaient moins de 88 centimes pour chaque dollar gagné par un employé masculin. »
Euh… ok ! C’est pas grave ! Peut-être que ça veut juste dire que le Président était 88% sincère quand il parlait d’égalité des salaires ! Et si on arrondit, bon, ça fait quasiment 100%, hein, alors de quoi on se plaint ?
Du coup, les gens se sont tous concentrés, non pas sur la façon de régler ce problème, mais sur la façon de le quantifier.
« Le Ministère du Travail parle de 81 centimes… » « Un autre sondage fédéral parle de 88 centimes… » « Les études montrent qu’on a un écart de salaires d’environ 9%. » « L’écart des salaires est entre 5 et 7 centimes. » « Les femmes qui ne se marient pas ne sont virtuellement pas touchées par l’écart des salaires. Elles gagnent 96 centimes pour chaque dollar que gagne un homme. »
Même si 96 était le chiffre correct (ce qu’il n’est pas)… c’est quand même terrible ! Laissez-moi vous expliquer ça de façon simple. Si quelqu’un fait caca sur mon bureau, le problème ne se situe pas dans la taille du caca. Je ne vais pas dire « Bon, c’est un caca gros comment ? 10 cm ? 15 ? Oh, seulement 5 ? Bon, c’est presque comme si tu n’avais pas du tout fait caca sur mon bureau ! ».
Voilà où on en est. L’Equal Pay Act du Congrès a été démoli, et apparemment, il n’y a rien de concret à l’horizon. Mais selon certains, ce n’est pas un souci ! Parce que non seulement l’écart de salaires est quasi-inexistant, en plus, dans les cas où il existe, c’est en fait de la faute des femmes.
Brit Hume, analyste politique chez Fox News : « Les femmes font des choix différents dans leur recherche d’emploi, elles prennent des décisions différentes quand on parle de mariage et d’enfants. Quand on prend en compte ces critères, des études ont montré que l’écart de salaires disparaît. »
Classique ! Les femmes sont moins bien payées parce qu’elles choisissent d’avoir des enfants. Enfin, pour être honnête, elles n’ont pas vraiment choisi d’être le seul genre biologiquement capable de porter un bébé… à l’exception notoire des hippocampes et d’Arnold Schwarzenegger dans Junior. Le second argument disant que l’écart de salaires est de la faute des femmes, c’est qu’elles choisissent des professions qui paient moins bien.
Cathy McMorris Rodgers, vice-chef de conférence au parti Républicain : « Quand on compare les hommes et les femmes, au même poste, avec autant d’expérience, le même parcours, il n’y a pas d’écart de salaires. Il faut regarder le poste et comparer ce qui est comparable, pas choisir ce qui nous arrange. »
Ok, comparer ce qui est comparable, ok. Du coup, j’ai une question : et ça, t’en dis quoi ?
Sarah Crawford, National Partnership for women & families : « Une étude récente est parue, par l’université de Yale. Des professeurs recevaient deux C.V. identiques, l’un au nom de John, l’autre au nom de Jennifer. Le candidat masculin a eu plus de succès et on lui proposait, en moyenne, 4000$ de plus à l’année qu’à la candidate féminine. »
Donc soit on s’attaque au noeud du problème pour lutter contre les courants sexistes de notre société, soit… les femmes changent tout bêtement leur prénom en « John » ! Bien sûr, ce sera un peu perturbant au début, mais vous aurez 4000$ de plus par an ! Et ne désespérez pas tout de suite : apparemment, si les femmes tiennent bon, il y a de l’espoir.
« Si vous n’êtes pas mariée, sans enfants, et que vous avez entre 35 et 43 ans, les statistiques montrent que vous gagnez en moyenne 1,08$ pour chaque dollar gagné par un homme. »
Et voilà, mesdames ! Il vous suffit de rester célibataire, de ne pas tomber enceinte par accident, et ne jamais avoir 44 ans, et vous serez blindées de thunes !
Payer des gens moins bien pour un travail égal, c’est mal, clairement. Même les singes savent ça. Des scientifiques ont organisé un test : deux singes réalisaient exactement la même tâche. L’un était payé avec un raisin, l’autre avec un morceau de concombre. Regardez donc la réaction de celui qui a le concombre quand il se rend compte qu’il est sous-payé !
Hey ! Hey ! Calme-toi, le singe ! Tu ne connais pas le parcours et l’expérience de l’autre singe ! Vous avez simplement fait des choix de vie différents ! En plus, un bout de concombre, c’est « virtuellement la même chose » qu’un raisin.
Il y aura toujours des gens prêts à payer les femmes moins bien, même si on parle de, je sais pas, 83 centimes pour chaque dollar. Mais si on ne légifère pas, il faut au moins pointer du doigt ceux qui choisissent d’agir ainsi. Voici ce qu’on propose.
« Êtes-vous un homme d’âge mûr dirigeant une firme financière ou un conglomérat multinational ? Êtes-vous agacé par les demandes absurdes de vos employéEs qui ne cessent de vous embêter avec leur « égalité des salaires » ?
Et si je vous parlais d’un nouveau produit révolutionnaire, qui vous permet de payer les femmes autant que les hommes, sans sacrifier le fait bien pratique que vous les payez moins ?
Découvrez les LadyThunes ! Des dollars pour vos employéEs, qui valent seulement 83 centimes pour chaque dollar ! Les LadyThunes sont la nouvelle monnaie pour les femmes, créée par la réserve fédérale et les créateurs de la serviette hygiénique Playtex Gentle Glide 360.
Disponibles dans des couleurs et des parfums variés, les LadyThunes sont à l’effigie des plus célèbres présidentes américaines, comme Gena Davis, Julia Louis-Dreyfus et Laura Roslin de Battlestar Galactica, qui n’est devenue présidente qu’après l’extinction de la quasi-totalité de l’humanité. C’est une somme qui peut être décrite comme « virtuellement la même », et qui ne fait que refléter les choix différents faits par les femmes… ainsi que des conneries tordues sorties tout droit de Mad Men.
Alors pourquoi ne pas essayer les LadyThunes, et montrer aux femmes de votre entreprise qu’elles sont vraiment à 83% uniques ?
(Les LadyThunes ne conviennent pas à tout le monde. Consultez votre avocat avant d’utiliser les LadyThunes. L’utilisation des LadyThunes peut donner lieu à des procès à grande échelle, à de la mauvaise publicité, à des difficultés pour garder votre personnel, ou à un coup de pied dans votre bite.) »
Laissons donc les conservateurs et autres patrons sexistes ramasser leurs dents après cet uppercut de sept minutes, et traversons l’Atlantique pour observer ce qu’il se passe chez nous.
L’égalité salariale en France
Le
site gouvernemental dédié aux droits des femmes a consacré de nombreux dossiers à l’inégalité au travail. Vous pouvez retrouver les chiffres-clefs ici, dans la liste de fichiers PDF disponibles à la fin de l’avant-propos de Najat Vallaud-Belkacem. On y lit que :
« Dans le privé, tous temps de travail confondus, en 2009 la rémunération annuelle des femmes est inférieure de 24% à celle des hommes (Dares, Analyses, n° 106, mars 2012). En prenant uniquement les salaires des travailleurs à temps complet, le salaire net mensuel moyen d’une femme est dans le secteur privé et semi-public inférieur de 19,3% à celui d’un homme en 2011. »
La Ministre met en place des actions concrètes pour lutter peu à peu contre cette injustice, notamment via la loi pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, récemment adoptée.
Le 7 avril, à l’organisation de la Journée de l’Égalité Salariale, une application a été lancée. Leadership Pour Elles vise à redonner confiance en elles aux femmes dans un cadre professionnel, à les motiver à négocier leur salaire, à prendre conscience de la valeur de leur travail, de leur expérience…
La réforme du congé parental vise également à limiter les dégâts que l’arrivée d’un enfant peut avoir sur les carrières des femmes. Elle permettra également, espérons-le, de calmer les craintes des patron-ne-s craignant trop souvent d’embaucher des femmes qui « risquent » de partir en congé maternité. Étrangement, les hommes ne sont pas vus, eux, comme des machines à procréer en puissance…
À lire aussi : Moi, mes compétences, et… mon utérus — Témoignage
Merci donc à John Oliver pour son enquête sans concessions sur l’inégalité salariale aux États-Unis, et espérons qu’ici comme ailleurs, les choses bougent rapidement et que ces injustices d’un autre siècle disparaissent !
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Les Commentaires
Je pense qu'on utilise ces chiffres parce qu'ils sont parlants mais clairement ils ne veulent rien dire parce qu'on fait des moyennes de moyennes de moyennes et au final, comme le montre la vidéo, on finit par se disputer sur les chiffres au lieu de s'interroger sur les vrais problèmes
D'ailleurs y'a des tas d'autres chiffres qu'on pourrait considérer comme la différence à l'embauche entre un jeune diplômé et une jeune diplômée, le nombre de femmes qui sont à temps partiel (pas forcément choisi...) et d'autres !