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Webroman « Alive » / Chap. 17 : Clovis

Être un salaud est un boulot à plein temps. Il faut constamment réfléchir à la façon dont vous agissez, à ce que vous ferez ensuite et surveiller ce que vous dites de très près. Un salaud ne peut se permettre de dire quoi que ce soit de trop et il doit toujours veiller à garder une distance respectable avec les gens qui l’entourent pour ne pas se compromettre.

Vous passez votre adolescence à prendre les filles avant de les jeter sans même vous rappeler leurs noms. Elles défilent plus vite que les jours de la semaine et ça tombe bien : vous vous lassez très vite. Alors vous changez toujours, vous réinventez votre charme à chaque instant et vous avez un avantage non négligeable sur vos proies : Dieu ou qui sais-je d’autre vous a fait beau. Terriblement beau.

Votre vie n’avait pourtant pas si mal commencé. Vous étiez un gamin adorable né de parents modestes qui vous aimaient et se démenaient pour que votre avenir soit meilleur que le leur. Vous voyagiez très peu et n’aviez vu du vaste monde que les limites du petit village d’Aquitaine où vous aviez grandi. Une fois, votre père vous avait emmené voir l’Océan et vous aviez pique-niqué sur la plage. Vous vous étiez senti comme un Roi.

Et puis, vos douze ans révolus, une chose inimaginable s’était produite : votre père avait gagné au Lotto. Pas n’importe quoi, le gros lot. Beaucoup de millions. Il jouait depuis des années sans réel espoir de gagner, juste pour perpétuer une sorte de tradition : son père jouait chaque semaine avant lui. A sa mort, le vôtre avait repris le flambeau.

Vous aviez alors pensé à toutes les merveilles que vous alliez pouvoir posséder. Votre vie avait changé, du jour au lendemain. Vous avez quitté Saint-Laurent-des-Combes pour Paris et vos plaisirs simples pour une vie de Prince. Les premiers mois avaient été quelque chose entre le rêve et l’impossible. Vous pensiez que vous ne pouviez pas être plus heureux. Qu’il n’aurait rien pu vous arriver de mieux.

Vous n’imaginiez alors pas à quel point vous pouviez avoir tort.

Votre père a placé son argent, jouant avec la bourse comme on joue au jeu de l’Oie. Il s’est mis à voyager. Énormément. Envolé, le papa qui vous emmenait voir l’Océan ou jouer au foot le dimanche après midi. Il fréquente les plus grands hôtels du monde et ne rentre que rarement. Vous avez sans doute des demi-frères et sœurs partout dans le monde.

Votre mère s’est installée dans le luxe et se roule dans la paresse. Après avoir travaillé dur toute sa vie, l’oisiveté la tue à petit feu. Elle est devenue alcoolique et ne prend même plus la peine de vous cacher ses amants.

Votre vie est un putain de cliché.

Mais vous avez tout ce que vous aviez toujours voulu avoir, de quoi pourriez-vous donc vous plaindre ? Votre nouvelle vie ne sera ni reprise ni échangée, merci, au revoir. Vous voudriez retrouver vos parents d’avant, ceux qui se souciaient de votre bien-être ? Vous pouvez crever.

Les gens ont vraiment un gros problème : ils ne cessent de confondre avoir et être.

Alors vous vous vengez sur des connasses qui ne vous ont rien fait et qui sont par ailleurs probablement parfaitement adorables. Vous les prenez, les jetez, oubliez les prénoms quand vous avez même daigné les demander.

Vous entraînez votre image de salaud toute votre adolescence. Vous avez tous les atouts : vous êtes beau, riche et vous avez un charme fou. Elles tombent toutes. Et puis invariablement, elles pleurent. Au début, vous aimiez cela : vous imaginiez qu’elles partageaient ainsi vos regrets, votre propre désespoir. Très rapidement, vous vous rendez compte qu’elles ne pleurent que sur elles-mêmes tout comme vous et ça vous gonfle.

Vous tentez donc un genre différent. Le genre de nanas qui est d’un milieu inférieur au vôtre mais le schéma se répète en pire : elles n’en veulent qu’à votre argent et elles sont tenaces. Vous pétez les plombs une fois de trop et démontez n’importe laquelle de ces putes dans un bar minable.

Vous passez la nuit en prison.

Et le jour d’après aussi. Votre mère est injoignable. Depuis quelques temps, l’alcool la ronge complètement. Elle oublie des tas de trucs et s’endort n’importe quand. Elle en est à son deuxième coma du mois. Vous frappez sur les murs de votre cellule jusqu’à ce que vos poings saignent et puis vous attendez. Vous prenez votre mal en patience. Quelqu’un se souviendra peut-être que vous existez.

Cette fille débarque. Blonde, des yeux très bleus, terriblement bien foutue. Elle a cette aisance propre aux natifs, aux héritiers. À cette classe à laquelle vous n’appartiendrez jamais malgré tous les efforts de vos parents. Vous resterez toujours un parvenu, un paria.

Elle paie votre caution. Elle s’appelle Jade et elle a entendu parler de vous. Alors elle a voulu jeter un œil et comprendre le bordel que le tout Paris faisait autour de votre petite personne.

Elle vous offre un café et il ne faut pas quarante minutes pour que vous lui offriez une chambre d’hôtel. Elle est étonnante. Et putain vous n’aviez jamais rien connu de tel. Vous la baisez, encore et encore et puis vous vous rhabillez et vous partez. Vous avez une réputation à conserver.

Elle vous harcèle au téléphone pendant des jours. Elle est plus coriace que toutes les autres. Vous feriez n’importe quoi pour qu’elle cesse alors vous faites une connerie : vous l’invitez à Jouer avec vous.

Le Jeu est une chose merveilleuse que vous avez découverte par hasard. Vous vous promeniez sans but dans les rues de Paris, vous aviez seize ans et votre vie ne rimait à rien. Vous veniez d’abandonner une énième fille dans son lit sans même lui dire au revoir. Vous avez entendu un bruit de moteur et, juste comme ça, étiez allez voir ce qu’il en était.

Vous étiez tombé sur deux voitures grondantes, fonçant à toute vitesse l’une vers l’autre. Une blonde sublime conduisait l’une des deux. Au volant de l’autre, un garçon à peine plus vieux que vous, au visage creusé. Par réflexe, vous aviez filmé la scène.

Aucune des voitures ne semblait vouloir dévier de sa trajectoire et vous étiez resté captivé jusqu’au moment ou la blonde avait brusquement quitté la route, évitant de justesse l’autre. Vous vous étiez approché pour comprendre le but de ce jeu aussi risqué que séduisant. Une naïade aux longs cheveux noirs s’était interposée, menaçante.

« Casse-toi.

– J’ai filmé toute la scène, je pourrais aller montrer ça aux flics. »

Vous bluffiez, vous étiez complètement saoul et la fille avait claqué dans les doigts. Un type étrange, bien plus vieux s’était approché et vous avait cogné si fort que vous aviez vu des étoiles.

« Casse-toi, je te dis. »

Vous aviez brandi votre téléphone portable qui jouait en boucle les images du pari insensé. Le type qui conduisait la voiture avait rejoint le groupe, victorieux et vous avait demandé, d’une voix si profonde que vous en étiez resté subjugué :

« Qu’est-ce que tu veux, gamin ?

– Je veux jouer avec vous. »

Vous aviez prononcé les mots clés sans y prendre garde et votre vie avait pris un tour radicalement différent. Vous aviez intégré le Jeu et très vite, c’était devenu la seule chose de votre vie à laquelle vous teniez.

La blonde sublime s’appelait Catherine, la naïade Lise et le type louche qui vous avait frappé, Tristan. Kydd, qui avait gagné le défi vous avait présenté Alexandre, la cinquième et dernière recrue du groupe. Avec eux, votre vie avait changé. Vous aviez recommencé à vous sentir vivant.

Jusqu’à cette fille, qui vous avait sorti de prison. Elle vous avait tellement cassé les couilles que vous l’aviez invité à rejoindre le Jeu. Vous n’aviez cessé de le regretter depuis.

Vous vous étiez juré depuis bien longtemps que jamais vous ne la remettriez dans votre lit. Vous avez fait l’erreur de ne pas tenir votre promesse et tout avait pris un tour terriblement bizarre depuis cette fois-là. Vous veniez de gagner contre elle et vous l’aviez achevée en l’abandonnant une fois de plus.

Il n’y aurait pas de fin heureuse pour vous deux, vous le saviez. Vous ne serez jamais capable d’aimer. Le Lotto avait acheté vos sentiments et les avait détruits pour toujours.

Mon portable sonne, je sursaute et reprends pied avec la réalité. Depuis combien de temps ne m’étais-je pas perdu dans mon passé ? Je ferme les yeux une seconde et décroche. C’est Kydd.

« On va avoir besoin de ta piscine, mon grand. »

Il raccroche sans que je puisse répondre et la chaleur de ce mois de juin m’accable. Je ferme les yeux et cogne la tête contre le mur le plus proche.

Il n’y aura pas de fin heureuse pour moi.

Pourtant, il y a un truc qui me chiffonne… Un truc que j’ai dit à Jade pour frimer et lui montrer que j’étais un type cultivé, quand nous avions pris un café, la première fois…

« Vous n’êtes pas jolie, vous êtes pire. »


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

5
Avatar de sarahlalala
2 juillet 2010 à 20h07
sarahlalala
Bon je lis depuis le début et je me dit qu'il faut que je m'exprime: j'aime!
L'alternance des personnages et du style dans la narration rend la lecture très dynamique je trouve (on est entraîné dans l'histoire quoi), et on a vraiment envie d'en savoir plus à la fin de chaque chapitre! J'aime beaucoup le personnage de Clovis donc ce chapitre m'a bien plu, malgré peut-être (comme l'a signalé une autre madz) un recul un peu trop important sur lui-même de la part du personnage. Mais j'accroche toujours autant à l'histoire, et j'ai hâte d'en savoir plus, particulièrement sur Kydd et sur Lise! J'attends impatiemment la suite!!!
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