– Attention : certains paragraphes sont assez crus, et pourraient choquer les plus sensibles.
« Ma première fois, ce sera avec un Homme qui m’aimera. Avec l’homme de ma vie. Ce sera beau, romantique, plein de douceur ». Quand, à l’aube de l’adolescence, on pense à ce moment, un mélange de hâte et d’appréhension nous envahit. On imagine cet acte comme un acte d’amour, un don de soi, corps et âme, qui concrétise une relation magnifique. On se voit heureux, amoureux, pour un peu on visualiserait une belle plage de sable fin et un soleil couchant.
Cette vision des choses, je l’ai eue, j’y croyais. Jusqu’à que le destin en décide autrement. L’été de mes quatorze ans, une semaine à peine après mon anniversaire, tous ces beaux projets s’effondrent. Il a dix-neuf ans, il ne me plaît pas plus que ça, mais il a un certain charme. Je me laisse emporter par ses belles paroles, son humour. Lorsque ses mains commencent à dévier, je n’y prête pas attention, je ne comprends pas vraiment. De toute façon, dans une piscine publique, je ne risque rien, non ? Lorsqu’il me propose d’aller faire un tour, je le suis : hors de l’eau, il ne pourra plus me toucher, non ?
Lorsqu’il me pousse dans cette douche, et referme la porte derrière nous, je mets un moment à réaliser ce qu’il se passe. La chute est brutale lorsqu’il m’offre ce choix qu’aucune femme, et encore moins une fille de quatorze ans, ne devrait avoir à faire : fellation ou sodomie ? Face à mon absence de réponse, il prend lui-même la décision, armé de gel douche en guise de lubrifiant. Je me débats, mais la peur me paralyse. Je ne peux rien faire d’autre que contracter tout mon corps et me laisse glisser à terre, prostrée. Il s’énerve, force mes mâchoires. Le goût de son sexe dans ma bouche achève toute volonté en moi. Dans un état second, les larmes ruisselantes sur mes joues, je me laisse faire et encaisse sans un bruit ses coups de butoir lorsqu’il me pénètre, appuyée contre le mur de carrelage froid. Je me laisse aussi faire lorsqu’un peu plus tard, il passe le relais à un ami à lui, qui jouit dans ma bouche sous les yeux de toute sa bande de copains voyeurs, hissés en haut du mur de la douche pour profiter du spectacle.
« J’ai quatorze ans, et je suis une salope«
Le soir même, sans trop réaliser ce qui est arrivé, je couche sur le papier les détails de cette après-midi d’horreur. Sur une feuille quadrillée rose, avec mon écriture enfantine et ronde, mon récit commence et ces mots apparaissent : « J’ai quatorze ans, et je suis une salope
». Encore aujourd’hui, huit ans plus tard, je ne suis pas convaincue d’avoir été violée. J’ai en moi cette culpabilité. Pourquoi n’ai-je pas crié ? Dans un lieu public, quelqu’un m’aurait forcément entendu. Pourquoi ne pas m’être débattue plus fort ? Pourquoi, dès le lendemain, n’ai-je pas prévenu mes parents, porté plainte ? Je connaissais son prénom, je savais où il vivait, j’avais même son numéro de portable. J’ai ce goût amer dans la bouche quand je pense à la fierté que j’ai ressentie dans un premier temps en le voyant s’intéresser à moi. J’étais importante, je lui plaisais. Je l’ai dragué, j’ai flirté en quelques sortes. Comment puis-je dire, en toute honnêteté, que je ne l’ai pas un peu allumé ? Que je ne lui ai pas envoyé certains signaux qui l’ont encouragé ? J’ai ma responsabilité dans tout ceci, je ne peux pas me positionner en victime.
Après un an d’enfer, à affronter l’incompréhension des autres face au changement de mon comportement, à garder pour moi tous ces souvenirs, pour les enterrer, pour ne pas être jugée, à me renfermer dans mon mutisme car je ne savais plus qui j’étais ni où aller, je prends un nouveau départ. Puis un homme entre dans ma vie. Il est gentil, beau, il me donne confiance. Ce soir pluvieux de décembre, quand il arrête la voiture sur un parking désert, que ses caresses se font plus insistantes, je le laisse faire. Plus tard, en rentrant chez moi, je me sens nauséeuse, j’ai des flashs qui envahissent mon esprit. Son visage se confond à celui de l’homme de la piscine. J’ai mal, mais les larmes ne coulent pas. Ma carapace commence à se former. Lorsque, quelques jours plus tard, j’apprends qu’il n’était pas sincère avec moi, qu’il avait simplement parié avec ses amis qu’il serait le premier à réussir à m’« avoir », le choc est brutal, mais j’encaisse sans sourciller. Cette fois, j’étais bel et bien consentante, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Et puisque je ne peux plus croire aux hommes et à l’amour, à moi d’inventer ma thérapie.
Un jeu sans enjeux
Pendant plus d’un an, le même schéma se répète inlassablement. Au moins deux fois par mois, je me réveille dans le lit d’un homme que je ne reverrai en général jamais. Je les choisis, parfois un peu au hasard, parfois par réelle attirance, parfois parce qu’ils m’intriguent ou semblent hors de portée. Les règles du jeu sont simple : c’est moi qui décide d’avec qui je finirai ma nuit, je n’attends pas que l’un d’eux m’approche. Je les laisse faire ce qu’ils veulent de mon corps, et suis soucieuse de leur plaisir. Plus ils en prennent, mieux c’est. Quand ils jouissent, c’est moi qui dirige, je suis toute puissante. Je ne laisse pas mon numéro, je prends parfois le leur mais ne rappelle pas. J’aime ce contrôle que j’ai sur ma vie, cette impression de défier les lois et les conventions. Et chaque matin, quand je rentre chez moi, toujours la même conclusion : je l’ai fait. Je ne l’aime pas. Il n’avait sûrement aucun respect pour moi en tant que personne. Je n’ai pas spécialement pris de plaisir. Je ne le reverrai pas. Mais je suis bien là, vivante, et, je m’en persuade, heureuse. La vie continue, il n’y a pas de quoi dramatiser le sexe.
J’ai fini par me calmer. Peu à peu, j’ai appris à prendre en compte mon propre plaisir, à ne coucher avec un homme que si j’ai vraiment envie de lui, à reconnaître ceux qui me dégraderont. Mais le mal est fait. Désormais, je suis incapable d’allier dans mon esprit sexe et sentiments. Pour moi, le sexe n’est qu’un jeu. Je n’ai aucun scrupule à coucher avec un inconnu, un homme déjà engagé avec une autre, un ami… Je fais preuve d’un détachement à ce sujet qui intrigue, voire inquiète. Je ne me plains pas, j’aime ce que je suis devenue. Je me protège, je m’amuse, je prends même parfois mon pied. Mais je sais que cette barrière sera un frein plus tard. Car quand j’essaie de m’engager dans une relation sérieuse, dès que les sentiments apparaissent, le désir s’envole. Comme si en moi, au-delà d’être dissociables, le sexe et l’amour étaient purement incompatibles. De plus, la fidélité est une valeur qui m’est inconnue. Lorsque je le suis, c’est simplement par peur d’être surprise par mon compagnon.
Et si je ratais quelque chose ?
Je ne considère pas que ce que j’ai vécu m’ait brisée. Au contraire, je pense que cela m’a construite. Je suis épanouie, heureuse en général, je suis entourée de personnes qui m’aiment pour ce que je suis. Je suis très indépendante, je n’ai besoin de personne pour avancer. Mais parfois, quand je pense aux hommes adorables qui ont tenté de partager ma vie, à ceux qui, sous le couvert de leur pseudo-respect à mon égard, ne voient en moi qu’un jouet sexuel, quand je me moque de ceux qui ne peuvent que « faire l’amour », avec les sentiments que ça nécessite, je me dis que je passe à côté de quelque chose. Alors, je me dis qu’un jour peut être tout cela changera. Mais au fond de moi, je ne suis pas certaine d’en avoir envie. Alors en attendant, je profite de la vie et de tous les plaisirs qui me sont offerts.
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Les Commentaires
Ca à falli m'arriver sauf que le mec je l'ai maitrisé et heureusement car moi je pense ne pas pouvoir survivre à une telle horreur sérieusement je connais beaucoup de femmes violées dans mon entourage je me demande comment elles ont fait pour survivre à un tel cauchemar
Bon courage à toi