17 janvier 2011. Moi et mon ébauche de mémoire à terminer posons les pieds sur les pavés humides et pas très droits d’une petite ville de Galice dont nous ne connaissons qu’à peine le nom : Saint-Jacques-de-Compostelle.
À ce moment-là, j’en veux encore un peu à mon master Erasmus (mundus) de ne pas m’avoir envoyée à Barcelone, comme tou-te-s les étudiant-e-s qui vont faire la fête et travailler (rayer la mention inutile) en Espagne. Ou dans le Sud, au moins, que j’aie du soleil, pas de la pluie. Qu’est-ce que les gens m’ont dit sur la Galice ? Le premier truc qu’ils m’ont tous dit ? Et à peu près le seul, d’ailleurs ?!
« C’est très, très vert. Et humide. Enfin, tu vois, quoi. »
Mais rassure-toi, lectrice : même si ce 17 janvier-là, il pleuvait effectivement à « Santiago » (et même si je suis une sale méditerranéenne qui s’acharne à faciliter le transit intestinal de tout le monde quand elle n’a pas son quota mensuel de soleil), il ne m’aura pas fallu plus d’une journée à arpenter la ville à la recherche d’un appart’ pour commencer doucement, mais sûrement, à en tomber amoureuse. Ceci est donc une belle histoire. Chabadabada.
Petit crachin, quoi (non).
Un petit bout de ville (avec plein d’étudiants dedans)
Quand je dis « arpenter », il ne s’agit (presque) pas d’une expression : Santiago, c’est une petite ville, avec un vieux centre et du plus neuf autour, et si le système de bus est plutôt bien fichu – bien qu’un poil kamikaze, à moins de viser les petits villages des alentours, on a plus vite fait d’y aller à pieds. Pour vous donner une idée, les facultés sont éparpillées un peu partout, la mienne était la plus excentrée, au nord de la ville, et même si je vis plus au Sud la promenade ne me prend qu’une demi-heure sans me presser. (Et puis au bout de quelques semaines à bien se familiariser avec la tradition de l’apéro-tapas, marcher au lieu de conduire devient bien plus qu’une option, mais nous y reviendrons.)
Certains d’entre vous commencent sans doute à se dire quelque chose dans les tons de « Pff, mais si c’est si petit, y a rien à faire, autant aller à Barcelone » (arrêtons avec Barcelone). Et je dois bien admettre qu’ayant passé ma tendre adolescence à me morfondre dans un bled paumé, c’est également ce que je me suis dit en arrivant. Enfin, juste après « Merde, mais il pleut vraiment en plus ».
En vérité, je vous le dis : oui il pleut, il bruine, y a souvent du brouillard dans les collines, mais c’est ce qui fait que les parcs sont si beaux quand le soleil revient, et puis ça fait tellement partie du décor que tu t’y habitues (ça plus le fait que quand tu es rond, ben tu sens moins la pluie), et c’est magique, c’est fou, mais c’est difficile de s’ennuyer dans le coin.
(Sauf le dimanche. Pays catholique, bonjour.)
Pourquoi ? Comment ? Par quel miracle ? Parce que Santiago, c’est une vieille ville historique, certes, mais c’est aussi une ville étudiante, à 35/40 min en train d’une autre ville étudiante plus grande, A Coruña. La combinaison en fait quelque chose d’à la fois beau, accessible, divertissant, avec une ouverture culturelle impressionnante, et surtout plein d’ambiance – des petits bars et restaurants éparpillés un peu partout qui côtoient vieux palais comme boîtes de nuit, aux musées, salles de concert et bibliothèques installés, souvent, dans des édifices datant du XVème ou XVIème. Sans oublier les innombrables petites boutiques, centres commerciaux et culturels et supérettes toujours pleines à craquer.
(Sauf le dimanche, toujours.) (Essayez, vous, d’avoir une soudaine et irrépressible envie de chocolat et tous les placards vides un dimanche après-midi. Qu’on rigole.)
« La zona vieja »
On aurait tort, en venant faire son touriste dans le coin, de dénigrer le reste de la ville, mais il faut bien admettre que Santiago, sans sa « zona vieja » (vieux centre), ben ça serait pas Santiago. J’ai d’ailleurs découvert en préparant cet article que la vieille ville de Saint-Jacques fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO, honte à moi. On dira que dans mon coeur, je l’ai toujours su. Voilà, voilà.
La « zona vieja », donc, c’est beau. C’est véritablement le coeur de la ville, puisqu’y siège l’immanquable Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle, où se trouve le tombeau de l’apôtre Saint-Jacques, qui attire des milliers de pèlerins chaque année
. C’est, au reste, une des caractéristiques de la ville, ça, les pèlerins : des gens qui, religieux ou non, ont parcouru plusieurs kilomètres (et ça se voit : un pèlerin, ça boitille) et qui battent le pavé de leurs bâtons en suivant les coquilles Saint-Jacques incrustées dans toute la « zona vieja » à la recherche de la place de l’Obradoiro, la cathédrale, pour enfin lâcher prise, s’allonger à même le sol, et admirer. Et mourir, à mon humble avis.
Au vu du prix moyen du loyer dans la région (pour environ 100m², coloc’ spacieuse de 4, ascenseur, en plein centre, à 2 min du vieux centre, je payais en moyenne 210€ tous frais compris), j’aurais pu me permettre de me trouver une coloc’ dans le vieux centre, nonobstant les problèmes de chauffage et d’infiltrations qui, du moins de mon point de vue, ne sont pas compensés par le cachet du coin. De plus, si les voitures n’y rentrent pas – il y en a qui ont essayé… – il s’agit, comme je le disais plus haut, du coeur de la ville : comprenez, en Espagne, des gens peu discrets, assez joyeux et plutôt imbibés, qui font la fête de minuit à 7h facile.
Ça ne m’a pas empêchée, ceci étant dit, d’y passer le plus clair de mon temps, de jour comme de nuit. Que ce soit pour aller me taper des flips à la bibliothèque générale située dans le Pazo de Fonseca, un bâtiment pire que vieux qui me faisait voir des des fantômes dans toutes les cages d’escalier, ou pour prendre un pot entre potes dans un cadre pas dégueu. Combien de fois ai-je fait un petit détour par le parc de l’Alameda, juste pour la vue imprenable de la Cathédrale dont je ne me lassais pas, avant de rentrer dans le vieux centre et remonter la Rúa do Vilar, pleine de petits commerces et de bars à tapas sous ses arcades…
Les Galiciens traversent sans trop faire attention – hormis pour enjamber les pèlerins – la place de l’Obradoiro, immense, entre hôtel de ville et Cathédrale en plein concours de « qui a la plus grosse ». S’attardent parfois sur la Praza do Toural où ont souvent lieu des rassemblements en tous genres (comme à l’occasion de la journée de la femme). Passent devant la faculté d’Histoire-Géo que toi tu prends pour un palais la première fois, remontent à la queue-leu-leu des ruelles minuscules qui donnent sur des gargotes insoupçonnées qui te serviront les meilleurs « chorizos al vino blanco », « tortillas de pulpo » et autres « empanadas » de ta vie. Oui madame. Et monsieur. (Ne vous tortillez pas comme ça, je réserve un article entier à la bouffe.)
J’ai fini par, moi aussi, faire tout ça avec un peu moins d’étoiles dans les yeux au bout de quelques semaines, mais sans jamais me lasser. La « zona vieja », je l’aie vue sous le ciel bleu, l’ai touchée d’un peu trop près dans le brouillard (bonjour le mur), l’ai trouvée un peu trouble après quelques verres de rioja, l’ai aimée un jour de pluie. Chabadabada, disais-je.
Une vie étudiante de rêve
Oui, parce que j’étais à Santiago en tant qu’étudiante, je vous le rappelle. On pourrait craindre, encore une fois, qu’une si petite ville, que les Galiciens qualifient souvent de « grand village », n’ait pas beaucoup à offrir à des étudiants, d’autant que c’est plein de vieux là-dedans. Pourtant, la plupart des étudiants que j’ai rencontrés étaient aussi amoureux que moi de la ville. Et non, pas qu’à cause de la fête et de la picole, je vous vois venir, vous. Disons que l’étudiant moyen, à Santiago, il est un peu comme un coq en pâte, puisque, parfois, « ville culturelle », ça veut aussi dire « couvons nos étudiants ».
D’ailleurs, on a le sentiment que le campus universitaire n’est rien d’autre que la ville entière : avec ses facultés d’économie et de lettres et langues au Nord, les sciences au Sud qui débordent un peu à l’Est et les facs d’histoire et de médecine qui étalent leurs bibliothèques un peu partout dans le vieux centre, on a de quoi se sentir cerné. La plupart des facs sont assez réputées, aussi, et on vient y étudier d’un peu partout.
La vie y est peu chère, et il est facile de très bien manger pour presque rien aux nombreuses cafet’ étudiantes. Pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans leurs études, des bourses ainsi que des appels à participation à des colloques dans le monde entier sont fréquemment proposés. Pour faire une pause, il y a des parcs un peu partout, comme celui de Bonaval, un de mes préférés, qui ressemble à un jardin perdu surplombant la ville.
Ce sont assez de motivations pour parvenir à se détourner de temps en temps de toutes les tentations de glandouille à portée de main que constituent les bars, le chocolat chaud à manger à la cuillère, le ciné pas cher, ou la maison de tes potes à 2 min à pied. Et de la motivation, j’en avais besoin pour finir d’écrire mon mémoire. Si vous êtes comme moi, et que vous désespérez toute la journée devant une page blanche pour avoir l’idée du siècle à 2h du matin, le rythme espagnol est celui qu’il vous faut : personne avant 10h le matin et bibliothèques ouvertes jusqu’à 3, voire 5h du matin, du monde dans les rues encore à 6h… Bref, une vie nocturne assez ancrée dans les moeurs pour pouvoir travailler la nuit tout en ayant une vie.
Oui, il y a des vieux (pardon aux vieux) à Santiago, mais il y a autant, si ce n’est plus, de jeunes. La jeunesse galicienne m’a en outre paru très active, impliquée dans la vie politique de son pays, et n’hésitant pas à descendre dans les rues pour se faire entendre. J’ai même eu l’occasion de scander « folga xeral » avec les autres. Ça veut dire « grève générale » en galicien. Je vous le dis parce que c’est à peu près tout ce que je sais en galicien, et que j’en suis fière, même si c’est pas facile à replacer dans une conversation.
Folga xeral !
« Ohlàlà » : être française en Galice
Finalement, malgré mes premières réticences et mon niveau basique d’espagnol à mon arrivée, je me suis vite adaptée, comme j’ai été vite adoptée. Si j’avais passé une bonne partie de ma vie à vivre à 2h en voiture de Barcelone (encore Barcelone), étantissue d’une famille catalano-espagnole, la Galice était une région de l’Espagne que je ne connaissais absolument pas. Mais ça n’empêchait pas qu’en Galice, j’étais française, étrangère à cette culture à part d’un pays que je pensais connaître – bien que je soupçonne aussi mon accent d’avoir contribué à la chose.
Les Galiciens, peut-être un peu bourrus au premier abord, sont en général des gens biens, habitués à voir débarquer des touristes, des pèlerins et autres voyageurs, et plus qu’heureux et fiers de partager leur culture (et leur bière – mais c’est la même chose). Je ne suis que rarement tombée sur quelqu’un qui refusait de passer du galicien à l’espagnol pour que je puisse mieux le comprendre, et ai pu constater une certaine ouverture d’esprit qui fait que l’on se lie facilement d’amitié avec des « gallegos ». D’ailleurs, je m’y suis fait des amis – de très bons amis.
Au bout de deux-trois jours à peine de recherche, je m’installais dans un appart’ au 6ème étage donnant sur les collines embrumées, avec trois Espagnols, qui s’en foutaient que je ne parle pas couramment la langue (ou alors juste pour m’emmerder) et m’ont tout de suite aidée à me sentir chez moi. Et encore aujourd’hui, quand j’y retourne pour revoir tous ces gens que j’y ai laissés, j’ai un peu le sentiment de rentrer à la maison.
(Surtout maintenant que je vis à Londres, et que je pleure quand je paie des tournées pour trois à 5€ à Santiago. Le prix d’une demi-pinte à Londres, quoi. Chienne de vie.)
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Les Commentaires
La Galice est vraiment une belle région et c'est vrai que quand on parle de l'Espagne, c'est pas à elle que l'on pense en premier ^^ C'est loin du cliché "paëlla/corida/flamenco" et c'est bien ça qui fait tout son charme
(Mais je suis peut-être pas très objective étant donnée que je suis galicienne.. mais bon haha)