En me lisant vous vous êtes sans doute rendu-e-s compte que nos interventions sont loin des films de Brian de Palma : pas de super-héros parfaits, pas de scènes d’action à couper le souffle et encore moins de bonnes répliques aux bons moments. La triste réalité c’est qu’il faut endurer pas mal de situations de lose extrême en espérant qu’un instant de pur win viendra rattraper le reste…
Une nuit de neige, une nuit de garde. On part pour un homme qui menace de se jeter du 3ème étage… Et qui a pris le soin de contacter les pompiers avant de mettre son plan à exécution. Trop sympa de penser à nous, fallait pas. Je suis à bord de l’ambulance, la grande échelle nous suit, les flics nous rejoindront sur place, comme d’habitude.
Après avoir grillé quelques feux rouges nous voilà sur les lieux de l’intervention. C’est bizarre, dans cette rue il n’y a que des maisons. C’est mal parti pour empêcher le suicidaire de passer à l’acte… Je sonne quand même à l’adresse indiquée sur la fiche d’intervention pendant que Callaghan, mon fidèle collègue, contacte le Centre de Traitement des Appels.
Une MILF en nuisette m’ouvre :
– Bonsoir jeune homme… – Heu… Bonsoir, est-ce que M. Lherbier habite ici ? – Ah non moi c’est Mme Cathalano. Et mon mari est absent… Je suis seule ce soir. (Clin d’œil coquin de son côté, sueur froide du mien.) – Et bien dans ce cas, je vais y aller. Merci Madame… – Mais non, mais non, entrez donc ! Je serais ravie de vous aider… dit-elle en entrouvrant sa chemise de nuit.(Gloups !) – Non, non, ça ira ! Mon collègue est en ligne pour trouver la bonne adresse. Merci pour votre aide.
– Vous êtes M. Lherbier ? – Négatif. Je suis une mite en pull-over.
Sourire stressé vissé au visage, je m’éloigne d’elle à reculons comme quand on s’écarte d’un chien dangereux. Surtout, garder un « eye contact » au cas où elle me sauterait dessus… Une fois le portillon franchi, je souffle un bon coup et monte en un temps record dans l’ambulance. « Le CTA pense qu’ils se sont trompés de secteur, il y a également un 14 rue des Pinsons dans la ville d’à côté… On se dépêche, c’est à 10 minutes d’ici. » annonce Callaghan. Dix minutes, autant dire une éternité. Toute l’équipe est atterrée.
Chaque caserne est affectée à un secteur précis pour une bonne raison : il est essentiel de se rendre sur les lieux d’une intervention le plus rapidement possible. Alors « se tromper » de lieu d’intervention n’est pas franchement envisageable. Il n’y a pas 36 solutions : il va falloir rouler à tombeau ouvert sur la route rendue glissante par les chutes de neige.
2ème adresse, 2ème quartier sans un seul immeuble en vue… Visiblement on est encore sur la mauvaise piste. Ça fait 20 minutes qu’on est partis, mon chef d’intervention s’arrache les cheveux. Je m’esquive pour aller interroger la personne résidant à l’adresse indiquée.
Cette fois-ci c’est un étudiant mal réveillé qui m’ouvre la porte :
– Bonjour Monsieur, nous avons été appelés pour une tentative de suicide et le centre d’appel nous a indiqué votre adresse… – Ah ben c’est pas moi, dit-il en baîllant. – Oui, oui, je me doute, il n’y a aucun immeuble dans le coin… – Il dit qu’il voit pas le rapport. – … – C’est pas facile tous les jours votre job, hein ? – Hum. Bref, on a un suicidaire qui nous a appelés car il va se jeter du 3ème étage, on le recherche pour éviter ça, sauf que personne n’est foutu de nous donner son adresse. Vous connaissez un certain M. Lherbier ? – C’est l’ancien locataire, ça vous aide ça ?
Dans ma tête ça fait tilt : c’est donc le suicidaire lui-même qui a donné une mauvaise adresse et non le CTA qui a commis une erreur ! Sachant qu’il souhaite se foutre en l’air, il est peut-être sous médicament et aura donné son ancienne adresse dans la confusion… Élémentaire mon cher Watson !
« Tu veux une médaille pour avoir deviné ça ? »
Je cours expliquer la situation à mon supérieur, qui demande immédiatement au CTA de contacter l’opérateur pour retrouver son adresse. Normalement c’est la police qui fait ce genre de demandes pour les besoins de leurs enquêtes, mais dans des cas d’urgence comme celui-ci, ils n’hésitent pas à nous donner un coup de main. Mieux : ils opèrent même une triangulation en croisant l’adresse de facturation avec la géolocalisation du téléphone pour vérifier qu’il se trouve bien chez lui… On se croirait dans Les Experts à Miami, les palmiers en moins.
Bingo ! L’antenne relais qui a fonctionné est celle à proximité de l’adresse que notre homme a donnée à son opérateur : il est donc bien à son domicile. Notre soirée de lose prend meilleure tournure, et tout cela grâce à votre Matou préféré, héros digne d’un Sherlock Holmes ou d’un Horacio Caine !
L’équipée sauvage reprend du service, avec toujours le camion à grande échelle qui nous suit et les flics en voiture-balai… Vu de l’extérieur, nos allers-retours doivent vraiment sembler ridicules, mais on s’en fiche : on a retrouvé notre lieu d’intervention ! Autant vous dire que dans l’ambulance c’est Carnaval.
Lorsqu’on tourne dans la rue on éteint quand même les gyrophares, on n’est pas à Ibiza non plus. Il vaut mieux éviter d’effrayer le suicidaire, qui, fermement cramponné à son balcon, grelotte de tous ses membres. En même temps ça doit bien faire 30 minutes qu’il est en slip sous la neige. S’il s’en sort, il va être bon pour la pire crève de toute sa vie. Dans tous les cas je n’aimerais pas être à sa place.
Évidemment, comme on ne peut pas faire simple, son appartement donne sur la cour et non sur la rue. C’est râpé pour sortir la grande échelle… Si sa porte d’entrée est fermée de l’intérieur, il faudra qu’on passe par l’extérieur : Callaghan et moi on est bons pour enfiler nos harnais. Mon supérieur remarque immédiatement qu’il connaît l’homme : « C’est mon secteur de calendrier, j’ai déjà papoté avec lui ! Je m’occupe de le mettre en confiance les gars ! ».
Nickel, voilà qui va nous permettre d’intervenir en étant un peu plus détendus. Avec Callaghan on file au 3ème étage, équipement sur le dos. La porte de l’appart étant fermée, il est hors de question de faire stresser le suicidaire en tentant une ouverture plus « musclée ». On n’a plus qu’à aller sonner chez le voisin du dessus.
Coup de chance, ce dernier a été réveillé par les éclats de voix dans la cour. Il nous ouvre directement. Deuxième coup de chance, le voisin est une voisine, et c’est une jolie fille (miaou)… Mais hum, on parlera de sa nuisette plus tard, on a un homme à sauver !
Et alors que je regarde par-dessus le balcon pour voir où en sont les discussions, je me rends compte qu’il est à présent à cheval sur sa rambarde…
« Merde Callaghan ! Il est en train de basculer ! Mets-toi en position, je saute ! »
Ni une, ni deux, mon collègue s’allonge, dos au sol, jambes appuyées sur la rambarde. Je vérifie mon harnais en une microseconde et je saute par-dessus bord… En embarquant la jardinière avec mon pied. Oups. Dans la précipitation, on a laissé trop de lest : la chute dure, dure, dure… La corde qui me rattache à Callaghan se tend enfin. Ouille. N’est pas Ethan Hunt qui veut.
D’un rapide mouvement de balancier je repousse l’homme côté balcon et je m’avachis lourdement sur lui. Un chat ne retombe pas toujours sur ses pattes. Il pleurniche au sol, tant mieux : je suis tranquille pour me détacher, fermer la fenêtre et le tirer par le slip jusqu’à la porte d’entrée. J’ouvre à mes collègues qui le prennent en charge, et je m’affale dans le canapé. Ça fait beaucoup d’émotions en une soirée.
Épilogue
Callaghan m’a rejoint et se pose à côté de moi.
– Désolé pour la corde, j’ai laissé trop de mou. – Ouais, j’ai remarqué… – Bah en même temps si tu ne lui avais pas fait peur en tombant si près de lui, il aurait peut-être sauté du mauvais côté… – Ouais. Bien joué Callaghan. – Et… Encore désolé, j’ai pas réussi à récupérer le 06 de la voisine du dessus. – Merde. Dans ce cas, je suppose que y’aura pas de chute à cette histoire… – Ah part la tienne peut-être ? – Ouais. Bien vu Callaghan.
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