A l’école j’étais l’exception dont tout le monde parlait en salle des profs, non pas parce que j’étais particulièrement turbulente, ni parce qu’on avait repéré en moi une future cordon bleu dans ma façon de traiter les fruits et légumes de la dinette, encore moins parce qu’on voyait en moi une petite fille plus éveillée que les autres.
Non, on ne parlait pas de moi parce que j’étais la nouvelle star de l’école Jacques Prévert, on parlait de moi parce qu’aux alentours du mois de juin, sur mes poèmes il fallait me faire écrire « papi « et non « papa ». Parce que voilà, moi je n’en avais pas.
Au début c’était franchement pas marrant. « C’est qui le monsieur habillé en costume à côté de maman tout en blanc ? » « Et puis pourquoi chez Hélèna il y a un papa et pas chez moi ? », et « pourquoi mais pourquoi c’est toujours mon papi qui vient me chercher à l’école moi ? »
D’observations en questions assassines des autres enfants qui parfois ne se gênent pas pour lancer un innocent mais terrible « il est où ton papa ? » (touchée ? coulée !), je comprenais, du haut de mes 5 ans, que j’aurai toujours un vide dans le coeur et sur les fiches de renseignements qu’on nous donne à remplir à chaque rentrée scolaire.
Adolescente, j’étais encore une exception. Lorsqu’on fait connaissance avec quelqu’un, qu’on devient plus proches, ou qu’on se retrouve tout bêtement au cœur d’une soirée mêlée d’un peu d’alcool et de musique, qui se transforme rapidement en soirée « confidences », vient systématiquement la question des parents.
On n’est pas tout à fait finis, on n’est pas encore « quelqu’un » alors la seule façon de faire comprendre qu’on est mieux que les autres, c’est à travers nos parents. On se vante par procuration : c’est ma mère qui a le métier le plus cool du monde donc elle va venir le présenter à la classe samedi prochain, c’est mon père qui a le plus gros salaire donc on se fait une piscine party dès qu’il fait beau, ce sont mes parents les plus funs et c’est pour ça qu’ils vont t’emmener en vacances, toi qui ne vois le vrai soleil qu’à la télé ou de temps en temps dans ton jardin, une année bissextile sur trois (pour ceux qui ne l’auraient pas compris, l’action se déroule en Normandie).
Et puis il y a les moments où tu te dis, toute seule sans que quelqu’un t’ait amenée à le penser « eh merde ». Tu te demandes si ta vie serait meilleure si ton papa était encore là, quel aurait été ton schéma familial, si les mêmes relations privilégiées avec d’autres hommes de la famille se seraient créés. Et puis ce serait tellement bien s’il pouvait m’expliquer la façon de penser des garçons, partager avec moi ses plus beaux souvenirs de jeunesse pour me donner l’envie, parfois manquante, de vivre au lieu de se laisser vivre, et surtout il aurait pu casser les dents à celui qui m’a brisé le coeur avant qu’il ne soit trop tard, parce que ça sert à tout ça, un papa.
Quand on est petit, on ne comprend pas. On ne rationalise rien, on s’en fout d’ailleurs de connaître le comment du pourquoi, on a juste quelque chose en moins, on a juste mal.
Finalement, ça ne fait pas si longtemps que j’ai réellement assimilé le fait qu’avant d’être un papa ou une maman, on est quelqu’un qui a ses joies et ses déceptions, ses forces et ses faiblesses, son vécu et souvent ses blessures aussi, dans le genre de celles dont on ne guérit vraiment jamais et qui prennent parfois le dessus sur tout le reste.
Parce que même si un papa c’est presque toujours un héros pour sa fille, c’est avant tout un homme qu’on ne peut forcer à se battre quand on mange encore des petits pots, et qu’on baragouine deux-trois mots à peine.
La famille c’est comme le loto, sauf qu’on nous demande pas si on a envie de jouer. Il y en a qui gagnent les trois numéros, ceux qui ont les 6 du premier coup, et puis il y a ceux qui n’auront jamais que deux numéros et le complémentaire, combinaison inutile et frustrante mais avec laquelle ils seront bien obligés de composer.
Et même si parfois je pleure toutes les larmes de mon corps en écoutant « Si seulement je pouvais lui manquer », aujourd’hui je vais bien, que dis-je ? Très bien !
Je ne fume pas de feuilles de cactus, je ne me fais pas de shots d’essence en cachette, je ne trafique pas les smarties à la sortie des cours de récré : je suis une madmoiZelle tout à fait équilibrée !
Maxime nous l’a assez répété, on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille, ni les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher. Et pourtant… On a la famille qu’on se crée.
Les liens du sang ne sont pas forcément les plus forts, on peut très bien avoir une sœur et ne pas pouvoir l’encadrer, tout comme on peut être très proche de quelqu’un avec qui on ne l’est pas génétiquement parlant. Si je vais si bien aujourd’hui, c’est parce que j’ai été entourée.
En y regardant d’un peu plus près, il est facile de voir le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide, de faire taire l’absence au profit de la présence, celle qui rassure et qui ne fait jamais défaut. Parce qu’au milieu de tout ça, il y a « les hommes de notre vie ». Ceux qui nous donnent leur confiance, leur soutien, leur amour et leur fierté sans compter. Ceux qui nous offrent parfois tout ce qui est en leur pouvoir pour nous permettre de commencer notre vie d’adulte du mieux possible. Ceux qui nous rattrapent quand ils nous voient glisser dans les bas fonds lorsque l’adolescence pointe le bout de son nez. Ceux qui se tiennent fièrement à côté de nous sur les photos des jours importants et qui nous amèneraient jusqu’à l’autel sans hésiter s’il le fallait.
Avec l’arrivée de la Fête des Pères, c’est à ces hommes-là que j’ai envie de m’adresser. J’ai besoin qu’ils sachent que je les aime, et que je leur suis infiniment reconnaissante pour tout ce qu’ils ont fait et continuent de faire pour moi.
Et si vous aussi vous preniez le temps de remercier un homme en particulier, qui vous a tant apporté ? Aucune journée ne leur est dédiée, il suffit de la créer ! On peut très bien décider de faire un before à la véritable fête des pères, après tout ça ne tient qu’à nous !
En tout cas, moi je vous le dis : j’ai un papi, un parrain et un cousin formidables !
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Il y a vraiment des gens qui disent ça ?