C’est une grande dame qui s’éteint. Gisèle Halimi, avocate, féministe et femme engagée, est morte à l’âge de 93 ans, après avoir mené de nombreuses luttes qui ont fait avancer la France.
Celle qui entamait dès ses 10 ans une grève de la faim pour garantir son droit à la lecture était habitée par une fougue qui ne l’a jamais quittée. Les décennies suivantes ont été marquées par les luttes qu’elle a incarnées.
Elle a défendu une révolutionnaire algérienne torturée
1960. La guerre d’Algérie dure depuis déjà six ans. Le peuple lutte pour son indépendance, et l’avocate aussi, elle qui s’est déjà battue pour aider à libérer son pays d’origine, la Tunisie.
Djamila Boupacha, 22 ans, milite au Front de libération nationale algérien et est arrêtée pour tentative d’attentat. Les soldats français lui extorquent des aveux en usant du viol et de la torture ; Gisèle Halimi devient son avocate et, aux côtés de Simone de Beauvoir, s’engage pour dénoncer ces pratiques inhumaines.
L’autrice du Deuxième Sexe signe elle une tribune dans Le Monde, dont voici un extrait :
Il n’est plus au pouvoir de personne d’effacer les sévices qui lui firent infligés ni ceux que subirent son père et son beau-frère, mais on peut encore enrayer la marche de l’injustice. On peut, on doit reculer le procès jusqu’à ce qu’on ait élucidé les circonstances dans lesquelles Djamila a parlé. Si nos dirigeants ne se décidaient pas à agir en ce sens, ils admettraient ouvertement que la justice n’est plus en Algérie qu’une parodie sinistre, contrairement à leurs déclarations publiques, ils consentiraient à ce que la torture soit systématiquement utilisée comme préalable à l’information judiciaire.
Malgré les efforts acharnés de Gisèle Halimi, Djamila Boupacha est condamnée à mort le 28 juin 1961… mais grâce, en partie, aux efforts acharnés de Gisèle Halimi, elle sera amnistiée et libérée moins d’un an plus tard. Elle est toujours vivante aujourd’hui.
Elle a été signataire du « Manifeste des 343 »
Le 5 avril 1973, le Nouvel Observateur
publie le brûlant Manifeste des 343, rédigé par Simone de Beauvoir et signé par autant de femmes courageuses révélant qu’elles ont avorté, à une époque où l’IVG était illégal.
Parmi ces signataires, il y avait, là encore, Gisèle Halimi.
Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre.
À noter qu’on parle souvent, à tort, du Manifeste des 343 salopes — un terme utilisé par Charlie Hebdo à l’époque mais pas du tout par les concernées. Elles sont aujourd’hui quasi-unanimement considérées comme des pionnières ayant mis leur vie et leur liberté en jeu pour défendre le droit des femmes à disposer librement de leur corps.
L’avortement n’a été légalisé en France qu’en 1975.
Elle a défendu une adolescente qui a avorté lors du « procès de Bobigny »
Continuant sur sa lancée, Gisèle Halimi défend l’année suivante Marie-Claire et sa mère. La première, 16 ans, a avorté après avoir été violée ; la seconde l’a aidée. Les deux sont sur le banc des accusées dans ce qui deviendra le célèbre « procès de Bobigny ».
L’adolescente est finalement relaxée et sa mère condamnée à une amende de quelques centaines de francs. Elle fait appel, le délai de prescription passe et l’amende n’est donc plus due.
Ce procès très médiatisé suscitera une vive émotion populaire, avec de nombreux messages envoyés à des journaux et au greffe de Bobigny pour demander la relaxe de Marie-Claire. Mais tout le monde n’est pas progressiste ; le président de la République de l’époque, George Pompidou, demande un débat sur l’avortement tout en confiant que l’IVG le « révulse ».
Inimaginable dans la bouche d’un président de la République française en 2020, grâce au combat de Gisèle Halimi et de centaines d’autres hommes et femmes courageuses qui ont œuvré pour un meilleur futur.
Elle a lutté pour que le viol devienne un crime dans le droit français
Ce n’est qu’en 1980 que le viol a été reconnu, dans la loi française, comme un crime à part entière. Une date si récente qu’elle en donne le vertige. Et ce changement, on le doit là encore, en partie, à Gisèle Halimi.
En 1978, elle est l’avocate de deux plaignantes originaires de Belgique accusant trois hommes de les avoir violées. Selon Le Monde :
Hors du prétoire, Gisèle Halimi est bousculée, injuriée, menacée. Les hommes sont condamnés. Et de nouveau ce procès ouvre le chemin vers la loi de 1980, qui reconnaît le viol comme un crime.
Le procès du viol, un documentaire de 2014 sur cette affaire
Toute sa vie, Gisèle Halimi a œuvré pour l’égalité, pour la liberté de tous et toutes. Elle s’est à présent éteinte, mais son héritage vivra longtemps, dans le cœur de toutes celles qui lui doivent beaucoup, et peuvent trouver en elle un modèle de courage.
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