Contrairement à ce que certaines mauvaises langues prétendent, mes papilles se sont affinées avec l’âge. Ok, mon plat préféré demeure encore et toujours les coquillettes avec beaucoup de fromage, et si on met du beurre dans mes pâtes je mange tout autour en faisant la gueule (j’aime pas l’beurre). Mais hormis cette vétille, purement représentative de la simplicité et la candeur de mes goûts, je suis beaucoup moins difficile aujourd’hui. Je ne bave plus ma soupe de légumes dans ma serviette pour faire croire que je l’ai mangée, par exemple. (Spéciale dédicace à mes parents.)
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Or, si j’apprécie des mets plus sophistiqués, accepte que le riz remplace les pâtes au Nouvel An, et tolère davantage de légumes sans les avaler avec un verre d’eau… Je garde un certain nombre de traumatismes gustatifs de mon enfance. Ces découvertes culinaires qui ne sont pas passées. Et qui ne passeront jamais.
Jamais, t’entends ?!
Les escargots : « Ils criaient, ces innocents, sur la grille infernale de leurs tourments »
Je suis Catalane. Une précision qui peut paraître bien anodine, mais qui, en vérité, explique parfois mon rapport à la gastronomie. Parce qu’au-delà du fait que mon catalan est approximatif (pardon papa), toutes les spécialités culinaires catalanes ne m’agréent pas.
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Alors, oui, les spécialités catalanes, c’est le bon air de la Méditerranée. C’est la soubressade, le fuet, les boles de Picoulat, la fideua, les anchois, les poivrons, les calamars à la planxa avec de l’aïoli… Bref, on aime manger, en Catalogne. Le seul véritable souci, c’est que l’une de ces chatoyantes spécialités, à laquelle les Catalans tiennent avec un acharnement qui me dépasse autant qu’il m’inquiète, c’est la cargolade.
Des escargots à la grille, quoi.
Bonjour l’exode.
Vous avez bien le droit de manger des escargots. C’est visqueux, caoutchouteux, et ça vit dans une coquille, mais pourquoi pas. C’est même plutôt facile pour se nourrir les jours de pluie : hop, des bottes, un saut, et on part à la cueillette aux escargots. C’est votre délire. Mais la cargolade, c’est encore un niveau au-dessus.
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Je pose le contexte. Vous êtes bien, tranquille, posé-e en terrasse avec un petit verre de rosé bien frais. La grillade bat son plein, vous séchez de votre petite virée dans la piscine avec désormais trois merguez et une côtelette dans le ventre, et vous vous apprêtez à reprendre un peu d’esqueixade. Quand soudain, vous comprenez ce que trafiquaient les autres dans leur coin, avec leurs escargots et leur persillade (en vrai c’est assez clair, mais vous étiez dans le déni).
Ils posent la grille recouverte d’escargots vivants sur le barbecue, et les laissent griller jusqu’à ce qu’ils aient fini de baver ce qu’il reste de leur calvaire sur les braises ardentes.
Non, je n’ai jamais goûté la chair paraît-il tendre de l’escargot noyé dans sa bave et l’aïoli. Et je m’en fous : si on me force à goûter, je retiens ma respiration jusqu’à ce qu’on arrête de me forcer à goûter.
Les huîtres étaient vivantes
Les huîtres, mollusques au demeurant charmants lorsqu’ils sont fermés, rentrent dans cette catégorie d’aliments un peu trop vivants à mon goût. À la différence qu’on ne les mange pas après avoir éteint leur dernière étincelle de vie sur les braises (surtout vous le dites si j’en fais trop)… mais tels quels.
Oui, j’ai découvert assez récemment que l’on mangeait aussi les huîtres cuites. Mais j’ai découvert beaucoup plus tôt que ces paniers de fruits de mer que l’on me présentait parfois dans mon enfance, pour marquer une occasion, étaient remplis d’huîtres que je gobais vivantes.
Oh mon dieu, serais-je donc un morse fourbe et ventripotent ?
Notez qu’au goût, la chose m’indifférait plutôt. Le ramassis grisâtre qui emplissait la coquille était peu ragoûtant d’apparence, mais en le noyant sous le citron avant de le gober, il ne me laissait guère plus qu’un goût d’agrume sur la langue. J’aurais donc pu continuer pendant longtemps à manger des huîtres pour faire plaisir à l’assistance… si mon cousin ne m’avait fait part de sa science, un beau repas familial de premier de l’An.
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« Regarde », me dit-il avec une fierté mal contenue. « Si tu mets un peu de citron sur l’huître et que tu la piques avec la fourchette, elle bouge. »
Si la découverte me fascina alors, l’instant fatidique qui suivit où il me fallut avaler cette huître que je venais de taquiner arrosa ma candeur d’une réalisation plus amère que le jus de citron. Ce qui ne marche pas trop, puisque le citron est acide.
Les aubergines, calvaire de mes tartines
Las ! Tous les mollusques vivants de la Terre ne sauraient arriver à la cheville de mon plus terrible et ultime traumatisme culinaire, j’ai nommé… l’aubergine. Oui, terrible. Car au moment où j’ai dévoilé mon aversion pour ce ridicule légume violacé, je sais sans avoir besoin de l’entendre que les ¾ d’entre vous se sont écriées « mais pourtant c’est bon, l’aubergine ! » (et d’autres de renchérir, « moi je m’en pèterais le bide »)…
Vous poussez le bouchon un peu trop loin.
Aussi absurde que cela puisse me sembler, j’ai compris et (relativement) accepté le fait que l’aubergine est un légume apprécié, et moins rejeté que le très connoté brocoli ou le chou-fleur au parfum si fade. C’est pourquoi je les connais, les sempiternelles phrases qui suivent cet aveu : je n’avalerais pas un morceau d’aubergine même sous la torture.
« Quoii ? Mais comment peux-tu ne pas aimer les aubergines ? C’est super bon ! En plus, venant d’une Méditerranéenne, c’est chelou, hein ! »
Non, je n’aime pas les aubergines, et ce depuis ma plus tendre enfance, qu’elles mijotent dans une casserole et polluent l’air à des kilomètres à la ronde, qu’elles cuisent au four dans un gratin ou qu’elles s’étalent lascivement, marinées, au milieu d’une salade. Même crue, je ne saurais supporter cette chose rêche dans mes mains. Il n’y a aucune explication à cela.
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Et oui, j’exècre l’aliment tout en étant Méditerranéenne — pire : en venant d’une famille méditerranéenne qui adore les aubergines. Ô rage, ô jeunesse ennemie ! Que n’ai-je tant vécu que pour contempler cette infâme bouillasse que l’on ose appeler « légume » !
Le saviez-vous ? Au Japon, rêver d’aubergines est de bon augure. Adieu, Japon.
S’il ne s’agissait que de voir passer une escalivade ou deux (salade à base de l’aliment maudit dont sont friands les Catalans), passe encore. Mais longtemps après que ma maman a renoncé à essayer de me faire avaler une infime particule d’aubergine bouillie, il arrive que, de retour chez mes parents, j’ouvre innocemment le frigo pour me retrouver nez à nez avec un énorme saladier de caviar d’aubergine.
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La terreur est alors palpable, et au moins aussi intense que le jour où l’on m’a servi, dans un restaurant, des pâtes avec des aubergines dedans. Des. Aubergines. Dans mes. Pâtes.
Je préfère autant vous prévenir, inutile de tenter de planquer le légume saugrenu dans un plat quelconque, en prétendant que ce n’est que dans ma tête. Ce n’est pas que dans ma tête. Je sentirais le bout d’aubergine dans une tarte de 50 centimètres de diamètre, et je le recracherais avant d’aller agoniser sous la table.
Où est l’aubergine ?
Voilà un traumatisme culinaire qui vous paraît sans doute bien risible, et exagéré à l’excès. Mais dans quelques semaines, je pars en Grèce. Et je peux vous promettre que je mets un soin bien particulier à apprendre tous les mots grecs pouvant référer à l’aubergine, afin de ne pas me faire feinter par la moussaka ou le plus innocent des mezzés (cet ensemble de plats aussi appétissants que menaçants dans leur risque de comporter des aubergines sous moult formes).
On dit melitzána.
Et toi, quelles expériences culinaires t’ont laissé un drôle de goût sur la langue (et dans l’âme) ?
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