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Actualités mondiales

Esra, cofondatrice de W(e) Talk, entrepreneuse et voyageuse – Portrait

On a rencontré Esra, la cofondatrice de W(e) Talk, un événement incroyable qui met en avant des modèles féminins originaux. On a parlé de son parcours d’entrepreneuse, mais aussi de ses convictions en tant que femme et du voyage.

— Article initialement publié le 28 mai 2015

big-we-talk-2016 Esra m’attendait à la table du café où je lui avais donné rendez-vous, dont le nom poétique ne pouvait « que l’emballer », comme elle me l’avait assuré par texto. Cet enthousiasme, je l’ai immédiatement senti chez la personne que j’ai rencontrée en chair et en vêtements, vêtements qu’elle avait d’ailleurs empruntés à une amie au dernier moment, comme elle me l’avoue. Esra est arrivée de l’étranger la veille, après 9 heures de transit à Kiev, pour la préparation du W(e) Talk, un fort chouette événement sur l’empowerment au féminin, qui se tient le 30 mai prochain à Paris. Elle est en la cofondatrice. Esra est aussi une nana hyperactive et passionnée, et la conversation, tout aussi passionnante, va durer longtemps !

À lire aussi : W(e) Talk 2015 présente des femmes inspirantes qui « réinventent leur monde » !

« Rien d’humain dans les ressources humaines »

W(e) Talk fête sa deuxième édition. Avant de se lancer là-dedans, Esra a eu un parcours impressionnant. Elle est originaire d’une petite ville de Savoie, et se décrit en rigolant comme « un pur produit savoyard chauvin, et qui déteste les parisiens, évidemment ! ».

Au lycée, elle a fait un baccalauréat ES option maths et voulait absolument travailler dans un domaine proche du bio-développement. Elle a commencé par un DUT en Gestion des entreprises et administrations à Grenoble :

« J’ai toujours fait en sorte de faire des études courtes, de manière à pouvoir fuir si j’avais envie. J’ai toujours voulu bosser dans les ONG, mais j’avais une idée reçue, très ancrée, qu’elles faisaient des trucs bien mais n’étaient pas assez structurées et n’avaient pas une vision business. Et que les entreprises avaient cette conception, mais pas une vision positive. Du coup, j’ai fait un master en management option finances. »

Mais avant ce master, Esra est partie faire une année de licence « business administration » en Erasmus, à Newscastle, en Angleterre :

 « J’ai fait tout mon parcours avec l’option RH, avant de me rendre compte que les ressources humaines n’avaient rien d’humain. Je ne voulais pas gérer les effectifs salariés, les taxes… Mais en Angleterre, j’ai découvert un truc qui s’appelle l’entreprenariat social. Le fait que tu pouvais être entrepreneur et faire des trucs bien, dans le sens profiter à l’environnement ou aux gens. »

Son projet de recherche portait sur les motivations à l’achat de produits équitables, beaucoup plus ancré que le bio à l’époque, selon elle. De retour en France, Esra voulait trouver un travail lié au social et à l’environnement :

« J’ai trouvé un stage chez un bailleur social. Le logement ça m’a vraiment plu, d’autant qu’à l’époque, ils étaient en train de mettre en place toutes les démarches Haute Qualité Environnementale. Mais je n’avais pas envie de bosser en tant que salariée, ça limitait un peu mes chances. »

Dans le même temps, Esra a rencontré celui qui allait devenir son compagnon, qui faisait le même master et s’intéressait à l’efficacité énergétique :

« On n’était pas du tout des techniciens. Du coup, pendant notre dernière année d’études, on était en alternance et on a enchaîné des formations en thermique, qui correspondent à un BTS. Lui s’est formé à tout ce qui était thermique pure du bâtiment. Je déteste la physique, donc c’était parfait pour moi. J’étais sur l’aspect pédagogique : comment accompagner les personnes à avoir des comportement moins énergivores, et pourquoi c’est important. Je me suis découvert une passion pour tout ce qui est sociologie de l’habitat. »

La petite boîte qui monte

À la fin de leurs études, en 2007, Esra et son compagnon ont décidé de lancer un bureau d’études en innovation. Ils étaient en alternance chez Schneider Electrics et ont profité de la cellule d’essaimage : une grosse boîte accompagne ses salariés pour créer une entreprise, et leur donne une subvention :

« Ca sert à ça les cours de RH ! On a postulé, et on a eu une jolie subvention de 32 000 euros, parce qu’évidemment on avait pas de thunes quand on s’est lancés… Ce qui est marrant, dans le fait de monter ça avec un pote de fac, c’est que tu as l’impression que c’est un projet que tu fais pour l’école…»

Esra a eu son diplôme en même temps qu’elle a créé l’entreprise. Les deux cofondateurs ont ensuite rencontré un troisième acolyte, qui faisait de la construction écologique, et ont fusionné.

« On a très vite laissé la rénovation, parce que les gens ont du mal à comprendre que quand tu rénoves, tu peux pas changer juste un truc, il faut refaire en profondeur. Surtout quand tu as une vision énergétique, qui coûte et n’est pas rentable rapidement… »

Leur activité s’est tournée vers le logement social, un milieu qu’Esra connaissait bien. La jeune femme travaillait sur les livrets pédagogiques, sur les concours. La petite entreprise marchait bien :

« On a un peu galéré les premières années. Mais on sortait de nos études, on était à Grenoble, donc vivre avec 450 euros par mois, c’était possible. »

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L’équipe a déménagé ses bureaux à Lyon – Esra n’a jamais voulu y vivre, et s’y rendait en train depuis Chambéry. Elle bougeait souvent à Paris. Esra dit qu’elle adorait son métier, qui consistait à accompagner les mairies et les bailleurs sociaux pour produire des nouveaux types d’habitat.

« C’est fou tout ce qui se passe dans un logement, dans sa construction. Et puis l’environnement est un peu tombé dans les agendas politiques. Les Verts ont quitté le gouvernement. À un moment donné, on s’est rendu compte qu’on passait beaucoup de temps à convaincre les mairies, qu’elles étaient motivées, mais faisaient rarement deux projets de ce type. »

L’entreprenariat, pour changer les choses

Esra estime que l’entreprenariat est l’une des voies les plus faciles pour essayer de changer la donne. Elle se souvient qu’au début, ils avaient tout fait eux-même, y compris le site de la boîte :

« La première fois que le téléphone a sonné, on s’est regardé en disant : qui répond ? »

Même si elle reconnaît que le statut d’entrepreneur n’est pas le plus facile, et que le banquier a « un peu halluciné », Esra n’a pas eu de craintes au moment de monter son entreprise :

« Je risquais quoi ? Rien. Je n’ai rien à charge, je n’avais pas de dépenses… Je ne me suis pas posé la question. Pourtant, je ne pense pas être quelqu’un de particulièrement courageux ni inconscient. En France, les entrepreneurs te diront qu’on n’a pas la culture de l’entreprenariat comme dans les pays anglo-saxons, mais c’est peut-être plus facile que dans d’autres pays. Je le conseille à toutes les nanas qui veulent le faire. »

L’expérience l’a aussi rassurée sur certains points et lui a permis de bien vivre l’organisation de futurs projets, et notamment celui qui allait devenir W(e) Talk.

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Bye-bye l’entreprise et le logement

Fin 2013, Esra a décidé d’arrêter l’entreprise dans laquelle elle travaillait. Elle a dit non aux propositions de rachat, pas compatibles avec la charte éthique :

« De 2008 à 2014, on a bossé. Honnêtement, je ne pensais à rien d’autre, j’ai fait que ça. Fin 2013, on s’est rendu compte que c’était le moment où il fallait arrêter, et c’est vrai que ça a été un peu violent. »

Elle parle de « bad trip » lorsque tout s’est arrêté :

« Je me disais : j’ai quasiment 30 ans, qu’est-ce que je fais de ma vie ? Je ne sais rien faire ! Demain je peux te monter un fonds d’investissement, répondre à un marché public. J’ai énormément de compétences mais rien qui soit un titre, je n’ai pas de métier. » 

Esra est alors partie en pélerinage à la Mecque avec son compagnon, et elle le dit elle-même, le voyage lui a fait un bien fou :

« En revenant, je me suis dit que c’était une chance.  Sinon, j’aurais vraiment fait que ça les 30 prochaines années ! Je me suis rendue compte que j’avais délaissé beaucoup de gens, dont mes parents, ou certains potes que je ne voyais plus. »

Le logement, Esra y reviendra. Peut-être, d’ici quelques années.

« C’est un petit peu mon bébé. Je le laisse de côté pour l’instant, mais j’avais fait une intervention avec une sociologue de l’habitat sur comment l’habitat se réinvente…»

Tout quitter pour Paris

Après l’arrêt de l’entreprise, Esra a ressorti de ses placards un vieux rêve en commun avec son compagnon : celui de partir à l’étranger. Mais lui avait accepté de reprendre une formation sur Paris, tandis qu’elle gérait la cessation d’activité. Tout s’est fait très vite : dépôt de la société, état des lieux, déménagement. Mais pas avant un grand tri dans sa vie :

« On s’est dit : on vend tout ce qu’on a, on ne garde que le strict minimum, et on part avec deux valises. Un peu comme Linda de Suza et sa valise en carton, une chanteuse portugaise des années 1960 que mon père écoutait quand j’étais petite. »

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Elle se dit adepte du minimalisme, pour la dimension environnementale, mais aussi l’idée d’arriver dans un endroit sans se sentir chargée :

« Je me suis rendue compte qu’il y avait 80% de mes vêtements que je ne mettais plus depuis 3 ans, des bouquins à refourguer… Ca me faisait du bien de faire ça. »

La naissance de W(e) Talk

Esra l’hyperactive n’aime pas s’ennuyer. Avant le déménagement, elle est allée voir Nathalie, qui gérait un café bio intergénérationnel près de son bureau, pour lui parler d’un petit projet qui commençait à germer dans sa tête : 

« Je lui ai dit : il y a un truc que j’ai toujours voulu faire, un truc avec des nanas banales qui font des trucs chouettes. Je me rends compte aujourd’hui que ma vision d’une nana qui assure, c’est une nana qui se déchire au travail. Et je pense qu’il y a d’autres manières de réussir et de s’épanouir, mais je ne les connais pas, parce que toutes les meufs qu’on me présente ne me ressemblent pas, et ça me ferait du bien aussi de rencontrer des personnes d’autres horizons. »

Nathalie était débordée, mais l’a encouragée à monter son événement à Paris. Elle a orienté Esra vers Jehan, qui travaille comme pigiste et dans les relations presse :

« Je l’appelle, je lui explique vite fait le topo, elle me dit que ça la tente bien. Je suis venue la rencontrer en décembre parce qu’elle voulait qu’on se voie physiquement. On a bien accroché et rediscuté sur quelle serait la spécificité de ce truc, les role models…»

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Esra a aussi accompagné son compagnon à une soirée entre développeurs, où elle a rencontré Alix, qui a une agence de communication. Un café et deux jours plus tard, la future équipe des quatre fondatrices de W(e) Talk a tenu sa première réunion. Objectif : organiser un événement avant l’été et le départ d’Esra pour d’autres contrées. L’équipe a rencontré des femmes du studio Praxis, qui accompagne les associations qui oeuvrent pour les droits civiques et les minorités. Esra reconnaît :

« C’est complètement fou, je ne connaissais personne dans le milieu. Moi, à la limite, je fais les choses sans me rendre compte que c’est hyper engageant. Mais elles, elles sont complètement tarées ! »

Des roles-models différents

L’idée d’Esra, c’était de mettre en avant ce qu’elle appelle des modèles féminins pluriels, des femmes dont la réussite peut prendre de multiples facettes. Pour mettre en place l’événement, son équipe a organisé une campagne de financement participatif, elle-même soutenue par un micro-trottoir vidéo :

« On a demandé aux gens quel était leur modèle féminin. En fait, ils ne savent pas répondre. 90% du temps, c’était « maman » qui revenait. Et puis Marie Curie, qui est morte il y a hyper longtemps, alors qu’il y a des contemporains qui sont hyper inspirants ! »

Esra elle-même me cite comme modèle… Une mathématicienne de l’Antiquité :

« J’aime beaucoup Hypatie d’Alexandrie, une nana qui osait, dans un milieu où des hommes ne voulaient pas qu’elle enseigne à d’autres hommes, et contre l’absurdité des règles sociales. Parmi les contemporaines, ce sont plutôt des anonymes, enfin des gens pas connus. »

L’équipe de W(e) Talk voulait un événement positif, en co-construction et où les participantes ne seraient pas de simples spectatrices :

« On avait en tête deux types de profils, une nana en fauteuil roulant avec un handicap « visible » et fort dans un métier de représentation, et une nana voilée ou noire. Sans tomber dans le délire melting-pot, on s’est dit qu’il fallait « oser » prendre des nanas qu’on voit pas forcément. Sans aller se dire qu’on les sélectionne par rapport à ça. »

Les intervenantes, puis les ambassadrices qui ont fait la promotion de l’événement ont accepté les unes après les autres. Esra se réjouit encore, les yeux brillants, de leur implication dans le projet :

« Je pense que ça leur a parlé. Moi, au début, j’avais même du mal à comprendre pourquoi les gens viendraient. Je me disais, j’ai un constat, mais il y a peut-être que moi que ça dérange… »

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Le pouvoir au féminin… autrement

L’idée de W(e) Talk n’est pas arrivée par hasard. Pendant ses études, Esra a passé un diplôme de sophrologie, et a découvert d’autres profils. Elle a aussi assisté à des séminaires sur l’empowerment féminin, dont les discours, la plupart du temps, la fatiguent :

« Ce côté « ayez les dents longues, allez-y, osez ! », notamment à destination des jeunes filles. Aujourd’hui, on te dit que ce qui est cool, c’est de diriger Yahoo. Mais même si c’est cool, d’être Sheryl Sandberg, il y a d’autres manières de s’épanouir que de devenir comme elle et de faire des journées de 37 heures. Je pense qu’on ne nous présente pas des gens qui sont dans un épanouissement réaliste et humainement faisable. Il faut des meufs comme ça, mais il faut aussi se questionner un peu plus. »

https://vimeo.com/120458448

Esra pense que le projet W(e) Talk a décollé sans vraies difficultés parce qu’il a répondu à un manque : celui des filles qui n’ont pas besoin d’entendre qu’il faut oser ou qu’elles sont capables.

« Moi, j’ai osé. T’arrives à 30 ans, t’as fait des trucs mortels, tu sais plein de choses, t’as un réseau de fou. Mais ça ne te remplit pas. Jai envie d’avoir une carrière de ouf, et aussi de faire des trucs de ouf avec mes hypothétiques futurs enfants. Peut-être que pour déchirer, t’as le droit de monter ta petite librairie de bouquins indépendants, et ce sera aussi cool que de diriger Yahoo. »

Selon elle, W(e) Talk a fonctionné parce qu’il n’avait pas pour but de promouvoir l’empowerment en lui-même.  Ce n’est pas tant cette notion qui l’intéresse que ce qu’on en fait :

« Je pense qu’avoir des nanas dans des conseils d’administration, c’est hyper important. Mais une fois qu’elles y sont, elles font la même politique que les hommes. Pour moi, cette prise de pouvoir doit se traduire en un changement de politique, plus respectueux des gens et de l’environnement. »

Esra elle-même a appris beaucoup de l’expérience :

« Je suis pro-mixité dans tous les domaines, parce que je trouve ça hyper riche. À W(e) Talk, j’ai découvert qu’être entre femmes, ça changeait un peu la donne, positivement. Ca a créé une espèce de solidarité féminine hyper forte, avec la conscience qu’on est vraiment toutes pareilles. »

Pas facile de se dire féministe

Car oui, pour Esra, les combats des femmes se rejoignent :

« Moi, par exemple, j’ai l’impression que c’est plus facile pour toi, parce que tu ne portes pas le voile. Mais en fait, tu as une autre difficulté, dans laquelle je me reconnais. Pareil quand je vois une nana qui vient de banlieue, et moi non. »

Pour autant, l’ancienne entrepreneuse a quelques réticences à se qualifier de « féministe » :

« Je ne sais pas, ça dépend comment tu le définis ! C’est quoi être féministe ? Si c’est estimer que les nanas ont les mêmes droits, et doivent avoir accès aux mêmes opportunités que les hommes, qu’elles ne doivent pas souffrir de discriminations liées à leur genre, alors ouais, je suis carrément féministe. Je pense qu’il faut qu’on arrive toutes à s’approprier le terme à notre manière. »

En anglais, elle aurait répondu « Yes, of course », me dit-elle. Mais toutes les notions derrière le terme en français la dérangent. Esra ne se reconnaît pas dans ce qu’elle voit comme le moule qu’essayent de créer certains discours féministes en France :

« Le féminisme, ce n’est pas de définir, pour les femmes, ce qu’est leur liberté. C’est de laisser à chacune la chance de définir elle-même la sienne. Et ça, c’est un discours qui ne passe pas quand tu appartiens à un groupe dans lequel, à priori, les femmes ne seraient pas libres. »

Ces à priori, ce sont ceux sur les femmes qui portent le voile. Avant son retour de pèlerinage, la jeune femme n’avait pas souffert des regards de travers sur son voile, qui n’est d’ailleurs pour elle qu’un couvre-chef parmi d’autres :

« En Iran, tu vois l’absurdité d’imposer aux femmes de se vêtir d’une certaine manière, de légiférer sur leur tenue. En France, ce n’est pas la loi, mais les normes sociales, qui font que tu n’as pas accès à certains postes ou que tu es persona non grata dans certains milieux. Quand tu vas dans un musée pour voir l’expo Frida Khalo parce que tu es fan, et que le gars te regarde comme s’il se demandait ce que tu fais là… »

À lire aussi : Mon voile, ma liberté : mon slam et mes explications

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Esra n’a pas de mal à parler de sa religion, mais elle refuse d’être définie par rapport à ça ou en fonction de sa tenue, qui ne fait pas la personne qu’elle est :

« Visible ne veut pas dire prosélyte. En France, on fait cette confusion là. Ça appartient à mon mode de vie, à mes convictions, mais je suis bien plus prosélyte sur les questions environnementales que sur le voile, et de très loin ! »

La question de l’invisibilité lui tient particulièrement à coeur :

« L’année dernière, des personnes se sont inscrites à W(e) Talk via madmoiZelle. Je pense pas qu’elles s’imaginaient arriver dans une salle où la nana qui fait l’introduction porte le voile ! Et l’événement est totalement laïque. Plus on verra de femmes qui font des choses et sortent du cliché, plus ça fera bouger les lignes. Mais ce ne sera pas grâce à de grands discours politiques, c’est mort ! »

Esra trouve complètement macho le fait même de s’intéresser à la tenue des femmes, et de les réduire à cela. La tenue, est, selon elle, un des premiers détails qu’on donne sur une intervenante dans le débat politique ou dans la presse :

« On n’en a rien à battre du tailleur de Rachida Dati ! On s’en fout que j’ai un voile, je ne suis pas « une femme voilée », comme tu n’es pas « une fille aux cheveux bouclés ». Tant que toutes les personnes qui se disent féministes n’ont pas cette compréhension-là, on ne pourra pas discuter ensemble… »

Elle me cite aussi le film Bande de filles, dont l’affiche, qui présente quatre jeunes filles noires, avait fait réagir :

« Je me dis qu’on a l’impression de faire plein de choses, et pourtant ! Dès qu’on sort de ce que les gens estiment être la « norme », on ré-interroge. »

À lire aussi : « Bande de filles », ou la naissance d’une véritable héroïne

Femme dans une société patriarcale

Faire bouger les choses, Esra estime que c’est à la portée des femmes. Et c’est pour cela que la deuxième édition de W(e) Talk va mettre en avant des femmes qui changent leur(s) monde(s), que ce soit à une micro-échelle ou dans un secteur tout entier :

« C’est une fois de plus pour montrer qu’on est capables, et avec un panel qui fait que tu peux piocher et te dire que tu te positionne plutôt à un pallier ou un autre du changement. »

Esra m’assure qu’elle a toujours été sensible à la question des femmes. Sa double culture lui a fait prendre conscience très tôt des différences :

« Mes parents sont turcs, et toutes les cultures méditerranéennes sont très patriarcales, avec des codes sociaux très forts. Quand je voyais que mes cousins ne débarrassaient pas la table, ça me rendait dingue. Je mesure la chance que j’ai eu de grandir dans une famille où ce n’était pas du tout comme ça. Je pense que mon père dénote vraiment dans son milieu. Mais c’est aussi parce que ma famille vient de l’Anatolie centrale, où on est hyper axé sur les études, la culture, la spiritualité. »

Les préjugés du milieu professionnel l’ont marquée aussi :

« J’avais moi-même beaucoup de limitations, du fait que j’étais une nana et que j’étais jeune. J’étais toujours à mi-chemin entre le bâtiment et l’immobilier, il y a plus féminin comme milieu. Avant d’aller à certaines réunions, je me disais : « faut pas que t’aies l’air conne »… Ce sont des réflexions que tu te fais plus facilement quand tu as l’impression qu’on te juge du fait de ton âge. »

Ses propres contradictions l’ont fait réfléchir, comme la fois où elle a décliné la rémunération proposée par son associé, en estimant qu’elle était trop élevée :

« Comment j’arrive à la conclusion de me dire que non, 100 euros de plus par mois, je ne les mérite pas ? Je pense qu’il y a toujours eu ça, l’idée que je veux éduquer mes garçons et mes filles de la même manière parce qu’il n’y a aucune raison qu’ils soient éduqués différemment, et le fait de me rendre compte que moi aussi, j’avais des comportements juste absurdes et je n’arrivais pas à m’en détacher. »

Voyager, un vieux rêve oublié

Esra ne fait pas que réfléchir : elle bouge. Après la première édition du W(e) Talk, elle s’est laissée une année de transition, le temps de trouver des missions et d’organiser son travail à distance. En février dernier, avec son compagnon, elle a quitté la France. Avec lui, elle traversé l’Italie, puis la Grèce, avant d’arriver en Turquie, où ils sont restés un mois et demi, dont deux semaines en woofing, à retourner de la terre.

« On faisait leur site Internet et on allait pêcher aussi. Je voulais voir comment était l’agriculture bio en Turquie, et je sais faire du thé maintenant ! On a fait ça en attendant le visa iranien. »

L’Iran, dont Esra revient tout juste, lui a énormément plu :

« Ce n’est pas un pays très touristique, du coup, l’accueil est fou. Les sanctions et embargos que subissent les gens sont très tristes pour eux. Mais comme ils ne peuvent pas aller facilement à l’étranger, ils s’intéressent vraiment à toi, à ce que tu fais, à ce que tu penses de l’Iran, et tu te sens vite chez toi. Mais je ne me verrais pas vivre là-bas, parce que je trouve ça absurde d’imposer aux gens un mode de vie. »

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Le retour à Paris a été difficile, tant l’immersion dans une autre manière de vivre lui a semblé riche. À l’étranger, Esra avait envie d’apprendre des choses, de travailler contre autre chose que de l’argent :

« Je découvre que je sais faire des trucs, que je peux donner aux gens, un peu dans un esprit de troc. Ca rejoint un peu l’idée de vivre avec pas grand chose, du minimalisme. »

« Je déteste le tourisme »

Car Esra veut travailler, et déteste l’idée de faire du tourisme :

« Passer des journées entières à visiter des trucs, ça va pendant deux semaines. Si tu fais ça pendant un mois, tu ne retiens plus rien. Et j’ai une addiction au travail : voyager pour voyager, c’est l’angoisse, parce que j’ai peur de m’ennuyer. Je préfère une vie où je ne choisis pas entre les temps cool où je bosse et ceux où je ne bosse pas. »

Pour autant, Esra ne s’identifie pas aux digital nomades, ces personnes qui partent voyager et travaillent en même temps :

« Ce sont souvent des gens qui bossent dans le web, prennent un avion, et par exemple arrivent en Thaïlande où ils restent 2-3 mois. Prendre l’avion, ça ne nous dit pas, ni rester dans le même endroit, dans des grands hôtels avec des bonnes connexions. »

À l’avion, elle préfère le stop, le covoiturage, le bateau ou encore le bus :

« On est assez opposés à l’avion, sauf cas de force majeure. D’abord pour des raisons écologiques évidentes. Mais aussi parce que lorsque tu pars de Paris pour arriver à Téhéran, tu as l’impression que les gens sont très différents, et le choc est assez fort. Alors que quand tu traverses les pays, tu vois qu’il y a finalement une espèce d’unité entre les gens. »

Ce qui la chagrine le plus est l’idée de ne pas toujours pouvoir vivre localement. Et d’être parfois limitée par les visas, qui obligent à sortir et rentrer dans un pays.

« L’idée, c’est donc idéalement de bosser sur place, ou à distance, ce qui se fait bien si tu travailles avec des gens conscients de tes contraintes. Il y a du WiFi partout, j’ai même fait une réunion dans un village du désert ! Il faut juste faire attention à la connexion, ou trouver un moyen de détourner les sites qui ne fonctionnent pas. »

Esra a fait de nombreuses rencontres, notamment grâce au couchsurfing, mais confesse qu’elle ne pourra pas forcément y donner suite. Les contacts se limiteront à quelques personnes par pays :

« Honnêtement, tu ne peux pas nourrir une relation avec tous. C’est un peu plus difficile que de vivre dans une ville, parce tu sais qu’il y a des gens que tu reverras potentiellement jamais. Mais est-ce que l’oubli de certaines personnes ou endroits est vraiment dramatique ? Je pense que ça fait partie de ce mode de vie là, en fait. »

Après la seconde édition de W(e) Talk, Esra va repartir, d’abord en Ouzbékistan, puis au Kirghizistan. Elle espère obtenir des visas plus longs et pouvoir continuer. Elle qui se dit peu douée pour se projeter s’est quand même donné un minimum d’un an et demi de vie à l’étranger. Pour la suite, elle espère tomber amoureuse d’une espèce d’oasis au fond d’un désert :

« Ne pas vivre en France, ça coûte moins cher, mais ça coûte quand même. Si on n’arrive pas à gérer les budgets par an, il faudrait qu’on s’installe quelque part et qu’on trouve à bosser, ou qu’on rentre. Mais je ne pense pas vraiment revenir en France, même si j’adore ce pays. »

L’indépendance face aux parents

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Détachée, Esra l’est depuis longtemps, ou du moins, elle est farouchement indépendante. Et notamment de ses parents, qui ont toujours laissé faire : quand à 18 ans, elle a décliné les vacances en famille et est partie faire un stage en Italie, ou pour son départ en Erasmus.

« Je pense que j’ai vraiment de la chance d’avoir des parents qui ont toujours été, à leur manière, hyper permissifs. Ils sont juste flippés à l’idée qu’il t’arrive un truc, comme tout parent. »

Son père se montre très encourageant par rapport aux voyages, raconte Esra. Elle pense aussi que sa mère est plutôt contente et apprécie de recevoir ses parutions presse, même si le quotidien de sa fille lui échappe. Esra sourit :

« Le fait de venir vivre à l’étranger, c’était difficile pour elle parce que c’était pas un choix premier, à la base, ils devaient repartir en Turquie. Elle vient d’une famille aisée, et fait partie de ces gens qui donnent de l’importance au confort. Avoir une voiture, une maison et un travail pas salarié, c’est déjà fou pour elle. Alors un travail pas salarié que tu fais depuis Internet à l’autre bout du monde ! Au téléphone, elle me demande si je suis heureuse de ma vie. Comme je réponds oui, ça lui va même si elle ne comprend pas trop ce que je fais. »

Une figure familiale fascine Esra : sa grand-mère paternelle, une femme qui vivait dans un ascétisme volontaire. L’ex-entrepreneuse s’est rendue dans son village d’origine en Turquie :

« Je pense que c’est un modèle pour beaucoup de personnes aujourd’hui. Toutes ces femmes étaient fortes par rapport aux contraintes qu’elles vivaient et qui ne sont pas forcément les nôtres. Je trouve qu’on ne fait pas beaucoup de sacrifices, qu’on comprend moins le sens de ce mot, en tout cas dans notre génération et dans nos milieux. »

Pour elle, les difficultés d’un•e étudiant•e qui cumule les jobs sont incomparables à celles que rencontrent certaines femmes. Ce qui n’est pas forcément un mal à ses yeux, d’autant qu’elle estime que de nouvelles contraintes entraînent le développement de nouvelles compétences :

« Je réalise qu’il y a quand même eu une évolution, et qu’en Europe, on a vraiment de la chance. C’est cool, mais il faut que ça nous rende un peu sensibles aux autres. »

Être un modèle ?

En attendant le prochain voyage, Esra fignole la préparation du W(e) Talk 2015, forte des retours positifs de l’édition précédente, mais aussi des leçons tirées. Des intervenantes plus variées – marocaine et grecque, entre autres – des partenariats avec des structures comme le mouvement Colibri, l’Institut des futurs souhaitables, ou spécialisées en sciences et sciences sociales, des tarifs adaptés aux différents profils… Mais aussi deux autres programmes sur l’égalité et le leadership féminin :

« Ca prend un temps de fou, et c’est du bénévolat pur. Mais je pense que c’est un peu ma manière de rendre, à mon échelle, même si ça ne touche qu’un certain nombre de personnes. Je fais ma part du truc, et si ça peut avoir un impact d’une manière ou d’une autre, c’est cool. L’année dernière, des personnes sont venues me voir ou ont écrit pour dire que ça avait réinterrogé des trucs ou fait bouger certaines de leurs idées…»

À lire aussi : « Girlz! », un forum de réflexion sur la prise de pouvoir des jeunes femmes

La pré-adolescente timide et sensible qu’était Esra, qui pleurait à la vue d’un glacier moins fréquenté que ses concurrents, est devenue une femme inspirée mais humble :

« Je ne pense pas être particulièrement courageuse. Je fais plutôt partie des gens qui ont une espèce d’empathie un peu pathologique. Il y a des gens qui ont cette espèce d’envie de révolutionner le monde. Moi non, mais j’ai toujours eu envie de changer les choses à un certain niveau : tu te lèves le matin, t’es content de faire un truc, tu sais que ça a du sens. J’ai envie de laisser une trace positive de mon passage sur Terre, enfin j’espère… »

D’être un modèle, en quelque sorte ?

« Euh, je ne sais pas. Je trouve ça hyper prétentieux, mais peut-être que c’est mon côté féminin… Pendant mon voyage, j’ai rencontré une gamine de 3-4 ans, et pour moi, c’est un modèle par rapport à ce qu’elle représente. Oui, banaliser ce mot, c’est essayer qu’on accepte, chacune, l’idée qu’on puisse être inspirante. »


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

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Avatar de Tshepiso
17 mai 2016 à 11h05
Tshepiso
Woaw.
(@Lea Bucci c'est "entrepreneuriat" :fleur
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Le film “Jamais plus”, très attendu par les fans du livre dont il est adapté, est sorti dans les salles mercredi 14 août dernier. Une polémique entache toutefois le succès du long-métrage. Outre le fait que l’auteure Colleen Hoover soit jugée problématique par nombre d’internautes, la réputation de Blake Lively ajoute une ombre au tableau. Décryptage.
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