Vous savez bien comment ça se passe : entre la bolognaise et le crumble, un esprit enjoué ose une boutade politique et v’lan, c’est la débandade, l’engueulade générale, les droitards persiflent que la valeur travail est cassée par ces assistés de gauchos, les gauchos hurlent que ces shootés au profit de droite foutent en l’air le système social et les autres en profitent pour balancer leur fiel contestataire autoproclamé. À un moment, votre père se met à serrer très fort les dents en disant qu’il va falloir se détendre.
Si vous avez déjà vécu une situation similaire, avez-vous remarqué comme tout le monde prend à cœur de défendre son propre poulain politique ? Comme, soudainement, les discussions ne tournent plus autour de facteurs objectifs ? Comme l’émotion a pris le pas sur l’argumentation raisonnée ?
Dans l’ouvrage Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables, Serge Ciccotti interroge : « Pourquoi votre voisin croyant et votre voisine militante ne sont-ils pas d’accord avec votre raisonnement implacable ? ».
À cause du « raisonnement motivé », figurez-vous. D’une vile tendance de parties « émotionnelles » de nos cerveaux, qui forceraient les parties « rationnelles » à tirer des conclusions qui iraient dans leurs sens. Ainsi, si je suis une fervente admiratrice d’une personne politique et que quelqu’un me parle de ses contradictions, de ses incohérences, la situation serait trop inconfortable pour moi et mon cerveau tenterait de minimiser les émotions négatives (quelqu’un me montre que mon poulain politique n’est pas celui que je crois) et de maximiser les émotions positives (je trouve une explication plausible : mon contradicteur me ment).
En 2004, en pleine période d’élections présidentielles aux États-Unis, le psychologue Drew Westen lance une expérience : 15 participants pro-Bush et 15 participants pro-Kerry doivent lire des textes soulignant les contradictions des discours et actions de ces deux personnages politiques, ainsi que celles d’une personne neutre (en l’occurrence, Tom Hanks), puis doivent tenter d’expliquer ces incohérences. En parallèle, les participants sont soumis à l’IRM pour observer le comportement de leur cerveau pendant les deux phases de l’expérience (lecture puis réflexion). Résultat : le cerveau d’un pro-Bush ou d’un pro-Kerry se comporte différemment lorsque la contradiction porte sur Bush, Kerry ou Tom Hanks.
Lorsque l’on attaque leur favori politique, les zones du cerveau habituellement impliquées dans le raisonnement ne seraient pas activées – à la place, on verrait l’activation d’une série de zones généralement impliquées dans la punition, la douleur et les émotions négatives. S’ils parviennent à ignorer l’information menaçante, ces zones sont désactivées et les zones impliquant la récompense s’activent.
Vous me suivez ? En bref, une information menaçante pour votre politique préféré sera perçue comme repoussante et associée à une émotion négative. Pour vous défendre, votre cerveau « émotionnel » va prendre la main sur votre cerveau « rationnel » pour trouver des arguments et des explications plausibles, ce qui vous permettra de retrouver un état d’équilibre affectif…
Le phénomène pourrait bien illustrer « l’effet de confirmation des hypothèses », un concept de psychologie sociale témoignant de notre tendance à rejeter systématiquement les preuves qui peuvent contredire nos théories et croyances. C’est par ce biais que lors des engueulades dînatoires, quelqu’un finira toujours par dégainer un bon vieux « les chiffres, on leur fait dire ce que l’on veut
» ou vous accuser de vous appuyer sur des « médias partisans ».
En 1979, Lord, Ross et Lepper présentent à des personnes pro et anti peine de mort deux études fictives – l’une soutenant l’idée que la peine capitale encouragerait le crime et l’autre s’opposant à cette même idée. Lorsqu’on leur demande d’évaluer les méthodes d’enquêtes de ces deux études, jackpot : les pro-peine de mort jugent l’étude montrant que la peine capitale dissuade le crime comme mieux conduite et plus convaincante, et l’inverse se produit pour les anti-peine de mort.
Somme toute, nous aurions tendance à rechercher et retenir les informations qui confirment nos convictions initiales, même si ces informations sont discutables, et sans même en avoir conscience.
Imaginons : j’ai la ferme conviction que tous les hommes politiques sont assoiffés de pouvoir et d’argent. Si je tombe un jour malencontreusement sur un article prouvant qu’un homme politique a détourné des fonds publics, je pourrais parfaitement me dire que j’ai bien raison de penser ça – alors même que c’est un sacré préjugé, que je fais là une généralisation dangereuse à partir d’un exemple particulier et qu’il pourrait bien y avoir une flopée de politiciens tout à fait honnêtes (et ce phénomène-là, ça me rappelle d’ailleurs le papier de Jack Parker suite à l’affaire Merah). Et peut-être qu’en prenant conscience de ce processus, nous pourrions percevoir les choses de façon un peu plus juste – juste un peu ?
Pour aller plus loin
– Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables, Serge Ciccotti – Quelques pages disponibles sur la confirmation des hypothèses – L’étude de D. Westen
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Donc logiquement quand on ne se prononce pas pour une assertion "simple" et scientifique on ne peut pas jouer la carte du "c'est tout vrai/ c'est tout faux", en fait je trouverai même un peu étrange de faire des choix "objectifs" pour répondre à une question subjective, ce serait comme se demander quels sont les principes du bonheur objectivement, ça a un sens tout relatif quoi :/
Mais bravo pour l'explication de nos "tricheries" mentales