— Article du 5 janvier 2015
Dans les meilleures ventes d’album 2014 en France, on trouve un bon paquet de représentants de ce qui est appelé « chanson française » : Indila, Kendji Girac, Johnny Hallyday, Black M, Les Enfoirés, Calogero, Maître Gims, Florent Pagny… Je n’en dirai pas plus, j’en vois déjà qui simulent l’évanouissement derrière leur ordi. C’est un des problèmes majeurs de la chanson française dans les discussions en société : on sait que ça se vend, et donc qu’il y a bien quelqu’un pour l’écouter, mais faire admettre à ton voisin de droite qu’il se faisait un kif sur Céline Dion avant que Xavier Dolan en fasse une séquence dans Mommy, c’est une autre paire de leggings…
La chanson française est l’enfant crucifié sur l’autel de de la hate. Je voudrais donc aujourd’hui défendre cinq de ses représentants, pris pour cibles (trop) faciles… à tort.
Fauve : même pas honte d’être ado !
Fauve est un peu le numéro 1 des groupes qu’il était bien vu d’aimer avant 2013, lorsqu’il ne passait pas encore à la radio et qu’il ne remplissait pas les salles de concerts. Si le collectif a été encensé par les magazines hype, il faut désormais trouver qu’il est nul pour rester cool (vous suivez ?).
Alors que la deuxième partie de l’album Vieux Frères sort en février 2015, ça « ne le fait pas » de dire qu’on nique le blizzard entre ses oreilles, passé un certain âge. On blâme la naïveté de leurs paroles, jugée dignes de la prose d’un adolescent révolté, sans recul, qui crache l’équivalent d’une chambre froide de boucher à la face du monde entier.
Personnellement, quand j’étais ado, en l’an de grâce 2004 et quelques, une autre qui faisait des disques, c’était Priscilla. Elle parlait aussi de sa famille, de l’adolescence et de l’amour, et ça donnait ce genre de paroles :
« Comme dit mon cœur — De son air moqueur — Rien à l’horizon — Comme dit ma tête — Faisant sa mauvaise tête — Je suis en prison »
Elle raconte plus ou moins la même chose que le collectif parisien, à base de « ça va moyen les gars, je voudrais bien que quelqu’un me fasse un câlin mais il n’y a personne autour, la vie ça sent le pied qui macère », non ? On pourrait dire que c’est parce que Priscilla était, comme Britney Spears, un produit bien marketé pour plaire aux adolescentes. Sauf que c’est aussi l’un des reproches qui est fait à Fauve !
Donc à choisir, je me reprendrai un peu de Fauve, qui a au moins le mérite d’avoir fait (re)découvrir Schubert, dont le Trio pour piano et cordes nº 2 est samplé dans Voyou. Et j’accorderai une place à Priscilla dans la playlist du réveillon.
Damien Saez : noir c’est noir
Avant Fauve, toujours dans le temps reculé de mon adolescence et dans la catégorie « je respire le mal-être et je le chante », il y a eu Damien Saez. Au collège, on aimait bien se dire qu’on était « jeunes et cons, puisqu’ils sont vieux et fous, puisque ce monde crève sous les ponts et que ce monde s’en fout ». Et puis on a grandi…
Et c’est devenu assez facile de penser que la prose de l’auteur de Varsovie/L’Alhambra/Paris était nombriliste et larmoyante.
C’est le concept même de Saez — et ce qui, selon moi, fait une partie de son intérêt : si tu as envie de crier ta haine de la société de consommation ou de te torturer sur ta dernière rupture, il y a un album (voire plusieurs, les thèmes sont récurrents) pour ça. Comme pour Fauve, je trouve ça dommage qu’on ne respecte pas le droit à exorciser ses angoisses par les écouteurs.
En plus, Damien Saez, sous ses dehors borderline, me semble musicalement plutôt très fiable. Et il ne fait pas de compromis sur ses valeurs d’indépendance. Quand Télérama l’interviewe en 2012
, il est juste fidèle à lui-même. Quand sort sa bio en 2014, c’est dans une maison d’édition indé dont elle est la première publication, maison créée par le journaliste Romain Lejeune, qui est également l’auteur du livre.
Benjamin Biolay (haters gonna hate)
BB (pas Brigitte Bardot, l’autre), on peut avoir l’impression qu’il cherche un peu à se prendre des baffes. Mon premier souvenir dans la presse de Benjamin Biolay est celui d’une interview dans Technikart en 2007, où il crachait sur les genoux de la nouvelle chanson française, et notamment cette réplique assez choc : « Le pire, c’est Bénabar, ses chansons donnent une vision du monde nauséabonde ».
Sauf que Benjamin Biolay s’est repenti depuis : en 2009, il a admis que critiquer ses petits camarades était un peu concon et que « c’est pas comme ça qu’on dit bonjour aux gens ». Ca ne l’empêche pas de rester assez virulent, notamment sur son compte Twitter, qu’il a menacé de fermer après avoir pris la défense de Zaz. Même si personnellement je ne suis pas adepte du kazoo, il me semble que c’est un bon point qu’il défende plutôt que de descendre. Comme quoi, Céline Dion a tort quand elle dit qu’on ne change pas.
Et puis surtout, ce serait idiot de s’arrêter à une histoire de personnalité. Parce que Benjamin Biolay est un chouette compositeur. Pour s’en rappeler, j’ai un post-it : son album La Superbe, sorti en 2012, est (un peu comme son titre l’indique) touchant et délicat. Qu’il parle à sa fille, cause de ses histoires d’amour ou décrive la vie de couple qui se disloque sur un répondeur, c’est juste beau.
Vincent Delerm, le poète incompris
Vincent Delerm a un peu le problème inverse de Fauve, devenu trop mainstream : dès le début, il a été catégorisé comme trop élitiste, comme le mec qui plaçait des références de produits et de personnalités que personne ne comprend sans avoir fait bac+15. Et j’avoue avoir entretenu cet avis avec la petite balayette proprette de l’auto-persuasion pendant un certain temps. Jusqu’à ce que je me mette à comprendre les références (et que lui, de son côté, en tartine moins dans son écriture).
La vieillesse, ou la culture, ou la curiosité, peu importe ! Vincent Delerm est léger et poétique sans être futil, et il gagne à être connu.
On a aussi dit de Vincent Delerm qu’il n’avait pas de voix. En fait, c’est loin d’être un vrai souci dans l’univers de la chanson, que ce soit celle d’hier ou d’aujourd’hui. Serge Gainsbourg, époque Gainsbarre, parlait plus qu’il ne chantait. Renaud non plus n’a pas fait carrière en se faisant passer pour un baryton. Parce qu’il faut de tout pour faire un monde, que certains ont des qualités d’écriture et d’autres des cordes vocales surdéveloppées… Et chanter sans vibrato fou ne signifie pas sans subtilité : il peut y avoir des nuances et de la musique dans une voix discrète !
Johnny Hallyday, parce que j’ai l’envie (d’avoir envie)
Oui. Bon. J’ai mis Johnny dans la liste. De nos jours, admettre qu’on aime Jean-Philippe Smet (de son vrai nom), c’est un peu se voir coller l’étiquette « beauf adepte du tuning et des barbecues en tong propriétaire d’un bichon frisé ».
D’abord, chacun fait ce qu’il veut de ses week-ends.
Ensuite, Johnny est un gars qui dure (et non, il n’y a rien d’ambigu dans cette phrase) : plus de 50 ans de carrière, tout de même ! Il a su se recycler pour passer des yéyés à l’idée de Rester vivant, et quoi qu’on pense de la qualité de sa musique, vivant, il l’est toujours, donc ce n’est pas si mal géré. Et il a un compte Instagram. À 71 ans. Face aux grands-parents qui continuent à s’enrouler dans le fil ressort de leur téléphone fixe, il faut lui reconnaître sa volonté de rester dans le coup.
Les reprises de chansons américaines par Johnny Hallyday dans les sixties, c’était quand même sympa. En plus, s’il n’avait pas continué, on aurait moins de chanson à hurler au karaoké. Et la carrière de Laurent Gerra aurait eu une autre gueule (qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?).
Vous l’aurez remarqué, j’ai parlé ici essentiellement de chanteurs masculins. La prochaine fois, on sauvera les femmes honnies de la chanson française. J’attends vos hiboux voyageurs et autres cartes postales !
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