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Moi, moi et moi

La piscine – Chroniques de l’Intranquillité

Un dimanche, Ophélie a décidé d’aller à la piscine. Comme souvent avec elle, cette décision anonyme a vite pris un doux parfum d’aventure. Récit.

Mardi 30 août, 05:30

Parfois une fougue incroyable me saisit, me poussant aux plus extrêmes témérités. C’est alors un vent d’aventure qui souffle sur ma vie, un rien qui me porte aux confins des possibles, au bout d’une nuit et d’un monde auquel je pensais ne pas appartenir.

Ces jours-là sont marqués par l’audace, j’ai la bravoure d’un Hussard au combat, la détermination héroïque des mésaventures épiques. C’est ainsi que, portée par cette énergie folle, j’en viens à relever les plus incroyables défis : parler à un inconnu pour lui demander l’heure, échanger quelques banalités avec la caissière du Monoprix, oser prendre conseil auprès d’une vendeuse de Séphora (risque maximum).

C’était un dimanche comme celui-ci, jour du Seigneur et de l’innovation, que j’ai décidé d’aller, pour la première fois, à la piscine. La pratique d’une nouvelle activité sociale en solitaire demande toujours un certain cran, encore plus en sachant que mes souvenirs aquatiques sont composés par deux évènements qui ne laissaient présager aucun talent particulier :

Le premier remonte au jour où j’ai crû à un compliment quand mon frère m’a dit que je nageais comme un fer à repasser. Le second où, au collège, j’ai simulé une crise d’asthme en pleine longueur de crawl pour que mon prof d’EPS me fasse passer dans le groupe des nageurs au niveau inférieur (je n’avais objectivement rien à faire dans le clan des très bons.)

J’ai toujours aimé l’eau, mais le chlore, le bonnet de bain en latex qui tire les cheveux, les chaussettes humides, les oreilles bouchées, cette exposition obscène des chaires flasques et le pédiluve m’ont toujours rebuté.

Alors je ne sais plus comment l’idée de retourner à la piscine m’est venue à l’esprit, c’était peut-être un défi que je me suis lancée et que j’ai trop pris au sérieux.

Toujours est-il qu’un dimanche, armée de mon grand sac contenant :

  • deux serviettes éponge (si j’en fais tomber une dans l’eau),
  • un peigne (essentiel à ma frange),
  • un sac plastique (pour ranger le maillot mouillé qui ne va pas moisir dedans),
  • un échantillon de gel douche Nuxe (pour sentir bon la femme moderne),
  • une crème hydratante (parce que le chlore assèche),
  • un échantillon de shampooing (au cas où ma frange serait mouillée),
  • un baume à lèvre (par réflexe),
  • un miroir de poche (par narcissisme),
  • un maillot de bain (par pudibonderie),
  • un bonnet de bain (pour le style),
  • une pomme (pour la ligne),
  • une bouteille d’eau (après avoir bu la tasse)
  • et un livre de Balzac (je ne sais pas pourquoi; peut-être la frime),

… je suis partie au travail (et après, à la piscine). (OK ?!)

Coin.

Coin. (flickr cc Nyemb)

Une épopée moderne

En un autre siècle, c’est l’épée en main que je serai partie à l’aventure, vers l’inconnu des quartiers excentrés, ceux que le métro ne dessert pas, qui ne sont accessibles qu’aux mercenaires des lignes de bus.

Mais en brave fille de mon époque c’est vers Google Maps que je me suis tournée : j’ai étudié le trajet, point par point, rue par rue, streetview par streetview, allant jusqu’à repérer les bornes de Vélib, l’emplacement des lampadaires, l’agencement des troquets au coin des ruelles.

Je suis partie, la fleur aux dents (ou au fusil), j’ai descendu l’avenue et longé le canal, ces quelques mètres avaient le goût de l’infini, un trajet beaucoup plus long que mon estimation première. C’est en prenant le temps d’arpenter les rues, les yeux bien accrochés au paysage, qu’on distingue de petites transformations urbaines; les distinctions fragmentaires qui transforment un bord de Garonne huppé en rocade, une piste cyclable et sexy en béton fendillé et en graviers.

Je me suis retrouvée au milieu d’un quartier résidentiel paisible, où toutes les maisons se ressemblent, où toutes les rues se croisent, où tout les passants que l’on croise ne sont pas du tout en mesure de nous dire où nous sommes.

C’est la 3G (et mon intrépidité) qui m’ont sauvés et m’ont enfin menés jusqu’à la piscine, entre deux barres d’immeubles qui semblaient être des logements étudiants, un décor gris, sous un ciel gris; car le jour où j’ai décidé de me baigner dans une piscine découverte, un orage se préparait (et comme je n’ai du courage que pour un jour, il fallait en faire usage dès maintenant.)

Après environ une heure de marche, deux cigarettes fumées sur le parking (“Est-ce que je demande une place pour la piscine ou une entrée pour la piscine ?”… Est-ce que je précise que c’est “pour la piscine” puisque je ne vois pas où je pourrai aller ailleurs) et autant de dilemmes propres à mon incapacité sociale, j’y suis allée.

Contre-plongée et slips de bain

Lorsqu’on ose affronter nos petites peurs une première fois, on ressent d’abord un grand soulagement, puis on réalise que c’était bien peu de choses. Mais au fond l’angoisse est tenace, toujours là, vorace et assassine, elle pose la question de circonstance : est-ce que j’y parviendrai une seconde fois ?

Plouf.

Plouf.

On accomplit parfois des victoires incroyables qui ne trouvent de justification que dans la folie d’un instant, qui sont nées d’une fureur momentanée et dépourvues de courage. Car je considère que le courage (la force de braver les petites peurs) nécessite une répétition, un second assaut, même lorsque la première ligne s’est déjà bien fait canarder.

Alors je suis retournée à la piscine, pour me prouver que j’avais du courage (et parce que ce jour-là, il faisait beau et que je voulais bronzer) et afin de tester un peu plus mes limites en matière d’innovation dans l’espace communautaire j’y suis allée en vélo; en vélo libre service.

J’ai affronté la borne qui refusait de me délivrer un ticket, le point d’accroche qui était bloqué et la selle qui était beaucoup trop haute pour moi. J’ai demandé de l’aide à quatre personnes sur la totalité du trajet et je me suis fait klaxonner une demi-douzaine de fois par des automobilistes hyper vénères de voir une nana rouler sur LEUR VOIE au lieu d’emprunter la piste verte dont je n’avais pas connaissance.

J’ai affronté la circulation sanguinaire du centre ville, les pavés roses chaotiques des petites rues, j’ai découvert le sens de la circulation à vélo et ce petit sentiment de légèreté naïve qu’on éprouve en pédalant fièrement sur un trottoir dégagé. J’ai déposé mon vélo (j’ai encore quémandé de l’aide pour ça.) et d’un pas leste et assuré j’ai demandé à la guichetière “une entrée pour la piscine s’il vous plait.”

J’étais relax, j’avais transmué l’angoisse en routine et avais acquis la certitude de mon courage. Alors c’est beaucoup plus détendue et calme que j’ai fais mon entrée dans le pédiluve, c’est avec force que j’ai installé un transat au soleil et c’est avec délectation que j’ai regardé les autres nageurs en slips qui agitaient des palmes devant moi.

Considérations sur la faune aquatique

Double pouce aquatique.

Double pouce aquatique.

Le panel des slips de bain propose une diversité assez éloquente de l’humanité en milieu humide; comme toujours les grandes arcanes de la vie sociale se déploient en attitudes très tranchées.

Nous retrouvons les acteurs :

sportifs émérites concentrés sur leurs longueurs, leurs mouvements de jambes, leur objectif. Armés de palmes et de lunettes autonettoyantes sans buée, ce sont les chevaliers du bassin, les fiers vainqueurs tout en muscles qui t’éclaboussent et te heurtent entre deux longueurs de dos crawlé mais qui s’excusent, aimables et souriants, sincèrement navrés d’avoir troublé ton barbotage tranquille alors qu’ils enquillent leur vingt et unième longueur sans respirer.

Il y a les contemplatifs, ce sont souvent ces femmes attroupées qui n’aiment pas tant l’eau que le soleil et le commérage en gang organisé. En tête à tête solaire elles refont leur monde en s’interrompant régulièrement pour engueuler Louis qui essaie de noyer Léa à l’autre bout du bassin. Les jambes mouillées au moins jusqu’aux mollets elles commentent la température (“ah elle est bonne hein”) avant de s’en retourner à leurs transats et leurs crèmes solaires, indifférentes à tout tant qu’il reste des pages de Gala à lire et du Monoï au fond de la bouteille.

Pendant ce temps-là il y a Jean Luc, Monsieur Jean Luc pour les moins de huit ans, qui donne un cours d’aquagym aux sirènes de moins de soixante dix ans et assure à mi-temps l’autorité de la piscine. Flamboyant dans son uniforme tong, slip et t.shirt qu’il ne mouille jamais par un occultisme propre aux professions sportives (qui a déjà vu un prof d’E.P.S courir ou un maître nageur nager ? pas moi.), il partage son paternalisme assumé avec les quelques lascars échoués sur le rebord du bassin.

Ceux-là même qui donnent l’impression de scruter le moindre de tes mouvements, les commères des grandes mers, fiers de leurs tatouages tribaux dans le bas du dos et dont le pouvoir de nuisance sonore n’a d’égal qu’avec leur pouvoir de nuisance occupationnel. Car lorsqu’ils ne jaillissent pas au milieu du bassin pour empêcher les six autres nageurs de finir leur longueur ils campent à l’intérieur du jacuzzi qu’ils vont réquisitionner pour toute l’après midi.

Enfin il y a moi et tout ceux qui me ressemblent (ils sont nombreux) qui entrent dans l’eau comme on entre en religion, avec ferveur et les pieds secs. Qui s’abandonnent dans le remou des vagues et se débattent contre les puissances contraires (le vent, l’eau qui leur rentre par le nez, le rebords du bassin qu’ils n’avaient pas vus et qu’ils cognent à la fin d’une longueur sur le dos).

Ceux dont le regard s’émerveille de la moindre anecdote et dont la fierté ronfle après seulement quatre longueurs; qui s’en vont, contents, se reposer sur leur transat avec la satisfaction du travail bien fait et d’une cause noble embrassée.

Nous qui nous jurons de retourner à Décathlon nous équiper en conséquence afin de progresser dans notre passion nouvelle et qui ne sommes pas tant fiers de nos performances sportives que de l’exploit d’avoir pratiqué une activité sportive.

Nous, enfin, les Poséidons du grand bassin, déesses des mers commandants aussi bien sur le bitume urbain que sur l’eau chlorée : que notre règne soit grand et notre peau humide.

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Les Commentaires

8
Avatar de salvia
25 septembre 2011 à 21h09
salvia
Ah. C'est moi. L'incapacité sociale faite femme, je me fais des répétitions avant d'appeler le médecin, des notes pour réserver des places de théâtre, merci merci merci, je ne suis pas seule à tourner en rond dans le secret de mon cerveau tortueux. Ça me rassure.

Ouii, c'est moi aussi! Tout pareil! Ouf, je suis un peu rassurée!
0
Voir les 8 commentaires

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