S’il y a bien une chose que le cinéma bas de gamme nous apprend, c’est que le hasard fait bien les choses mal les choses des trucs. Dans le Septième Art, il intervient souvent pour faire passer la pilule d’une éventuelle incohérence qui foutait un sacré coup à la crédibilité du scénario. En revanche, en vrai, le hasard, quand il est accompagné de choix, a très souvent un impact sur nos vies et on ne le réalise parfois que bien plus tard. L’autre jour, l’esprit serein comme un couple qui débarque chez IKEA et se moque de ceux qui s’engueulent en sortant, inconscients que c’est exactement ce qui les attend à la sortie, je me suis dit…
Si j’avais pas arrêté mes études je ferais un très beau métier, totalement indispensable, certes, mais qui ne convient ni à ma personnalité, ni à mes envies. Mais oui mais en fait. Si j’avais jamais connu madmoiZelle et que je n’y avais pas décroché un job, j’aurais pas arrêté mes études. Et si on remonte plus loin, si je ne m’étais pas emmerdée un dimanche pendant mon adolescence parce que ma pote était à un repas de famille, je me serais peut-être jamais inscrite sur le site. Et ça aurait tout changé : si elle avait été disponible ce fameux dimanche après-midi et que je ne m’étais pas ennuyée comme un rat, je n’aurais pas rejoint les madZ et si ça se trouve, je n’aurais connu madmoiZelle que bien trop tard. Genre après mes études. J’aurais alors fini par passer le CAPES – et imaginons que je l’aurais eu, contrairement aux concours des écoles de journalisme.
Alors voilà ce que je vous propose : je vais imaginer à quoi ressemblerait ma vie, à l’heure précise où j’écris – et l’idée, c’est que tu fasses de même, avec n’importe quel choix que tu as fait, consciemment ou pas. Si tu le veux bien, tu pourrais imaginer alors de quoi aurait l’air ta vie en te basant sur ce que tu serais en train de faire au moment précis où tu écris – non sans avoir remis dans le contexte en racontant ce qui aurait changé au préalable dans ta vie. Tu peux bien évidemment adopter le ton que tu veux, parce que oh, faudrait voir à pas déconner, on est en démocratie. Pour te donner un exemple, je me suis collée à l’exercice comme on colle un post-it avec marqué « Je bois du pipi » dans le dos d’un ami. Tiens, pour te mettre en condition, voici une vidéo sur les univers parallèles qui fait mal à la tête :
Il est 15h54, nous sommes jeudi et les 4ème 12 sont sur le point de sortir de la salle. Comme d’habitude, ils sont tous hystériques. Comme d’habitude, je souris en me disant que la journée est bientôt finie. Avant de réaliser, pour mon plus grand désarroi, que le week-end est encore loin et que je n’ai aucune idée d’activités motivantes à leur faire faire la semaine prochaine.
Ils sont tous occupés à refermer leur trousse tout doucement, cran par cran, en me fixant d’un regard faussement neutre pour s’assurer que je ne les entende pas. Ça fait 7 mois que j’ai repéré leur stratégie peu discrète et ça fait 6 mois et 20 jours que j’ai cessé de leur faire remarquer avec un ton qui se veut sévère que personne ne range quoi que ce soit avant que la sonnerie ne retentisse. De façon tout à fait surprenante, ça m’amuse de voir à quel point ils s’emmerdent avec moi. Je veux dire, en décidant d’enseigner malgré mon manque de patience, ma pédagogie qui sent plus mauvais que du houblon fermenté dans un placard humide, les auréoles décorant mes t-shirts au niveau des aisselles (mes 3ème m’appellent Spontex) et ma mauvaise maîtrise de langue vivante que je suis censée leur apprendre, j’ai pensé que ça se passerait mieux.
Le fait d’être tombée de si haut, d’avoir fait preuve de tellement peu de réalisme me fait doucement marrer. Alors que je m’imaginais façon Michelle Pfeiffer dans Esprits rebelles, raisonnant des élèves en perdition et leur donnant l’envie de se battre pour un avenir meilleur, je me suis retrouvée décrédibilisée dès le premier jour de classe quand un 5ème m’a reprise sur ma prononciation de paper. Depuis, ils n’ont de cesse de guetter, les sourcils levés et les fesses au bord de leur chaise, le moindre de mes faux pas linguistiques. Une façon comme une autre de les faire progresser. Et en ce qui concerne l’humiliation quotidienne dont je fais l’objet, je me venge inconsciemment en leur postillonnant dessus 3 fois par heure. Toujours voir la vie du bon côté, qu’ils disent.
De toute façon j’aurais du mal à faire plus, parce que je les déteste pas vraiment, ces gosses. Je les aime pas non plus, quoi. Finalement, les élèves, c’est comme la Marmite : tout le monde me dit que soit je les déteste, soit je les adore, qu’il n’y a pas d’entre-deux, mais ils me laissent la plupart du temps assez indifférente. À la limite, ce qui me dérange le plus, c’est quand je les croise au supermarché alors que je choisis mes tampons. Et à moins de devenir intime avec le/la grand-e patron-ne d’Intermarché et qu’il/elle m’ouvre les portes du magasin en pleine nuit, je vois difficilement comment je pourrais éviter de les croiser à ce moment-là : en choisissant par défaut d’être enseignante, j’ai dû renoncer à tous mes espoirs de vivre dans une vraie ville où tu es incognito au milieu de la foule après 18 ans passés à grandir à la campagne et 5 années d’études à Amiens. Être jeune prof, c’est surtout accepter d’aller bosser là où il y a des postes vacants. En Lozère. Ou dans l’Aisne. Adieu, Paris. Au revoir, Lyon. Fini, le covoiturage qui te dépose juste en face de chez toi (personne ne passe par mon bled de moins de 12 000 habitants). À un de ces jours, les supérettes minuscules ouvertes jusqu’à 22h où tu peux acheter tes protections hygiéniques sans jamais croiser quelqu’un que tu connais. Déjà qu’avoir ses règles c’est assez chiant, alors penser au boulot chaque fois que je change mon bout de viscose, merci mais non merci.
La sonnerie retentit et ils fuient tous la classe comme si j’avais mangé du chou ce midi – j’ai mangé du chou ce midi. Me disant chacun vaguement au revoir d’un mouvement de tête, ils s’en vont rentrer chez eux non sans avoir passé quelques minutes devant le collège à se titiller mutuellement les hormones en ponctuant leurs phrases de « sa race » – à moins que je ne sois trop cliché et qu’ils se contentent de se faire la bise en faisant claquer leur bouche dans le vent au lieu de la joue. Compréhensible, vu que je ne vois toujours pas comment il est physiquement possible que deux personnes se fassent la bise en touchant chacun la joue de l’autre avec sa bouche.
En rangeant ma sacoche en toile (pour faire jeune), je soupire en me demandant, comme d’habitude, si j’aurais pas pu faire les choses autrement plutôt que de signer pour 40 ans à faire un job qui ne me remue pas plus les tripes qu’un chili con carne sans épices.
Eh, heureusement que je me connais mieux que ça et qu’on m’a donné la chance de trouver ma voie n’est-ce pas ? (wink wink)
___
Que pensez-vous de l’idée ? On en fait une série ? Si vous souhaitez tenter l’exercice, n’hésitez pas, envoyez-nous votre Vie Parallèle !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires