On ne se rend pas compte, enfant, de la chance que l’on a d’être à l’école. Ne fermez pas cette fenêtre, ceux qui parmi vous ont été des cancres, des parias de la cour de récré, des squatteurs de chauffage, je ne comptais pas vous faire l’apologie du bonheur d’apprendre (trop facile…), du doux souvenir du BN en miettes au fond du cartable Barbie (trop nostalgique…) ni de sœur Marie-Louise, cette quinquagénaire digne représentante de l’enseignement catholique (trop morte…).
Non. Si je vous parle aujourd’hui du bonheur d’être un écolier c’est que… moi, je ne sais plus dans quelle classe je suis.
A chaque rentrée, c’était simple, souvenez-vous : on nous disait quelle classe, on nous disait quelle année et, pour les plus distraits, les noms et prénoms étaient rappelés en chaque début de cours grâce à l’appel.
Je suis rentrée en CP, après on m’a dit le CE1, quelques années plus tard on m’a dit la sixième, après la cinquième, puis on m’a dit tu restes en cinquième une année de plus (oui mais c’est à cause du divorce de mes parents…), plus tard le bac, plus tard la fac, plus tard une école hors de prix pour me distraire de la réalité de la conjoncture…
Et puis, un jour, plus de rentrée. Oui, tout à fait, comme vous, il n’y avait plus personne pour me dire dans quelle classe j’étais. Au début, je savais bien, c’était simple, c’était la rentrée « recherche d’emploi », ensuite il y a eu les rentrées de congés payés dans un bureau à moquette qui sentait bon le papier chaud de la photocopieuse. Vous êtes toujours dans ce bureau ? Mais vous savez, vous, dans quelle classe vous êtes ?
Et il y a une seconde chose étrange avec cette histoire de rentrée : sauriez-vous me dire c’est quand la grande école ? En maternelle c’était le CP et puis finalement c’était le collège puis le lycée, puis la fac… J’ai passé les étapes et jamais je n’ai eu l’impression d’avoir vraiment les deux pieds dans la grande école. On s’est tous fait avoir, « la grande école », c’est comme la taille 36 et l’orgasme multiple, un idéal accessible auquel paradoxalement on n’accède jamais. Enfin si, une fois j’ai fait une taille 36. Mais j’avais 13 ans.
Et là je sais qu’il y a au moins une madmoiZelle qui crève d’envie de répondre (peut-être d’ailleurs est-elle déjà en train d’écrire sur le forum) que c’est normal que je ne sache plus dans quelle classe je suis car là où je vis (dans le monde des adultes…), il n’y a plus de classe. Qu’une classe c’est un système hiérarchisé des strates d’enseignements.
Ah ouais ? Alors expliquez-moi pourquoi, les trois quarts de mes amis sont en train de passer en classe d’adulte responsable ? En classe de parents ? En classe de propriétaire d’appartement (à Paris !!!) et que moi j’ai toujours l’impression d’être en classe préparatoire de cette fameuse et grande école qu’on ne voit jamais ?
Chérie ! Chérie ! Eric a gagné le match ! (photo tirée de "99F")
J’en parlais avec Nico, qui se voit contraint et forcé, bientôt, de passer en classe de trentenaire. Il pense qu’il n’est pas prêt, il flippe. Il n’a pas son nouveau cartable, le programme ne l’enchante pas, dans la classe précédente il avait tous ses copains-copines et il a peur de les perdre.
Alors oui, on est d’accord, personne ne lui mettra deux heures de colle si l’école de trentenaire, il la sèche. S’il attend l’année prochaine, l’année suivante… S’il veut, sa classe de trentenaire, il peut s’y inscrire à quarante ans. Peut-être y aura-t-il un décalage avec les autres élèves mais, au moins, il sera allé à son rythme. Moi j’ai redoublé mon adolescence par exemple, c’est pour ça que je suis perdue. Et là je fais mes débuts dans le spectacle à l’âge où ma mère accouchait de son deuxième enfant et mon père d’un doctorat. Bon. Disons qu’on n’a pas choisi le même cursus.
Oui, chacun son rythme et le véritable problème n’est pas de ne pas savoir dans quelle classe nous sommes, mais de n’avoir personne pour le décider à notre place.
Sœur Marie-Louise me manque. Au lendemain de mon adolescence et à la veille de mes trente ans (je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre les deux…), me voilà contrainte de choisir un camp en constatant – bien malgré moi – que la classe où je voudrais rester n’est pas du tout raccord avec mon âge.
Et oui, chers amis trentenaires, il faut grandir, c’est maintenant la grande école. C’est maintenant qu’on peut faire des choses de grands et je nous vois tous, flipper devant ce chiffre « 3 » lâchement suivi d’un zéro avant que pire n’arrive (le un, le deux, le neuf !!!). Mais pourquoi ? C’est maintenant que le monde nous appartient, et il nous appartient encore vingt bonnes années (oui car après, nous serons dans la « vieille école » et ce ne sera pas tout à fait la même ambiance…).
On ne décide pas d’être amoureux, on l’est. On ne décide pas d’avoir trente ans, on les a. On ne décide pas d’être dans la grande école, on y est. Que décide-t-on vraiment alors ? Pas mal de choses quand même.
On décide de s’écouter, on décide d’être heureux, on décide d’être ce que l’on rêvait d’être quand on était au CE1 (moi je voulais être Creamy Magique, la barre était haute et je trouve que je ne m’en sors pas si mal : je n’ai pas les cheveux violets mais je dis souvent des conneries dans un micro…). On décide et on décide avec ce que l’on a : trente ans par exemple. Oui ça change de l’école primaire où la seule chose que l’on décidait c’était la couleur des protège cahiers et en camarade de classe « amoureux » potentiel qui allait être victime de notre précoce romantisme (la faute à « Jeanne et Serge »).
« Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande ? » entraînait une multitude de possibilités, c’était une porte grande ouverte sur la vie et on répondait « infirmière », « maitresse », « Cat’s eyes »… Des mots, de la théorie, des idées qui ne nous engageaient à rien d’autre que de nous mettre une grosse pression 20 ans plus tard. Oui, j’avais des rêves… Et bien c’est maintenant qu’il faut les réaliser. C’est maintenant qu’on peut être une Cat’s Eyes.
Alors dans quelle classe je suis ? Dans la grande école… C’est cela, je suis dans la grande classe. Pour être une diplômée de la grande classe. Alors les copains, on se voit à la récré ?
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Christine Berrou