?La vie est un deuil de chaque instant; je ne sais plus qui a dit ça, peut être est-ce moi mais l’aphorisme semble trop beau pour mon humble cervelle; sûrement est-ce de Marc Levy, Socrate ou Mylène Farmer.
Toujours est-il que chaque mouvement nous oblige à enterrer le précédent, nous sommes enserré dans l’étau d’une évolution éternelle au sein de laquelle nous apprenons, terriblement, que rien ne dure et qu’il faudra s’adapter en permanence à notre environnement.
Comme la plupart des gens – et ça me fait mal de l’admettre car comme la plupart des gens (toujours eux) j’aime me croire différente; mais force est de constater que c’est totalement faux, car comme eux tous, cette bande de lâches et de traîtres; et bien, je n’aime pas le changement. L’inconnu me fait peur et l’idée même de nouveauté me plonge dans une froide apathie mêlée d’angoisse. Non cette chronique ne sera pas très joyeuse mais en novembre deux mille onze; de quoi peut-on sainement se réjouir ?
Quand j’étais plus jeune je ne comprenais pas pourquoi la vie des personnages de littérature ou de cinéma était toujours aussi rocambolesque et dramatique alors que je m’arrangeais au mieux, moi, dans mon petit quotidien tranquille, pour baliser le terrain avant d’y poser les pieds. Pourquoi voulait-on du pathos à tout prix, de l’aventure sur chaque trottoir et des drames à la sauce salsa ?
J’étais époustouflée par l’intrépidité des autres quand je ne rêvais que d’une saine routine et me satisfaisait pleinement de mes habitudes immuables. Quand on sait que le sens de tout nous échappe et que rien de stable ni d’éternel n’existe tout à fait, pourquoi vouloir en plus se maintenir dans une précarité existentielle ?
TOUT CHANGE.
Les gens changent; ta meilleure amie de lycée ne sera plus ta meilleure amie du reste de ta vie, un jour viendra où il te faudra renier les affections du passé pour la triste, l’absurde et l’injustifiable raison suivante : vous avez changé. En bien, en mal, là n’est pas la question, une évolution se fait naturellement face à la confrontation extérieure et notre caractère s’y soumet; on change – c’est terrible.
Nous ne sommes plus les mêmes, parfois on devient de sales cons sans s’en apercevoir (ou en faisant comme si on ne le savait pas); c’est comme ça que les vieux justifient leur choix de vote pour des partis extrême ou leurs relents racistes; avec la vie on change, et la vie n’est qu’un dégout permanent. (Je vous avais dit que ce ne serait pas joyeux, ne faites pas les surpris)
[rightquote]Ma parade, c’est de baliser mon quotidien par une bonne dose de routine et d’automatismes rassurants.[/rightquote]A chaque nouveauté on prend le risque de signer la mort de quelque chose. J’ai peur que la 3D remplace le cinéma de qualité et de scénario, j’ai peur que le livre électronique remplace mes pages jaunes et cornées, j’ai peur que tout finisse par être désincarné, que les moeurs évoluent dans un sens putassier, qu’un jour je me souvienne d’objets qui n’existent plus.
Ma parade pour éviter l’affliction de longue durée qui me saisit quand je pense à tout ça; outre de ne plus penser du tout, c’est de baliser mon quotidien par une bonne dose de routine et d’automatismes rassurants :
– Je commande toujours le même plat au resto asiatique. – Et le même burger chez Speed Burger. – Quand il change, je trouve systématiquement le design de madmoiZelle.com très laid. – Je refuse automatiquement la nouveauté avant d’y réfléchir. – J’accepte d’y réfléchir mais au final je refuse quand même. ?- Puis je regrette d’avoir refusé quelque chose par peur de la nouveauté. – Alors je reviens sur ma première décision, j’accepte le changement et je m’aperçois que c’est mieux. – Je commence à écrire un message privé à Fab pour lui dire «Plutôt sympa ce nouveau design !» – Je l’avoue à demi mot parce que je me suis rendue compte que j’avais tort et parce qu’en plus de ne pas aimer le changement et d’être comme tout le monde, je n’aime pas davantage me fourvoyer ni devoir l’admettre. – Je supprime le message privé, je ne dis rien, je rumine et continue de râler pour le style.
(note de Fab : hahaha ce fantastique paragraphe, c’est l’histoire de ma viiiiiie le cycle éterneeeel)
Je choisis toujours la même table dans le même café où je me rends toute seule avant d’aller au cinéma (j’y commande évidemment toujours la même boisson); dans la salle noire je m’assoie systématiquement au milieu d’une rangée des quatre premiers rangs; je laisse constamment un morceau de bouffe traîner au fond de mon assiette quand j’ai fini mon repas, je ne lis que des écrivains français et morts, au parc j’ai choisi un banc vert comme résidence secondaire et je préfère rester debout plutôt que d’être assise ailleurs.
Je suis persuadée que la connaissance empirique des choses permet de trouver une certaine stabilité et que c’est en répétant éternellement les mêmes actions que l’on se forge un caractère.
C’est le confort situationnel que je me fabrique qui m’apporte un équilibre afin de ne pas devenir complètement cinglée. J’aime ce que les aventuriers du samedi soir trouvent chiant; j’aime la monotonie, le calme apparent me donne l’impression de maîtriser les situations, cela me rassure car j’ai bien conscience que tout est source de stress, d’imprévus et de mort (vous pouvez écouter La compagnie créole si vous avez besoin de vous détendre pendant la lecture de cette chronique, c’est toléré).
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En règle générale, le changement m’irrite, l’imprévu me déstabilise et me met en colère, je ressens une certaine faiblesse face à tout ce qu’il me faut réapprendre.
« IL N’Y A QUE LES IMBÉCILES QUI NE CHANGENT PAS D’AVIS. »
Comme toutes les maximes populaires qui essaient de tirer un enseignement général d’un fait précis celle-ci est particulièrement inepte. Je lui voue une haine bien spécifique parce qu’on me l’a souvent répétée et, étrangement, elle servait toujours à justifier n’importe quoi, elle n’avait aucun sens si ce n’est d’ériger le changement en une valeur suprême :
– J’aime pas le rouge. – Mais si, ça te va bien le rouge, c’est à la mode. Prends-la en rouge, hé, tu sais, y a que les imbéciles qui changent pas d’avis. – Mais j’aime pas le rouge…
[rightquote]Adolescente, je préférais macérer dans mes manies plutôt que d’oser une innovation.[/rightquote]Par opposition, au moment le plus sombre de mon adolescence réactionnaire (car aujourd’hui nous sommes en mesure d’affirmer scientifiquement que tout les ado sous leurs dehors cools et modernes sont réactionnaires, il n’existe d’ailleurs que trois catégories de conservateurs en France : les adolescents, les punks à iench et Eric Zemmour qui est un adolescent et une catégorie à lui tout seul)… Je m’égare. Par opposition, disais-je, j’allais jusqu’à affirmer que je détestais quelque chose que j’aimais car je n’assumais pas le changement, cette volonté nouvelle d’oxygénation. Je préférais macérer dans mes manies plutôt que d’oser une innovation.
?Cette pusillanimité (NDFab : hop la définition) nous fait passer pour des couards; c’est ce que nous sommes après tout, des êtres qui ont peur de ce qu’ils ne savent pas encore, qui préfèrent imaginer en noir plutôt qu’affronter les situations sur lesquelles ils projettent leurs angoisses.
On peut ne pas aimer le changement par principe en se disant que « c’était mieux avant » ou par ignorance. Nous avons tous de bonnes raisons de légitimer notre malaise, d’y regarder à deux ou trente fois avant de crier au génie et de s’émerveiller des progrès actuels mais le changement se fera malgré nous, imperceptiblement, il nous travaille au corps avant même qu’on s’en aperçoive.
Alors est-ce réellement si mauvais d’être sceptique face au grand Progrès ? Est-ce que préférer mes positions d’arrière garde à l’éphémère des nouveautés fait de moi une imbécile ? Est-ce qu’aimer le confort des habitudes est une maladie bourgeoise ? Un jour je relirai cette Chronique, les pieds dans mes louboutins ou des pantoufles en or ; je me serai peut être reniée jusqu’à la moelle, transformée en méta- femme hyper moderne. Un jour peut-être je ferai changer les choses pour ne plus avoir à les subir en passéiste et je serai en avance sur mon temps; je ne vois pas d’autres façons d’accepter le changement – il faut qu’il vienne de moi.
Les Commentaires
Ca arrive, j'en suis la preuve vivante. J'ai tout plaqué il y a deux ans pour changer de pays et j'ai été obligée de rentrer il y a deux mois parce que mes frais de scolarité étaient trop élevés (ma mère est tombée malade)/ je ne m'en sortais pas très bien de toute façon.
J'en chie (il n'y a pas d'autres mots) aujourd'hui, je dois subir le regard des autres qui me jaugent, de ma famille qui est déçue, et je dois faire face à ma douleur (parce que là-bas j'avais construit un début de vie, trouvé des amis, je commençais à vraiment trouver ma place).
Mais au final je suis plus forte, je me connais tellement mieux et j'ai du dépasser toute mes limites, et ça j'en suis très très fière.
La douleur passera et les souvenirs resteront :small:
*3615 my life over*