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Moi, moi et moi

Le cauchemar de l’orientation – Chroniques de l’Intranquillité

Ophélie se penche sur ses souvenirs liés à l’épineux problème de l’orientation. Comment faire Le Bon Choix après les forums des métiers de l’ONISEP et nos huit stages en entreprises ?

« Prenez un papier et inscrivez vos noms, prénoms, date de naissance, profession des parents ainsi que le métier que vous souhaiteriez exercer. »

Ça m’avait toujours interpellé de commencer l’année comme ça, je me demandais si l’enseignant allait réellement lire les trente petits papiers que chacune de ses classes allaient lui remettre. Ça pouvait monter jusqu’à quatre-vingt dix petits papiers de ces notices biographiques gribouillées au bic et sans grand intérêt.

J’étais également un peu gênée qu’on établisse un lien de cause à effet aussi direct entre la profession de mes parents et mes ambitions personnelles, ma volonté d’émancipation et d’autonomie sociale s’en trouvait cruellement remise en cause, c’était douloureux d’être réaliste à un âge où on ambitionne l’impossible.

Lorsqu’on m’a demandé de choisir quelle serait ma première et ma seconde langue vivante, je me suis décidée en pleine panique le matin du dernier jour car j’étais incapable de trancher la question. Je me souviens qu’en cochant « LV1 : anglais » j’avais l’impression de faire mon premier choix d’adulte, celui qui singulariserait mon parcours par rapport à d’autres.

J’ai bénéficié d’un enseignement correct dans un collège et un lycée de province, tendance campagne tranquille et isolée. Je pense que l’incidence du milieu est déterminante dans les choix que nous sommes amenés à faire. Ne baignant pas dans un milieu trop ambitieux et compétitif j’ai été assez épargnée par la course aux résultats, aux chiffres, à la bonne réputation et à la place dans la meilleure prépa de la ville qui semble être la règle dans beaucoup d’établissements. J’ai aussi évité les drames urbains qui font sensation chez Enquêtes Exclusives, les ZEP délabrées où l’enseignement est impossible et les échappatoires inexistantes.

J’étais assez peinarde, donc. Jusqu’à ce qu’on me demande de faire des choix, de valider des options, d’ébaucher les prémices d’un parcours en me tendant les pochettes plastifiées aux couleurs criardes de l’ONISEP. Je voyais les photographies de ces jeunes, ravis, sourire béat aux lèvres, cheveux lisses et brillants, portant un sweat de couleur pastel pour faire branché et accessoirisés d’un objet censé symboliser leur profession future.

parcours-onisep

Leurs discours me collaient un cafard monstrueux, entre les lignes j’y lisais à peu près ceci : « Après vingt-cinq ans d’études et douze années de stage non rémunérés j’ai enfin trouvé le CDD non reconductible de mes rêves dans lequel je suis sur-diplômé mais au moins je suis occupé à quelque chose. »

Le monde du travail me semblait si austère que je peinais véritablement à me pencher sur la question. En vérité, je n’avais envie de rien, pas la moindre petite parcelle d’idée que j’aurais pu exploiter, pas de passions plus développées que celles de mes camarades et dont j’aurais pu faire une réelle occupation, pas de talents ni de dons sur lesquels me reposer.

J’étais une élève banale et sans grandes ambitions, une sorte de bête noire pour les conseillers d’orientation qui me proposaient des listes de métiers plus indifférents les uns que les autres en espérant allumer une étincelle dans mon esprit.

Lors des séances de vie de classe pendant lesquelles les élèves sont censés auto-évaluer leurs capacités d’après d’arbitraires affirmations; je tombais toujours sur les mêmes résultats chimériques me promettant à un avenir passionné. Car j’avais la fibre artistique, mes inclinations penchaient du côté littéraire, j’avais l’esprit créatif, j’étais naturellement disposée à faire carrière dans la poésie, le théâtre et les lettres. C’est ce que les résultats de mon auto-évaluation m’indiquaient toujours. Je me voyais bien rentrer le soir à la maison et annoncer fièrement à mes parents « j’ai trouvé ma voie grâce à l’ONISEP, je serai poète. »

J’aurais fini par poser moi-aussi sur les affiches placardées dans les centres d’orientation pour l’Étudiant.fr, un recueil des Fleurs du mal dans une main, une machine à écrire dans l’autre, sous un slogan évocateur « Je voulé être pouète pour mourir d’une cyroze à labsinte dé 24 ans »

Mais même ces rêves un peu fous que j’aurais pu cajoler en secret m’ennuyaient, je lisais la documentation que mon conseiller d’orientation me donnait à potasser et tout avait l’air terriblement fade. J’avais l’impression qu’en soulignant les éventuelles difficultés d’une profession on cherchait à m’en dégouter par avance. J’avais d’ailleurs la sensation que tout était fait pour me rappeler à quel point le chemin vers l’emploi était sinueux, les études longues et chères, les places rares et la concurrence rude. Si je n’avais pas en moi la passion sacrée du travail, le goût de l’acharnement, la volonté de dépassement et l’envie de sacrifier ma vie sur l’autel de l’emploi, je serais vouée au chômage éternel.

J’ai tout imaginé, de l’improbable au terre à terre, sans que jamais rien ne s’éveille. Ma famille m’incitant à apprendre un métier pratique plutôt que de m’engager dans des études longues, je me sentais au pied du mur, il fallait décider et décider vite de ce que j’allais faire des cinquante prochaines années. De ce qui allait me réveiller cinq matins par semaine, de ce qui m’occuperait la tête huit heures par jour, de l’environnement professionnel que je côtoierai davantage que ma propre maison.

A dix-sept ans tout cela semblait infâme, je voulais un métier qui n’empiète pas sur mon temps libre sans savoir encore que n’importe quel travail finit par s’immiscer dans notre vie privée tant il est déterminant dans notre construction sociale et personnelle.

Lors de mes années d’errance en faculté et pendant les années sabbatiques que je me suis octroyées (c’est le parcours ordinaire pour devenir poète, je l’ai lu dans une brochure de l’ONISEP) j’étais socialement inexistante, relativement méprisée de part mon improductivité face à l’effort collectif. Je ressentais cette pression schizophrène : trouve ta voie mais prépare-toi à en chier, sois corvéable mais supérieurement efficace, fais des études mais sache qu’il y a peu de débouchés, fais une formation courte mais renonce aux rêves d’ascension sociale tant vantés.

 

La seule chose qui m’a débloquée c’est d’essayer de dédramatiser ma situation

alors qu’autour de moi tout le monde considérait mon cas comme étant d’une extrême gravité.

Quand j’ai compris qu’on ne fait plus un seul métier pour toute sa vie, que notre sort n’est pas figé dans la signature d’un contrat de travail, que les possibilités évoluent tout au long de l’existence et que peu importe le cadre, les conditions et les leçons, on apprend continuellement; j’ai enfin pu me lancer vers quelque chose. Sans la terrible peur de « me tromper » et d’être coincée à jamais dans un placard à balai près du parking d’un immeuble de bureaux en banlieue.

L’important c’est d’essayer, peu importe ce que disent les résultats des tests d’évaluation au lycée, les commérages de la voisine d’Untel qui a fait une fac de Truc et qui a pourtant fini caissière chez Shopi, le découragement ambiant et les pronostics économiques les plus sombres. C’est une réalité mais il faut rarement s’abaisser à cette réalité lorsqu’elle est capable de nous paralyser. Si j’avais envisagé les choses moins dramatiquement, j’aurais peut-être passé moins de temps à chercher ma sacro-sainte « voie » et j’aurais essayé plus de choses au lieu de rester immobile à attendre une épiphanie professionnelle.

Je garde toujours sous le coude ma reconversion en poète maudit, je me dis que dans mes vieux jours ce sera peut-être une activité intéressante, faudrait que j’aille voir sur le site de l’ONISEP si ça permet quand même de cotiser pour ma retraite.


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Les Commentaires

19
Avatar de Sid-
3 décembre 2012 à 14h12
Sid-
Merci, cet article et les commentaires qui vont avec me font me sentir moins seule!
Apres mon bac arts appliqués je suis allée en fac d'histoire de l'art car je ne savais pas ce que je voulais faire, grosse erreur, la fac c'est pas pour moi
J'ai donc arrêté, et ne sachant TOUJOURS pas quoi faire à 20ans, je suis en année sabbatique. Ayant deja une estime de moi fragile, je me retrouve déprimée car paumée. Je me renseigne pour reprendre mes études, et même si j'ai trouvé beaucoup de trucs qui me plaisent, la suite me parait longue et insurmontable
Se rajoute à ça la culpabilité, l'impression d'être un boulet pour mes parents qui s'inquiètent
Wow ça fait du bien d'écrire tout ça :rotate: merci encore pour l'article!
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Voir les 19 commentaires

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