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Culture

Stéphanie, championne de sauvetage côtier, et les « Rameuses de l’extrême » – Portrait

En janvier, Stéphanie, championne de sauvetage côtier a relevé un défi un peu fou. On a parlé de cette aventure, de sport et de valeurs à défendre.

Quand j’ai rencontré Stéphanie, nous étions à Paris. Le temps était glacial, elle portait un bonnet, un gilet matelassé et une tasse de café chaud. Mais Stéphanie était bronzée, elle avait les yeux pétillants. Elle a rigolé en me racontant avec son accent du Sud qu’un autocollant madmoiZelle « J’ai pas de culotte » avait fait le voyage avec elle.

Le voyage, donc. Stéphanie Barneix est nageuse et championne du monde de sauvetage côtier. En janvier 2015, avec un équipage et deux autres championnes de la même discipline, Alexandra Lux et Itziar Abascal, elles sont parties du glacier de Picos Azules, en Patagonie, faire le tour du Cap Horn, à l’extrémité de la Terre de Feu, puis remonter jusqu’à Puerto Toro, le village « le plus au Sud de la Terre ». Elles ont fait la traversée en relais sur un paddle-board, une planche sur laquelle on rame à plat ventre. Un défi un peu dingo que personne n’avait jamais relevé dans ces conditions, et qui a été suivi par des écoliers.

Parce que le voyage avait un but particulier : mettre en avant la protection de l’eau. L’équipe a collecté des échantillons destinés au CNRS, qui analysera leur concentration en micro-particules de plastique.

Un défi, puis un autre

Alexandra et Itziar sont déjà rentrées. Stéphanie est encore là, et ça tombe bien, puisque ce défi contre les éléments, baptisé Cap O pas Cap, c’était en grande partie son idée. En 2009, elle a déjà fait, avec Alexandra, une traversée à la rame de l’Atlantique Nord :

« À la fin du parcours, on a vu qu’il y avait énormément de déchets qui flottaient. On s’est dit que ce serait bien de faire quelque chose pour sensibiliser les gens, et les enfants. »

En 2009, Stéphanie avait une motivation très personnelle pour faire la première traversée. Elle a eu un cancer du sein :

« J’avais perdu beaucoup de gens dans mon entourage, j’étais la dernière du groupe. Je me suis dit : si t’as un rêve, il faut le réaliser maintenant, parce que demain ce sera trop tard. Sur mon lit de mort, je ne veux pas me dire que si j’avais su, j’aurais tenté ça ou ça. Alors j’ai dit à Alexandra et Flora que j’aimerais bien faire une traversée. »

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Le goût salé de la compétition

Avant de remporter des prix et de traverser des océans, Stéphanie a grandi dans les Landes, où elle appris la natation :

« Il me semble qu’au début, c’était par affinité. J’avais une copine qui voulait faire ça et je voulais être avec elle. »

De l’imitation, elle est passée à la compétition. Puis aux études de STAPS. Et dans les Landes, les « meilleurs » nageurs ont pour habitude de passer leurs diplômes de sauvetage :

« J’avais fait un bon stage, j’étais tombée sur une plage assez dangereuse où j’avais entendu dire qu’il y avait du sauvetage. Je voulais m’améliorer et je m’étais dit que j’aimerais bien être sauveteur l’été. »

Ont suivi les compétitions, des titres de championne de France, des titres de championne du monde en sauvetage côtier et en paddle-board, et des défis sportifs de plus en plus importants. Ses entraînements l’ont amenée à voyager dans des pays étrangers, ce qui lui a permis à la fois de découvrir d’autres cultures et de s’épanouir au niveau professionnel :

« En Australie, le sauvetage côtier est le sport numéro 1 et ce sont de super structures d’entraînement. Quand j’ai découvert ce sport, en France, il n’y avait pas le côté compétition, ni le matériel et l’organisation qu’il y a là-bas. »

Pas facile d’être une femme dans l’océan

Stéphanie est une grande optimiste, elle le dit elle-même. Mais malgré un tempérament qui pète l’énergie, elle a rencontré quelques difficultés. D’abord parce que son sport est peu connu, mais aussi parce qu’elle est une femme, dans un métier qui est « quand même assez macho » :

« Quand j’ai passé mon diplôme, les filles s’entraînaient en lac. Est-ce qu’ils pensaient qu’on ne serait pas à la hauteur physiquement ? Est-ce que c’était par rapport aux vagues ? Moi, je ne voulais pas ça, je voulais aller à l’océan. Alors j’ai demandé ce qu’il fallait que je fasse. On m’a répondu que je devais être devant les gars, et j’ai dû forcer. »

Depuis, les choses ont évolué. Au moment où nous parlons, les 24 heures du sport féminin ne sont pas encore passées, mais elles sont bien ancrées dans la tête de Stéphanie :

« Il faudrait qu’on voie plus de sport féminin, c’est sûr. C’est vrai que parfois, il n’y en a pas assez à la télé ou dans la presse. Pourtant, je pense que c’est très complémentaire avec le sport masculin, quelle que soit la discipline. C’est bien de mettre en avant la femme dans le sport, parce qu’elle s’investit autant que l’homme, voire plus, et ça permet une autre transmission des valeurs. »

C’est d’ailleurs l’un des messages qu’elle veut faire passer avec le défi Cap O pas Cap. Les Rameuses sont par exemple intervenues dans les écoles :

« Je pense que les filles sont assez réceptives, en tout cas on n’entend pas de différence entre elles et les garçons. Peut-être aussi qu’elles se disent qu’on peut faire quelque chose d’inédit, réaliser son rêve. En définitive, tout est possible. »

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Mission : transmettre des valeurs

Stéphanie a envie d’informer, de sensibiliser. À son échelle, humblement. Sans vraiment savoir pourquoi, peut-être une pression qu’elle s’est mise toute seule assez jeune, vers 17-18 ans :

« Je me suis peut-être sentie investie d’une mission. Je me disais que comme je savais bien nager, je pouvais peut-être aider les autres, que j’avais une responsabilité de sauver les gens. »

La nageuse a le sentiment que de plus en plus de sportifs s’investissent dans des causes, même si c’est difficile :

« J’ai été 14 ans en équipe de France, et c’est vrai que quand on part pour un championnat du monde, on ne pense pas forcément à sensibiliser les enfants ou à protéger la planète. C’est bien qu’on se serve de cette « arme ». Les Enfoirés chantent, nous on rame et on fait du sport ! »

Du sport pour tous

Donner du sens au sport, c’est important. Stéphanie considère même que c’est un des meilleurs vecteurs d’éducation :

« On t’apprend à évoluer avec les mêmes règles, pour tous. Si tu les transgresses, hop, carton, t’es sur le côté. Il y a une telle multitude de sports pour tous, certains sont moins physiques et plus artistiques. Si on n’a pas la force, on peut avoir l’adresse. Marcher, c’est déjà une activité physique ! Et c’est bon pour la santé. »

Le sauvetage, par exemple, est accessible à tous, peu importe l’âge ou les capacités physiques. Pour Stéphanie, le plus important n’est pas le niveau à atteindre,

mais la notion de sécurité, qu’elle tient à enseigner aux enfants et à laquelle elle les sent très réceptifs.

Modèle sportif, mais pas seulement

La championne apprécie qu’on lui pose des questions. Petite, elle aurait adoré rencontrer des sportifs :

« Je pense que c’est bien d’avoir des références, des témoins. J’aurais vraiment aimé avoir ça, ou même rencontrer des gens passionnés dans la culture, ça m’aurait peut-être donné des envies. »

Dans la découverte d’une discipline, elle croit à fond au rôle de l’éducateur :

« Moi par exemple, j’ai appris avec des gens qui étaient compétents et connaissaient leur métier. Je suis beaucoup dans l’affect. Si j’aime bien les gens, je continue, sinon je m’arrête. C’est un peu comme les enfants, quand ça ne se passe pas bien avec la maîtresse ! »

Et puisque Stéphanie me sourit toujours, on continue à parler.

Le trio de l’extrême

Parmi les gens que Stéphanie aime, il y a ses coéquipières. Comme un clin d’oeil à leur étape sur le glacier, le trio s’est attribuée le surnom de « givrées ». Stéphanie a été la coach d’Alexandra, bien avant de ramer avec elle. Raconter les déboires des débuts la fait sourire :

« Elle s’est mise à fumer à 14 ans. Sa mère l’a gaulée, et l’a envoyée faire du sauvetage pour la punir. De fil en aiguille, elle est devenue super forte, on a fait des compétitions, puis est venue l’équipe de France. »

Elle retrouve en elle ce côté positif, « très joyeuse, toujours à fond ! ». Et sans doute aussi chez Itziar, qui fait partie de l’équipe d’Espagne et qu’elles ont rencontrée en compétition de sauvetage. Entre les Rameuses de l’extrême, Stéphanie parle d’une cohésion très forte :

« Nous sommes aussi très rigoureuses dans la préparation physique. Mentalement, il ne faut rien lâcher. C’est important, parce que si au beau milieu de la traversée, quelqu’un dit non, c’est très dur pour les deux autres. »

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Le soutien des autres

En terme de soutien, Stéphanie est bien servie. Elle a eu d’abord celui de ses parents, lorsqu’elle a choisi de faire du sauvetage. Et maintenant celui de ses proches. Choix conscient ou non, comme les deux autres nageuses, elle est en couple avec un sportif :

« Ils nous comprennent, savent ce qu’on endure quand on est fatiguées de l’entraînement. Si demain j’annonce à mon mari que j’ai envie d’aller sur la Lune, il me dira, si c’est ton choix, vas-y ! Ca aide, parce que ce n’est pas évident pour quelqu’un d’attendre à la maison à chaque fois qu’on part, de se faire du souci. »

Stéphanie l’admet, leurs familles sont toujours inquiètes de ce qui peut arriver en mer. Sur le bateau, les contacts sont limités : un mail par jour, et le tracker, un boîtier sur la planche, qui permet de suivre l’avancement du périple sur Internet.

Un voyage extraordinaire mais fatiguant

La traversée du Cap Horn a été particulièrement intense. Stéphanie retient l’aventure humaine, les rencontres avec les enfants, les paysages magnifiques et son envie de poursuivre son engagement. Mais elle reconnaît des conditions de voyage difficiles :

« On n’a pas eu des super conditions météo au début, du coup on a changé le parcours. On avait des points de refuge, et il fallait ramer très rapidement pour les atteindre avant le soir, parce qu’on n’avait pas l’autorisation de nager la nuit à cause des orques. En un quart d’heure, les conditions peuvent changer, on passe du calme à la tempête et au vent à 50 km/h. »

Si Stéphanie est ravie, elle veut tempérer les questions sur le prochain voyage, que tout le monde lui pose, fatalement :

« Là, on revient tout juste, on est fatiguées par cette expédition et c’est plus un moment de récupération, de régénération. Il y a comme un baby-blues : c’est une logistique impressionnante, ça faisait entre un an et demi et deux ans qu’on se préparait, et il faut le temps de digérer. »

Sauver la planète, ça se tente

Alors en attendant, Stéphanie veut continuer à enseigner la natation, parce qu’il y a encore trop de noyés. Et continuer à transmettre l’idée qu’il faut contrôler la pollution, maîtriser sa consommation d’eau. La championne est touchée par les déchets qu’elle voit sur les plages l’été :

« Ils ne viennent pas de la mer comme ça. Je me dis que c’est l’Homme, et c’est dur d’être responsable de ça. Est-ce qu’on va continuer à nager dans le plastique ou à tuer des mammifères ? »

Sans entretenir un discours « extrémiste », comme elle dit, elle pense que chacun peut aider à son niveau. Et l’expérience au Chili a renforcé cette conviction :

« On était neuf sur le bateau, sans assainisseur. On avait donc une autonomie d’eau qui nous obligeait à faire attention. Ca nous a obligé à nous organiser, on prend des habitudes qu’il faut garder. Je fais attention pour la vaisselle, sous la douche. »

Le plus important, au fond, c’est d’essayer.

« Le Cap Horn, j’ai tenté, ça a réussi. Demain, peut-être que je ferai des choses qui ne marchent pas, mais au moins j’aurai tenté. Je trouve que c’est important, pour se sentir bien dans la vie de tous les jours. »

Pour aller plus loin

Le site du projet Cap O pas Cap, pour suivre les péripéties de Stéphanie Geyer Barneix, Alexandra Lux, et Itziar Abascal

Le site de Capbreton Sauvetage Côtier, le club où travaille Stéphanie


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Les Commentaires

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Avatar de Super Bulle
8 février 2015 à 16h02
Super Bulle
C'est super d'avoir le portrait d'une femme aussi extraordinaire et aussi investie dans son sport et ses convictions ! I love it ! uppyeyes:
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