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Le toucher vaginal sur patientes anesthésiées — Témoignages des madmoiZelles en médecine

Suite à la rumeur selon laquelle le toucher vaginal serait pratiqué sur des patientes anesthésiées sans leur consentement, des madmoiZelles étudiantes sage-femmes, infirmières ou en médecine nous ont apporté leurs témoignages sur ces pratiques.

Publié initialement le 5 février 2015 Cet article a été rédigé à quatre mains avec Clémence Bodoc.

Les touchers vaginaux en centres hospitaliers universitaires : un acte médical encadré

Camille a 25 ans et elle est en sixième année d’études de médecine. Elle n’a jamais constaté de pratiques de ce genre.

« J’ai fait de nombreux stages en chirurgie au cours de ma formation : en chirurgie gynécologique, chirurgie viscérale et thoracique et en chirurgie pédiatrique. Je n’ai jamais vu ou pratiqué de toucher vaginal sans le consentement de la patiente.

Pour moi cette polémique n’a pas lieu d’être… parce que cette pratique n’existe pas. En tout cas pas dans ma ville, ni dans aucun des hôpitaux où j’ai fait mes stages.

Mais je voudrais apporter quelques précisions utiles vu les réactions que j’ai vues dans les commentaires de certains articles : la seule situation où il est possible (et médicalement justifié) de faire un toucher vaginal à une patiente est lors de certaines procédures gynécologiques (une ablation du col ou une tumeur du col de l’utérus par exemple).

Avant d’opérer, le chirurgien peut faire un toucher pour localiser précisément les limites et la position de la tumeur avant de commencer. Et il est je pense tout à fait possible que certains chirurgiens proposent à l’étudiant•e qui participe à l’opération de le faire à leur place. Il s’agit donc d’un•e seul•e étudiant•e pratiquant un geste qui aurait été fait par le chirurgien de toutes les façons.

Ce toucher est fait une fois la patiente anesthésiée car c’est moins douloureux pour elle, et les muscles étant détendus, cela permet de mieux visualiser la tumeur pour le médecin.

Pour ma part, lors de mon stage en gynéco, nous n’avons pas fait de toucher vaginal mais nous avons utilisé des spéculums afin de placer les instruments nécessaires pour pouvoir mobiliser l’utérus, lors d’interventions pour des prolapsus vaginaux. Une de mes collègues a pu palper une tumeur du sein avant l’opération. Et c’est tout. Pas de touchers vaginaux non justifiés ou à la chaîne. […]

En France, à partir du moment où un•e patient•e se soigne au CHU, cela signifie qu’il/elle accepte l’accord tacite selon lequel des étudiant•e•s s’occuperont de lui à un moment ou un autre (que ce soient des étudiant•e•s en médecine, des infirmier•e•s, des sages-femmes…). Il n’y a que dans le privé que l’accord du/de la patient• est explicitement demandé via une signature. »

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MC, étudiante en quatrième année de médecine, a redoublé sa deuxième année et en a profité pour la consacrer à des stages : elle a donc été dans beaucoup de blocs cette année-là, et est passée dans de nombreux services différents, de la chirurgie cardiaque à l’urologie. Elle fait le point sur les actes « invasifs » et le cadre dans lequel ils s’effectuent.

« Pour ce qui est des prises de sang, on s’est entraîné•e•s entre étudiant•e•s, sur nous-mêmes. Pour les actes compliqués, comme les ponctions lombaires, on s’entraîne sur des mannequins. On en a aussi pour les TV (touchers vaginaux) et TR (touchers rectaux), mais ils ne ressemblent vraiment pas à la réalité. On apprend la théorie dessus, mais rien ne remplace la pratique.

En consultation en urologie, j’ai fait plein de TR et de TV : c’était à chaque fois sur un•e patient• réveillé•e, conscient•e et consentant•e. À chaque consultation, mon chef demandait : « Est-ce que mon étudiante peut toucher votre prostate pour apprendre ? ». Et j’ai été étonnée : en un mois de stage, personne n’a refusé.

Enfin, au bloc, les seuls TR et TV que j’ai effectués sur patient•e•s étaient « utiles » : quand il fallait un frottis avant l’opération, par exemple. L’acte aurait de toutes façons été réalisé, et le/la patient•e était au courant qu’il allait se passer un truc dans son vagin.

JAMAIS je n’ai vu ni effectué un acte de ce genre sur une patiente endormie pour un problème « autre » : une patiente dont on enlève la thyroïde, jamais on ira toucher à son vagin ! Si on veut ausculter des vagins, il y en a plein en consultation, avec des patientes consentantes. Les patient•e•s sont souvent très compréhensifs par rapport aux étudiant•e•s en médecine et refusent très rarement un examen par un étudiant•e, sous la supervision du médecin et s’il est justifié dans la prise en charge.

Il nous arrive souvent de faire des gestes en double : le médecin, puis l’étudiant•e pour apprendre, parfois au bloc, mais toujours dans le cadre de la prise en charge du patient. »

Delphine, 22 ans et en quatrième année de médecine, est d’accord :

« Je n’ai jamais été témoin d’un toucher vaginal effectué sans le consentement de la patiente. J’ai passé deux mois en chirurgie, et je n’ai jamais vu aucun attouchement fait sur une personne endormie. On nous laisse poser des sondes urinaires pour les longues chirurgies, mais je n’ai jamais rien vu qui puisse paraître sexuel ou injustifié.

Je ne comprends même pas comment cela pourrait être possible : vu le nombre de personnes présentes dans le bloc, il y aura toujours quelqu’un pour s’interposer devant cette horrible action.

J’ai passé une seule journée en gynécologie et vu le nombre de touchers vaginaux que j’ai faits (avec l’accord des patientes, au courant de mon statut d’étudiante), je ne comprends pas qu’il puisse y avoir des « entraînements » sur des personnes anesthésiées. Ce n’est pas un geste difficile ! Tout•e étudiant•e en fera, rien qu’en garde aux urgences et surtout dans les services de gynécologie et de maternité. Dans ma fac, on a même des mannequins pour s’entraîner au toucher vaginal, au toucher rectal et à la palpation des seins (pour détecter les kystes, les cancers…). »

Des dizaines d’étudiantes en médecine, sage-femmes et infirmières ont ainsi tenu à préciser qu’un médecin peut faire pratiquer un toucher vaginal à un•e étudiant•e dans le cadre d’une intervention dans la zone concernée, quand le toucher est prévu et nécessaire pour localiser une anomalie, une maladie précise.

Elles ont aussi toutes tenu à assurer qu’elles n’avaient jamais constaté de pratiques jugées irrégulières lors de leurs stages dans différents hôpitaux de différentes villes, condamnant catégoriquement d’éventuels touchers vaginaux sur des patientes opérées pour une toute autre raison, par un•e ou plusieur(s) étudiant•e(s) et alors qu’il n’y a pas de raison particulière justifiée par l’opération en question.

Pour s’entraîner au toucher vaginal, les étudiant•e•s demandent aux patientes conscientes lors de leurs consultations si elles sont d’accord. C’est pendant ces consultations qu’ils et elles sont censé•e•s apprendre, pas pendant les anesthésies.

À lire aussi : La PACES, première année commune aux études de santé

Des frontières mal définies… Cependant, des étudiantes ont aussi rapporté que des touchers vaginaux étaient effectivement effectués en-dehors de ces cadres, sans que les patientes inconscientes n’aient donné leur accord, parce que ces cadres ne sont pas clairs. Et parce que beaucoup de médecins ne veulent délibérément pas demander leur accord aux patientes, pour êtres sûrs qu’elles ne refusent pas.

Ira-san, étudiante en sixième année de médecine dans la fac incriminée par la polémique, a effectué son stage de quatrième année dans le service duquel est issu le carnet de stage en question. Elle y a passé trois mois.

« J’ai été témoin et j’ai moi-même été « contrainte » de pratiquer des touchers vaginaux sur des patientes endormies au bloc. Mais tout d’abord, précisons quelques points :

  • Il y a en général trois personnes qui opèrent : le chirurgien-gynécologue « senior », l’interne (étudiant à partir de la septième année, mais déjà médecin et déjà spécialisé en gynécologie, et l’externe (étudiant de la troisième à la sixième année, encore en fac).
  • Avant une chirurgie gynécologique (hors chirurgie mammaire bien sûr), l’interne et le chirurgien, ceux qui vont vraiment opérer et pas seulement « aider » comme l’externe, doivent examiner (notamment par toucher vaginal) la patiente pour repérer tout changement, prendre leurs repères avant d’ouvrir l’abdomen. Il n’est absolument pas nécessaire que l’étudiant le fasse.
  • En revanche, selon le senior et l’interne qui opèrent, ou selon leur humeur, il est parfois fortement incité à le faire.
  • Je n’ai jamais lu les documents de consentement opératoire que signent les patientes, donc je ne sais pas si elles sont explicitement prévenues que des étudiants pourraient pratiquer des TV pendant leur anesthésie générale. En revanche, à aucun moment je n’ai vu qu’elles en étaient prévenues oralement ou qu’on leur demandait leur consentement, que ce soit pendant la consultation où on leur annonce l’opération ou avant qu’elles ne soient endormies au bloc.
  • En revanche, en consultation et en salle d’accouchement, l’externe et le médecin ou la sage-femme se sont à chaque fois présentés et ont à chaque fois demandé le consentement de la patiente pour que l’externe puisse assister à la consultation, puis à l’examen gynéco et éventuellement pratiquer l’examen. Parfois elles refusaient (plus souvent pour les étudiants masculins, malheureusement pour leur formation), mais souvent elles acceptaient.
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Une fois, au bloc, un senior m’a clairement demandé « d’examiner la patiente » pendant qu’elle était endormie. Je l’ai fait malgré mon malaise et mes idées féministes car j’étais intimidée : par le fait que le senior me le demande et qu’il participe à la validation de mon stage, par le fait que l’interne et tout le personnel du bloc me regardent, par peur de désobéir.

Je regrette vraiment de ne pas avoir osé m’opposer car cette pratique relève selon moi du viol (pénétration non consentie). Mais même avec deux ans de recul et une plus grande confiance en moi et en mes convictions, je ne suis pas sûre d’avoir la force nécessaire pour m’opposer à un chef et un interne, au risque d’être cataloguée comme prétentieuse, d’en baver pendant le reste du stage voire de l’invalider (ce qui veut dire redoubler mon année).

En plus, j’ai personnellement plus appris en pratiquant sur des patientes éveillées et consentantes que la fois où on m’a fait pratiquer sur une femme endormie… J’ai appris par exemple à savoir examiner sans faire mal.

Certains pensent justement qu’apprendre sur patiente endormie est « mieux » pour elle car elle ne souffrira pas du geste maladroit de l’étudiant inexpérimenté ; pourquoi pas, l’intention est louable. Mais à ce moment-là il faudrait les prévenir et obtenir leur consentement explicite AVANT l’intervention chirurgicale, ce qui je le répète n’est a priori pas le cas. Une pénétration non consentie est moralement et légalement plus grave qu’un examen médical douloureux. »

Cette autre madmoiZelle est elle aussi en sixième année de médecine, et elle a elle aussi déjà pratiqué un toucher vaginal sans le consentement de la patiente.

« C’était pendant mon stage de chirurgie en quatrième année : je connaissais la note du blog Sous la Blouse, j’ai demandé si l’on pouvait demander la permission à la patiente. On m’a dit non, parce que ça les angoisse (!). Une fois au bloc je n’ai pas osé refuser : j’étais dans un centre hyper exigeant qui invalidait facilement les stages si on ne faisait pas la carpette, et personne parmi mes co-externes ne m’avait soutenue.

En cinquième année, j’étais en stage de gynécologie en maternité, j’avais un peu plus d’expérience et j’avais décidé de refuser d’agir à l’insu des patientes.

Officiellement, c’était dans mes directives de stage données oralement au début du stage : je devais faire un TV à chaque patiente au bloc. Je ne les faisais pas, d’une part parce que je ne voulais pas le faire à leur insu et d’autre part parce qu’il y a finalement peu de contextes pathologiques pour lesquels le TV est intéressant. Le chef ne surveillait pas trop donc il ne s’en est pas aperçu jusqu’à la quasi-fin du stage. Quand il s’en est rendu compte, il a cependant exigé que je les fasse.

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J’ai dit oui, et le lendemain j’ai demandé la permission à la première patiente (qui a refusé). L’infirmière du bloc m’a alors prise à part pour me dire qu’on ne faisait pas comme ça. J’ai dit : « Si je n’ai pas leur permission, je ne le ferai pas ». Elle m’a dénoncée à mon chef de stage. J’ai été hyper mal vue par les chirurgiens et toute l’équipe du bloc. On est venu me dire que soit j’acceptais de le faire à leur insu, soit je partais. Je suis partie et ils n’ont pas osé invalider mon stage.

Pour moi, il faudrait arrêter de penser que les étudiants en médecine doivent « s’entraîner » comme des dingues. Un TV, c’est simple. Un TV avec une anomalie, on le reconnaît, même si c’est le premier. Les seuls TV intéressants sont ceux du début de l’accouchement, soit ceux des suspicions de péritonite, et dans ces cas-là les patientes sont réveillées. Les TV sous anesthésie générale qui sont formateurs, en gros, c’est les cancers de col (et là, on en fait un et c’est bon on s’en souvient toute sa vie) et les masses ovariennes (et là de toute façon y aura une échographie derrière).

Pour finir, un petit mot sur les interviews des responsables d’enseignement qu’on lit partout sur cette affaire : ils mentent, ça me rend dingue. Tout le monde l’a fait, tout le monde se souvient d’avoir dû le faire en stage de gynéco. C’est LA façon de faire de l’hospitalo-universitaire français. Ils n’assument pas. Les livrets de stage ne sont absolument pas des vieux trucs qui datent et que plus personne ne respecte. L’esprit de corps, parfois c’est bien, mais là vraiment ça craint. »

Cette autre madmoiZelle, quant à elle étudiante en cinquième année de médecine, raconte que les touchers vaginaux peuvent être effectués plusieurs fois sur la patiente anesthésiée :

« Je peux comprendre la nécessité de réexaminer la patiente avant l’opération mais je ne sais pas si elles sont averties de ce qu’il va se passer, si elles savent qu’elles vont être examinées au début de l’opération.

J’ai pour ma part effectivement déjà pratiqué un TV sur une patiente endormie au bloc. La chef voulait la réexaminer avant de l’opérer. Puis elle nous a dit, à ma co-externe et moi, de l’examiner aussi, car elle sentait à la palpation un bourgeon d’endométriose. J’ai demandé si nous étions obligées de faire toutes les deux le TV ; elle nous a dit que oui et a ajouté : « Faites un toucher rectal pour voir si vous le sentez aussi au niveau de la paroi anale ». On s’est exécutées, sous le regard noir de notre chef. La patiente a donc eu le droit à trois touchers vaginaux et trois touchers rectaux.

J’étais dans un stage particulier : en gynécologie, on est quasiment obligés de faire des TV à chaque début d’opération, mais il n’y a pas besoin que les externes passent derrière à chaque fois. Ça a un aspect pédagogique pour nous, on apprend plein de choses, mais je trouve ça inadmissible de le faire sans que les patientes sachent que potentiellement un étudiant en médecine lui fera un TV.

Elles devraient savoir ce qu’il les attend et pouvoir donner leur consentement, comme en consultation.

Pour moi, la polémique autour du toucher vaginal a lieu d’être : il est temps de remettre en place les notions d’intimité et de corps dans certaines équipes médicales. Il ne faut pas oublier que quand on nous demande de faire des choses, nous, étudiants en médecine, on peut difficilement le refuser : la pression d’un chef fait souvent fléchir nos idéaux et notre conviction…

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Il est temps d’avoir ce débat, de franchir ce tabou, de remettre le corps humain à sa juste place et de redéfinir une éthique propre. Mais il ne faut pas que les patients oublient que s’ils viennent en CHU, il y aura des étudiants, pleins de bonnes volontés, mais qui veulent aussi apprendre pour bien prendre en charge par la suite. »

À lire aussi : Douleurs insoutenables et sexualité limitée : l’endométriose, je vis avec depuis toujours

…qui donnent lieu à des abus inconcevables

Cette madmoiZelle étudiante en cinquième année de médecine nous a quant à elle rapporté les touchers vaginaux et rectaux qu’elle et une vingtaine d’autres étudiants ont été invités à pratiquer sur une patiente dans le coma avant qu’elle ne meure.

« J’ai été à la fois témoin et actrice d’un toucher vaginal réalisé sans le consentement de la patiente. Cela remonte déjà un peu, à ma deuxième année de médecine, lors d’un stage en réanimation médicale.

La patiente était dans le coma, en dehors de toute ressource thérapeutique — en gros, elle allait mourir d’ici quelques heures, voire quelques jours.

Le GRAND chef de service nous a fait entrer dans la chambre, à cinq, gantés et vaselinés, pour effectuer non seulement un toucher vaginal mais également un toucher rectal.

Cinq personnes, à la queue leu-leu. Sur une patiente dans le coma. Qui allait mourir.

On était tous gênés, tiraillés entre l’horreur de ce qu’on faisait et la peur de dire « non », mais on y est tous passés.

En sortant, j’avais une sensation de malaise, d’avoir fait quelque chose de mal. Dans le couloir, on a croisé d’autres groupes d’étudiants en stage avec nous dans le service : « Vous aussi vous avez fait un TR à la dame dans le coma ? ». L’horreur. On était vingt.

Effectivement, on fait des touchers vaginaux aux patientes sans leur consentement (mais également des touchers rectaux, et pas seulement aux femmes). On profite du fait qu’elles ne puissent pas dire non. Et je ne comprends pas pourquoi.

Sur un plan strictement pédagogique, ça ne m’a rien enseigné, ou peut-être seulement d’apprécier la tonicité vaginale d’une femme sur son lit de mort. Pas très utile pour une étudiante qui ne connaît encore rien à la médecine.

C’est la seule fois où j’ai été confrontée à cette pratique : je n’en ai jamais plus entendu parler, même après un stage en gynécologie. Par la suite, j’ai toujours baigné dans l’idée du respect total des patients, de leur corps, de leur nudité, de leur intimité.

En gynécologie, j’ai fait d’autres touchers vaginaux, en consultation, tous consentis, et qui ne m’ont jamais été refusés par les patientes. Et je pratique fréquemment des touchers rectaux aux urgences, mais jamais sans explications et sans l’accord du patient.

Le toucher vaginal, c’est un geste très spécial. On touche à une intimité encore plus intime que lorsqu’on ouvre une blouse pour écouter un cœur. C’est un geste qu’on ne peut pas faire sans le consentement de la patiente, d’une part car il nécessite souvent une réponse (ça fait mal ou pas ?), et d’autre part car sinon c’est un viol. Un viol du lien de confiance, un viol de l’intimité, un viol du respect.

Alors pourquoi fait-on parfois des touchers vaginaux sans le consentements des patientes ? Dans un intérêt pédagogique ? Oui.

Il ne faut pas diaboliser les médecins qui le font pratiquer à leurs étudiants en pensant que ce sont de gros pervers sadiques et psychopathes. Ils cherchent certainement véritablement à nous montrer des choses, à enseigner, mais ils ne veulent pas se heurter au refus et le font d’une manière inacceptable. Mais pas pour nuire, et là j’insiste. Seulement par bêtise et ignorance.

Très simplement, tout acte, quel qu’il soit, de la simple auscultation au toucher vaginal, doit se faire avec l’accord du patient. C’est la règle, c’est la condition absolue pour avoir le droit de soigner quelqu’un. Et si on ne fait pas ça, alors on ne mérite pas d’être médecin, ou infirmière, ou sage-femme, ou aide-soignante. Avoir la confiance du patient dans ce que l’on fait, c’est le plus précieux des cadeaux, alors il faut le respecter. C’est ça qu’il faut enseigner. »

Si ce cas semble heureusement relativement isolé, il révèle un problème dans la façon dont les patientes sont considérés, et dans la communication médecins/patients.

Vers une meilleure communication

Des étudiantes ont insisté sur le coeur de la polémique : même si elles viennent dans un centre hospitalier universitaire, qu’elles savent qu’il y aura des étudiant•e•s dans la salle d’opération, les patientes ne devraient-elles pas être prévenues des actes qui seront effectués sur leurs corps, en plus de la seule opération et des seuls actes nécessaires à cette intervention ?

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Car même quand le toucher vaginal n’est réalisé qu’en consultation avec le consentement des patientes, les problèmes qui participent de la perpétuation de ceux effectués sur patientes inconscientes restent manifestes pour beaucoup. Claire, étudiante sage-femme en avant-dernière année, explique :

« Le toucher vaginal, c’est un peu mon quotidien. Et je n’ai, personnellement, appris à les faire QUE sur des femmes conscientes et consentantes. Le problème de fond, c’est plus qu’aujourd’hui, la relation médecin/malade est gangrénée par énormément de contingences administratives des deux côtés, de connaissances souvent erronées des patients, et d’un manque énorme de communication des médecins. De plus, si le médecin, pendant sa consultation, expliquait simplement aux patients ce qui allait leur arriver, très peu seraient contre.

La confiance l’un dans l’autre se perd. Les patients n’osent pas demander, parce qu’ils ont encore cette vision du médecin « qui sait tout », et les médecins n’expliquent pas, parce qu’ils pensent que les patients vont leur coller des procès si quelque chose ne se passe pas comme prévu.

La communication en général est rompue, et des tas d’informations se perdent, ce qui accentue la peur de la médecine pour les patients, et la méfiance des médecin envers les patients.

La médecine en France devient de plus en plus clientéliste, et c’est vrai que ces dernières années, les patients ont de plus en plus d’exigences sur la qualité des soins, ce qui effraie les soignants. »

Mettre en perspective

Camille, étudiante en quatrième année de médecine, ne nie pas que ces accusations puissent être vraies dans certains hôpitaux, mais tient à ce qu’on ne fasse pas d’amalgames :

« Il faut que toute la lumière soit faite sur ces accusations, et qu’évidemment, si cela est vérifié, que l’on puisse aujourd’hui condamner ces actes. Cependant je refuse la stigmatisation de mes études et de mon apprentissage. »

C’est une crainte que beaucoup d’étudiantes ont exprimé, atteintes par les accusations portées à l’encontre du personnel hospitalier dans les médias, comme Jéromine qui veut rassurer et expliquer sa vocation :

« Je veux vous dire que ce n’est pas aussi facile que ces gens ont parfois l’air de le croire, de consacrer une bonne partie de sa jeunesse à ses études. Je travaille cinq ou six matinées par semaine à l’hôpital (pour 100 à 200€ par mois) toute l’année, je réalise des gardes de douze à vingt-quatre heures (pour 20€ la garde), y compris les dimanches et jours fériés. Parfois on m’apprend des choses ; d’autres fois on ne me traite pas correctement et c’est difficile. Le reste du temps, je travaille à la bibliothèque jusqu’à la fermeture.

Je n’ai pas perpétué la tradition médicale familiale non plus : mes parents ont été ouvriers toutes leurs vies et ne comprennent pas ce que je vis. Je ne suis pas désintéressée par l’argent, parce que j’aimerais voyager quand j’aurai un peu plus de temps, mais j’aime chaque patient qui passe devant moi et je les soignerais gratuitement s’il le fallait. »

Cependant, cette polémique ne doit pas être examinée comme un événement isolé. Slate publie un article extrêmement développé sur la culture de l’enseignement médical en France, et notamment la prégnance du sexisme dans la profession : un éclairage qui permet de faire une lecture des arguments et témoignages avec une perspective historique et sociologique.

« Le pouvoir de toucher autrui, l’ivresse de sauver des vies »

Slate dresse une analyse poussée sur le rapport au corps dans la médecine, le rapport au sexe, et le fort ancrage du sexisme dans la profession :

« À l’origine de ce sexisme relatif, il y a sans doute aussi des raisons liées à la nature même de la profession. Elle suppose en effet une exposition à la nudité, qui favoriserait une sexualité plus « débridée ». « Nos chansons pendant les week-ends d’intégration, c’est que du cul ! On a une barrière du corps très différente, parce qu’on est confrontés à des gens nus en permanence », analyse Pauline [qui vient de finir son internat] »

Et le décalage avec le reste de la société se fait sentir à travers les polémiques récentes sur le consentement en gynécologie, par exemple. En témoignent également la virulence des réactions de certain•e•s étudiant•e•s, et la stupéfaction du grand public découvrant la tradition des fresques pornographiques dans les salles de garde — plus précisément celle qui a récemment fait scandale.

« Autre héritage de l’Histoire, le statut de la profession et son organisation en corporation auraient renforcé à la fois le secret autour des dérapages commis et le sentiment de domination d’une partie des membres du corps médical. « Il y a un vrai effet de solidarité qui fait que lorsqu’il y a des agressions sexuelles, cela remonte difficilement », commente Anne-Cécile Mailfert, porte-parole d’Osez le féminisme. »

Pourtant, cette situation est loin d’être une fatalité. Comme le souligne Aude Lorriaux, l’auteure de l’article :

« La France, face à des pays comme la Suède ou le Canada, est encore à la traîne en matière de lutte contre le sexisme. « Les structures de médiation hospitalière sont anciennes dans le monde anglo-saxon; et l’hôpital ne couvre pas les erreurs des médecins. En France, les médiations hospitalières existent depuis peu, et il est très difficile de poursuivre un médecin en justice », commente l’écrivain [Martin Winckler, NDLR]

« Une affaire comme celle du Dr Hazout [condamné à huit ans de prison pour pour viols et agressions sexuelles sur d’anciennes patientes] n’aurait jamais duré 25 ans en Angleterre ou au Canada », estime-t-il […]

« J’ai entendu à de nombreuses reprises l’expression « droit de cuissage » dans la bouche d’internes accueillant de nouvelles externes. Ce n’étaient pas des paroles en l’air. Et leurs aînés (qui avaient pratiqué la même chose) ne les corrigeaient pas. Si un résident canadien faisait ce genre de remarque, même pour plaisanter, il aurait droit à une volée de bois vert de la part de l’équipe soignante, du chef de service et de la commission pédagogique, et serait surveillé de près. »

Lire la suite sur Slate :

Comment le sexisme s’est solidement ancré dans la médecine française

– Un très grand merci à toutes pour vos nombreux témoignages, ils ont été éclairants !

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1 avril 2017 à 05h04
Gia_Juliet
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