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Webroman « Alive » / Ch.1 : Lola

Note de Fab : LiliThaw, fervente lectrice de madmoiZelle.com, a écrit cette nouvelle et m’a demandé de le publier sur mad’. Voici le premier chapitre, les autres suivront dans les semaines à venir ! (mon petit doigt son twitter me fait dire qu’elle est contente :))

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20091229-alive

Le soleil se couche encore, lente agonie du jour qu’accompagne Radiohead dans mon casque. J’allume une clope qui se consume tout seule, l’air distrait. La musique m’élance, me fait mal. C’est comme une torture lente, une chute inéluctable. Je sais bien que je me  crasherai, à la fin. J’y peux rien. Alors je me regarde tomber et j’écoute Radiohead en fumant des cigarettes à la menthe.

Et chaque fois que j’en allume une revient cette espèce de triomphe à la con. Je n’arrive pas à m’empêcher de penser que chaque fois que j’en écrase une, j’écrase une minute de vie avec. Ça me rend ridiculement fière, j’ai tellement l’impression de contrôler ma propre vie. Alors pendant que le soleil meurt, j’avance l’Heure et j’allume clope sur clope.

Je m’appelle Lola, j’ai bientôt dix-huit ans et une absence choquante de vie. Ou plutôt de solide, de tangible. Je ne connais pas la sensation de se réveiller le matin et de savoir ce qu’on a fait de sa vie jusque là. C’est pas tout à fait comme si j’accordais la moindre importance à tout ça. En fait je m’en cogne. Je m’appelle Lola et je ne vis que pour vivre.

La vague lumière de l’après-jour est enterrée à son tour et j’écrase une cigarette à moitié consumée. Elle avait un goût de déjà-vu. Je me lève de l’appui de fenêtre où je m’étais lovée, où je me suis toujours lovée et où je me loverai sans doute toujours pour regarder par la fenêtre quand je suis fatiguée de vivre trop vite et trop fort.

Je m’étire, presque comme un chat et jette un coup d’œil instinctif au miroir en pied, dans le coin de la pièce. Ces derniers temps, je suis si mince que c’en serait presque une insulte avec tout ce que je bouffe. Après une hésitation, je laisse mon regard s’attarder et me dévisager. J’ai dépassé le mètre soixante-dix et à force d’être tout le temps en mouvement, mon corps d’habitude plutôt replet s’est complètement sculpté. Je ressemble à Kate Moss. En mieux.

Sans expression, j’observe mon visage, pas particulièrement fin mais avec deux pommettes assez hautes et marquées, surtout quand je souris. J’esquisse un sourire avant de laisser mon visage retomber dans son inexpression habituelle. Mes yeux marron foncé me fusillent et ça me donnerait presque envie de rire, tellement j’ai l’air d’être en révolte contre tout et n’importe quoi. Alors que je m’en fous tellement… Ma frange blonde n’arrange pas les choses et me donne l’air de la fille-à-pas-emmerder. Un certain charme, je m’autorise à penser en suivant la ligne de mes longs cheveux blonds et lisses du regard.

Sans y prendre vraiment garde, j’arrache la nuisette que je portais et, pratiquement nue, j’attrape mon crayon noir pour en mettre une bonne couche et, machinalement, je fais la même chose avec le mascara. Là. J’ai vraiment l’air de m’apprêter à bouffer le premier qui oserait me parler. Avec un sourire intérieur à cette idée, j’enroule un élastique autour de mes cheveux, en chignon rapide. Le temps de me sangler dans mes fringues de fille qui pue la suffisance et le déguisement est presque terminé. J’ajoute ma paire de boots crème et j’ai l’air d’une créature sortie d’un film. Ça me plaît, c’est d’une insolence rare. J’allume une autre clope pour mieux juger de l’effet. J’étale du rouge à lèvre sang et j’ai l’air d’une pute. Parfait.

Le téléphone sonne, je ne réponds pas. Le téléphone arrête de sonner et je détache mes cheveux. Le téléphone sonne à nouveau et je fais la moue.

« Quoi ? » j’aboie après avoir décroché.

« T’es prête ? » j’entends Cam demander.

« Nan. » je réponds. (Juste pour faire chier, soit dit en passant.)

Cam c’est Camille, une des filles qui, à force de me coller pour approcher Alexandre plus près et faire partie des gens qui vivent, a obtenu le droit de me servir de chauffeur et presque celui de « jouer » avec nous tous. Si elle a ma taille, c’est tout ce que nous avons en commun. Elle a des yeux très bleus et c’est sans doute la seule chose qui marque à son sujet puisque pour le reste, elle a des cheveux mi-longs d’un marron tout à fait terne et très peu d’idées originales. Au moins elle est prudente derrière un volant. Ha ha, je me ferais presque rire toute seule, je suis d’une ironie rare.

« Putain tu fais chier, je t’attends en bas de chez toi depuis vingt minutes, là, merde. »

« M’emmerde pas et attends encore, j’arrive dans cinq minutes. » je dis en raccrochant.

Ce qui, obviously, veut dire dix. Je tire sur le casque et la prise s’arrache de l’ordinateur, le très long câble s’échoue sur le sol et Radiohead se met à hurler par les hauts parleurs aux quatre coins de la chambre. C’est grandiose. Je tire sur ma clope et je laisse le temps passer, pas comme si on était pressés de vivre, après tout. Ma cigarette à la menthe goûte tout sauf la menthe. On dirait un mélange de mépris et de rancœur. Je tire sur le filtre, ça me brûle la gorge et putain même ça, c’est bon. Je jette un dernier regard à mon reflet – j’ai vraiment l’air d’une pute – et je sors en claquant la porte pour mieux dévaler les escaliers.


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Les Commentaires

12
Avatar de love-clothes
20 août 2010 à 00h08
love-clothes
J'ai beaucoup apprécié le dbt de ta nvelle... ça me fait penser a bcp de choses du vécu aussi
0
Voir les 12 commentaires

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