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Cinéma

Revue de Persécution, de Patrice Chéreau

« Paraît que toi, tu marches sur un drôle de chemin. T’as les joues creuses, les mains calleuses, et la démarche un petit peu chaloupeuse. Vraiment, tu me terrasses. Bonjour l’angoisse. Paraît que t’es tombé dans une drôle de crevasse, paraît que c’est pas tous les jours dimanche […] Paraît que ta gonzesse s’est barrée avec ta caisse. Paraît que tu bandais plus pour sa gueule, pour ses fesses. Tu veux que je te dise ? T’étais trop bien pour elle. Comment ça j’ironise ? Mais non, je suis pas cruel. Eh ben ma gueule, te v’là tout seul. T’as le regard triste comme un épagneul. […]* » Michel et Renaud, c’est un peu comme Michel et Daniel, la coke et les histoires de fric en moins.

De cette comparaison douteuse, sans transition, je vais t’expliquer qui sont Michel et Daniel, ou plutôt, Daniel pour commencer, et Michel, si tu es sage. Daniel (Romain Duris), tire sur la trentaine. Depuis trois ans, il vit une histoire chaotique avec Sonia (Charlotte Gainsbourg), incarnation de la réussite professionnelle : la fatigue qui s’accumule et le temps qui manque cruellement. En même temps, Sonia, ça l’arrange, ce manque de temps : elle ne veut pas s’engager. De son côté, Daniel, qui végète sur des chantiers, se réveille un matin aux côtés d’un inconnu (Jean-Hugues Anglade) qui le scrute. Le persécuteur ne vit que pour Daniel, il l’aime ; même si, à mon goût, le filon de cet amour à sens unique n’est pas suffisamment exploité. Et puis Daniel, lui, il a Michel. Son ami, en perdition sociale, qu’il essaie d’aider. On est en hiver, il fait froid, ils portent tous des écharpes qu’ils sont incapables de nouer correctement, et de longs manteaux noirs.

UNE VISION PESSIMISTE DE L’HUMANITÉ…

Un scénario torturé n’enfante pas un remake du monde enchanté des Petits Poneys, soyons bien d’accord. Lorsque l’on choisit volontairement de se rendre au cinéma, en connaissant le synopsis, il ne faut pas s’étonner de passer une heure et quarante minutes devant une tempête exacerbée de pessimisme, soyons bien d’accord. Toutefois, dans Persécution, le pessimisme n’est pas gratuit. Et c’est largement appréciable, face à la tendance actuelle de l’économie d’explication.

Le thème de l’impossibilité de la réussite s’infiltre et nous présente trois profils différents : le persécuteur, rejeté par l’objet de ses désirs, cet objet qui donne pourtant un sens à sa vie, Sonia, menant une vie professionnelle apparemment brillante mais qui perd toute notion de temps (d’ailleurs, on ne la verra jamais travailler, on ignore même son métier, alors que l’évocation de ce travail est omniprésente), et Michel, ravagé par les échecs cuisants.

Quant à Daniel, il semble en revanche un peu plus détaché de ce tourbillon qui l’emporte, malgré lui. Étonnamment, nous nous trouvons face à un homme intelligent, doué d’observation et d’analyse, qu’il peut formuler sans difficulté. Mais, ses capacités de réflexion se heurtent à une hypersensibilité qui brouille son intellect. L’éternel combat du cœur et de la raison. Ces discours que tient Daniel, nous invite à nous interroger nous-mêmes, au fond de nos sièges, sur des questions loin d’être éculées : jusqu’où peut-on pousser l’amitié ? À quel point peut-on aimer sans être aimé en retour ? Trop aimer signifie-t-il nécessairement mal aimer ? Le film ne nous donne pas de réponse concise, et les éléments qu’il nous apporte nous plonge dans un doute, ambivalent. Chacun choisit, mais, que l’on réponde oui ou non, le film conclut : on reste malheureux.

… ACCENTUÉE PAR UNE RÉALISATION BRUTALE

Un tel désarroi ne pouvait pas inspirer lumière et prairie. Alors sommes-nous plongé dans le Paris, gris et hivernal, aux couleurs froides et ternes. Dans ce Paris hostile, des scènes surprenantes et mystérieuses se produisent, sans rapport direct au film. Elles sont là pour nous heurter (voire nous réveiller) après des longs moments d’intenses réflexions. Quel que soit le lieu en revanche, le film se dote d’une extraordinaire dynamique sonore. Et c’est extraordinaire que j’utilise. Le bruit, tout le temps, partout, sous n’importe quelle forme. Dès la première scène, les sons nous font comprendre que l’on est dans le métro. L’accélération, le bourdonnement, tout y est. L’environnement n’est pas ignoré, quitte à empiéter sur les dialogues. Je pense ici à une scène très forte de dispute entre Daniel et Sonia, dehors, où le niveau sonore bruyant de la rue est à la même hauteur que celui des voix des acteurs (heureusement que Duris et Gainsbourg fille ont tous les deux une voix relativement calme et posée, même lorsqu’ils doivent hausser le ton). Du reste, les scènes d’intérieur se vautrent dans la nasalité et la buccalité (barbarisme) la plus primaire. La respiration haletante, Daniel qui mange des spaghettis comme un goret, l’aspiration d’un flot de bave gênante… tout y est, encore une fois. Et lorsque les bruits n’ont rien d’intéressant à raconter, on fait appel à la musique, remarquablement composée par Éric Neveux.

Cette agression de l’audition est aussi infligée à nos yeux. À film rude, esthétique rude et économie de maquillage. Les peaux craquellent, les mains sont rugueuses, les dos boutonneux, les fesses graisseuses, ankylosées dans une cellulite naturelle, les lèvres sont gercées et les yeux cernés et gonflés. Les corps sont fatigués, maltraités. Le cinéma nous avait pourtant habitués à des corps lisses et parfaits, sublimant ainsi les acteurs. Ici, les traits masculins de Charlotte Gainsbourg, sont forcés pour insister sur la frigidité sentimentale de Sonia. Et Romain Duris, barbu, le cheveux sauvageon, voit à plusieurs reprises son visage se déformer sous les coups des pleurs. Des vrais pleurs. Pas trois reniflements et la larmichette en coin. Les acteurs sont poussés dans leurs retranchements les plus extrêmes, avec ce côté répulsif de l’horreur qui finalement nous fascine car il nous renvoie à notre propre laideur.

Persécution n’est pas un film qui suggère, mais qui montre. Qui montre des choses vraisemblables. Et la projection d’une réalité imitée et dénigrée peut agacer. Les gens qui ont quitté la séance au beau milieu du film et les critiques plutôt sceptiques le prouvent. « Moi, ça va bien.* », comme le chante Renaud.

* La chanson que je cite avec amour, c’est « La blanche », de l’album Le Retour de Gérard Lambert, 1981. Et si je la cite, c’est qu’elle m’a trottée dans la tête pendant tout le film. Après, proclamer que si tu aimes « La blanche », tu aimeras Persécution, c’est osé ! Oserai-je prendre le risque ?

Crédit photos : Allociné


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Les Commentaires

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Avatar de Yumiko-chan
15 décembre 2009 à 14h12
Yumiko-chan
Je n'ai pas aimé. Pourtant l'idée de départ me tentait et puis vu le casting, je pensais que ça ne pouvait être qu'un bon film.
Et bien non. Je dirais pas qu'il est pourri, que les acteurs jouent mal et que le film est mal tourné. Justement, le jeu est bon et la caméra un peu 'style de tous les jours' (c'est tout ce que j'ai trouvé pour décrire le mouvement de caméra) rend bien.
Je m'attendais à voir un film dans la continuité de battre mon coeur s'est arrêté. Mais tant celui était simple et touchant, tant persécution est compliqué. Du coup, ben, c'est difficile de rentrer dans le film. Perso, j'ai eu beaucoup de mal, j'avais parfois envie de partir ou bien de dormir. J'ai pas compris la relation entre Duris et Gainsbourg. Heureusement que pendant le film on m'a dit qu'ils étaient ensemble sinon j'aurais pas deviné. Après oui, mais même après, Charlotte Gainsbourg, j'avais envie de lui donner des claques et de la réveiller. Ses 'je sais pas si je t'aime. Je sais pas gningnin, gningnin' sont insupportables. Anglade, j'ai pas non plus compris au début ce qu'il faisait là, mais après compréhension j'ai trouvé que son rôle ne servait à rien. Et quand même, le film avance trèèès lentement, trop, on a la sensation qu'il dure 3 heures.
Bref, ce film est trop longuet, il veut trop faire dans la psycho ( plutôt pseudo psycho) et c'est difficile de se plonger dedans :/.
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