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Lettre d’amour à mon père alcoolique

Le père de cette madmoiZelle est alcoolique, et leur relation est compliquée. Elle a cependant décidé de lui écrire cette lettre d’amour et de reprendre contact avec lui.

Papa,

Je travaillais cet après-midi, complètement absorbée dans mes lectures sur Mary Wollstonecraft (auteure d’une œuvre pionnière du féminisme) et préparant studieusement ma présentation orale.

Et puis soudain un message de maman, qui donne un peu de ses nouvelles, et qui me dit que tu vas bien, mais que cela dépend des jours…

Alors je ne sais pas pourquoi, mais d’un seul coup, l’envie irrépressible de t’écrire m’a prise. J’ai fait rapidement défiler mon répertoire, et je me suis rendu compte que je n’avais même pas pris la peine d’enregistrer ton numéro depuis que j’avais changé de portable.

Un moment, la honte m’a submergée. Puis, très vite, d’un seul coup, ce fut au tour de la colère. La colère de me sentir coupable, encore une fois.

Un papa tout cassé et instable

J’ai passé beaucoup de temps à me sentir coupable, papa. Et j’ai passé beaucoup de temps à me demander pourquoi la culpabilité me rongeait. Parce que c’est toi qui étais parti. J’ai aussi passé beaucoup de temps à m’interroger sur tes motivations, sur ta véritable personnalité.

Beaucoup de mes amis m’assuraient que tu étais simplement « un salaud », que je devais vivre ma vie sans me soucier de toi, en faisant tranquillou mon petit bonhomme de chemin, laissant mes démons bien bâillonnés, claquemurés.

Quelque part, sans que cela me donne le droit de juger pour autant, je trouvais parfois que c’était simple à dire pour eux, d’une certaine façon, parce que chez eux les attendait leur propre papa, tout prêt à l’emploi.

Mais quant à toi, je ne peux même pas aller me plaindre au service après-vente, ou chercher à t’échanger : la date de garantie est expirée depuis longtemps, et tu es tout cassé, boiteux, instable.

Et puis surtout, tu bois. Beaucoup trop. Tout le temps. Pour oublier, pour te donner des excuses, pour fuir ce monde qui ne te comprend pas et que tu ne comprends pas/plus non plus.

Tu es parti longtemps. Ta relation avec maman n’a jamais été de tout repos. Ce ne sont que des hauts et des bas, de la passion et de la violence jusqu’à l’écœurement.

Arriver à grandir au milieu de tout ça fut un combat de tous les instants.

Un père incapable de mettre son amour en pratique

Tu n’as pas été un mauvais père, pourtant, je crois… Parce que tu m’as aimée, et tu m’aimes toujours, je pense. Simplement, tu n’as jamais été capable de mettre cet amour en pratique.

Tu es parti, et tu n’as jamais osé assumer ton départ. Tu as préféré nous faire vivre six ans dans le mensonge, et mener une double vie, avec une autre femme, une autre petite fille.

Et puis tu es revenu, littéralement la queue entre les jambes, et l’alcool déjà bien présent dans le sang — ton éternel bagage, le seul auquel tu es fidèle.

À lire aussi : Un poème sur l’alcoolisme qui va vous flinguer

Ou peut-être parce que, en dépit de tous ces défauts, et en dépit de tous tes efforts pour nous effacer, recommencer une autre vie, tu ne pouvais pas oublier maman ? Ou peut-être parce que tu m’aimais toujours et voulais me voir un peu grandir ? Être là pour moi ?

Tu as été mon père trop jeune. Trop fou, trop ambitieux, trop maladroit, tu ne savais jamais quoi faire de moi, et enfant je ne garde de toi que de vagues souvenirs : celui d’un costume-cravate qui rentre tard le vendredi soir et repart tôt le lundi matin.

Et cette odeur d’après-rasage lorsque tu m’embrasses pour me souhaiter « une bonne semaine ».

Je ne me rappelle pas de toi venant me chercher à l’école ou me conduisant chez des amis, ou m’emmenant au poney, à la danse, au dessin.

Je ne me souviens pas non plus de toi pestant contre moi et mes peluches que j’éparpillais allègrement dans l’appartement, ou m’apprenant à jouer au foot, ou étant là pour mes anniversaires, ou encore me consolant lors de mes premiers chagrins d’amitié et d’amour…

Tu as toujours été lointain.

Et puis un jour, l’alcool

Je garde souvenir de tes cris, ça oui. Tu criais, très fort, moins souvent que maman, mais tu criais. Tu riais tout aussi fort, aussi. Tu étais un bon vivant, tonitruant, gesticulant, tu n’avais peur de rien, et tu « emmerdais les autres ».

Ça n’a d’ailleurs pas toujours été facile d’être la fille d’un tel caractère, et peut-être est-ce pour ça que j’ai mis longtemps à prendre confiance en moi, à parler fort, à être fière de moi, et à « emmerder les jaloux et les envieux », moi aussi.

Tu as été un businessman, aussi. Un vrai de vrai, un séducteur, un « jeune loup aux dents longues » qui engrangeait l’argent et les bons contrats, comme d’autres cumulent les vues et les followers sur YouTube.

Et puis un jour, l’alcool — peut-être celui qui te connaît le mieux dans ce monde, celui que tu prenais pour fêter une affaire conclue, pour fêter la fin de la semaine, pour fêter tout et n’importe quoi, et pour lequel tu gaspillais ton salaire au détriment des besoins de ta famille — t’a rattrapé.

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Et ce fut la déchéance.

Le licenciement, les dettes, la faillite, la chute phénoménale, infinie.

Parce que j’ai toujours cette impression que tu n’en finis pas de tomber. Parfois, on dirait que tu tentes de te rattraper un peu à quelques racines, à quelques idées de projets, à quelques convictions sur le monde et les humains qui s’effritent bien vite, et te laissent exsangue, apathique.

Alors tu t’allonges sur le canapé, nimbé de cet alcool que j’abhorre parce qu’il a pris ma place, qu’il a pris notre place à tous, qu’il a réussi à t’atteindre quand j’ai laissé tomber depuis longtemps, et tu te laisses voguer, sombrer, un verre à la main.

Dans ces moments-là, j’ai beau te parler, te raisonner, crier, pleurer, supplier, tu ne me vois plus, et tu ne m’entends pas non plus. Et tu as l’air si fragile. Si petit.

Alors je suis partie bien vite, n’est-ce pas ? J’ai lâché l’affaire.

J’ai privilégié ma santé mentale

Une fois la majorité atteinte, j’ai suivi ma route, multiplié les échanges étudiants à l’international, espacé mes temps de visite, ainsi que les messages et les appels. Pardon, papa.

Je me suis préférée à toi. J’ai privilégié ma santé mentale, qui commençait à battre de l’aile, et à m’entraîner dans des spirales infernales de moments de mélancolie et de dépression, où tout me paraissait vain, où rien n’avait de goût.

La haine me submergeait parfois, et je voulais faire souffrir autant que tu me faisais du mal, lorsque tu buvais et que maman pleurait, ou te criait dessus. Peut-être, d’ailleurs, que tu ne buvais que pour supporter ses cris.

Je t’ai laissé, et je suis partie me découvrir à l’autre bout du monde. J’ai essayé d’affiner cette éducation bancale que tu m’avais donnée, et de me responsabiliser, de devenir mature, et surtout de scrupuleusement veiller à ne pas te ressembler.

Trop, peut-être. Car tu es toujours là. Dans mes relations avec les garçons, par exemple.

Parfois, je suis si affamée d’amour et d’affection que je peux me donner toute entière d’un seul coup, sans réfléchir, tout particulièrement à celui qui ne veut pas de moi, celui qui, comme toi ironiquement, est toujours prêt à faire ses valises « et à se barrer de cette famille ».

Ça aussi, cela m’a marquée. « Cette famille », pas « ta famille », comme tu aimais dire d’un ton méchant lorsque tu étais ivre.

À lire aussi : Ma mère est alcoolique — Témoignage

J’ai mis longtemps à apprendre à me préserver, à mûrir mes choix, à faire preuve de patience et de prudence devant cette passion qui vous emporte l’âme et vous brûle souvent les ailes.

À apprendre, à comprendre, que ce n’était pas à cause de moi que tu étais parti, ou que tu buvais. Pas à cause de moi que mes relations sentimentales ne fonctionnaient pas toujours comme je le souhaitais.

À assumer cette jeune femme indépendante et forte, dont je voudrais que tu sois fier. Si fier que tu enverrais alors paître l’alcool et me demanderais de mes nouvelles. Tu me demanderais ce que j’étudie, ce qui m’intéresse, ce que je veux faire, et me conseillerais dans mes moments de doute et de confusion.

Je ne sais pas te parler, mais je vais essayer

Je sais que tu te bats tous les jours, papa. Que tu crois que je suis partie parce que je ne t’aime pas, et que je t’en veux.

C’est faux.

Je suis simplement comme toi. Je ne sais pas comment t’aimer non plus. Je ne sais pas te parler. Je ne sais pas qui tu es. Ou plutôt, si : tu es celui, sur le canapé, qui a un verre à la main dès huit heures du matin.

Tu es celui que je tais lorsque j’en viens à parler de ma vie familiale à des inconnus. Ou celui dont je me plains, lorsque la douleur et le besoin d’une oreille attentive est trop fort.

Mais j’ai enfin pris une décision. Je ne veux pas laisser filer le temps et te regarder dépérir, dévoré par l’alcool, que ce soit lui qui finisse par triompher, t’arracher définitivement à moi.

Tu es mon père, même si tu n’as jamais été un père « solide », et tu sais quoi ? La petite fille timide et effacée, celle qui s’excuse d’exister, est allée se faire voir. Tu es mon père, bancal, alcoolique, buté, aigri contre le monde et contre la vie.

À lire aussi : Mon père alcoolique — Fête des pères 2016

Mais je sais que tu m’aimes, de cette manière étrange et douloureuse bien à toi, quand j’entends ton sourire un peu triste dans ta voix, vacillante, lorsque tu me réponds doucement, trop doucement, lorsque je te demande si tu as bu, et que tu me dis « mais non, ma chérie » en jetant ton verre dans l’évier parce que tu as honte et que tu crois que je ne te vois pas.

Et que ta figure et tes yeux sont rouges, et que tes mains tremblent de toutes ces larmes, de tout cet alcool, que tu n’arrives plus à contenir. Mais solide, je peux l’être pour deux.

Alors ce soir, je t’appelle.

À lire aussi : Lettre d’amour à une amie alcoolique


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Les Commentaires

11
Avatar de elyriah
16 février 2017 à 12h02
elyriah
@luve-musique C'est très gentil de ta part, ça va aller un petit moment noir et ça repart comme toujours lol
Et oui je crois qu'on a tous plus ou moins essayé d'ignorer la personne sans grand résultat de leur part
0
Voir les 11 commentaires

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