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Comment les étudiantes chiliennes vont accomplir une révolution féministe historique

Esther était au Chili ces dernières semaines et elle a pu observer de ses propres yeux la révolution féministe qui s’y déroule. Pour comprendre les enjeux, c’est ici !

Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.

Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des Libanaises, elle a aussi suivi les débats sur l’avortement en Irlande et en Argentine. Sa cinquième étape l’a menée au Chili !

Retrouve le sommaire des reportages, interviews et autres articles qu’elle y a réalisé ici !

Tu peux suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !

Au Chili, depuis le mois d’avril, c’est une véritable révolution féministe qui a lieu. Un mouvement parti d’une université et qui s’est étendu dans de nombreuses autres à travers le pays.

Cette mobilisation a déjà été qualifiée d’« historique » par Silvia Lamadrid, chercheuse sur les questions de genre. Selon elle, c’est le mouvement « le plus important depuis la lutte pour le droit de vote des femmes en 1949 ».

Pourquoi ce mouvement arrive-t-il aujourd’hui ? Quelles sont précisément les idées défendues par ces manifestantes et militantes ? Quels résultats ont-elles et vont-elles obtenir ?

Pour comprendre et répondre à toutes ces questions, j’ai rencontré de nombreuses personnes y prenant part.

Parmi elles, Amanda Mitrovitch, la porte-parole du mouvement au niveau national, et Sofie Brito, une autre porte-parole devenue un symbole du mouvement, involontairement.

Michel Sebastián Canales Cisterna, qui fait sa thèse sur les mouvements étudiants chiliens, m’a également livré son analyse.

Un mouvement « historique »

Ce dernier m’a expliqué que les jeunes avaient été les premiers à rompre « le consensus » établi depuis la fin de la dictature de Pinochet, en 1990.

« Il y avait cette idée que nous devions tous et toutes être d’accord, qu’il n’y avait pas d’accroc dans la société chilienne post-Pinochet.

Le premier coup de canif dans cette illusion a été donné par les élèves du secondaire, en 2006, qui se battaient notamment pour un système plus juste d’accès aux études supérieures.

Puis en 2011, a eu lieu un mouvement étudiant d’ampleur qui a définitivement rompu ce consensus. Mais jusque-là, la voix des femmes, les débats portant sur leurs droits n’avaient pas énormément de visibilité. »

Bien sûr, d’autres mobilisations de femmes avaient succédé aux suffragettes. Il existait des organisations sous la dictature. On peut aussi parler des mouvements féministes divers qui avaient emergé pour lutter contre l’interdiction de la pilule du lendemain qui a failli avoir lieu en 2008.

Le mot d’ordre contre les féminicides #NiUnaMenos, a.k.a #PasUneDeMoins, a aussi largement rassemblé au Chili ces dernières années, bien qu’il soit né en Argentine.

Mais selon Silvia Lamadrid, c’est réellement dans la sphère universitaire que les femmes ont pu créer des communautés actives.

La mobilisation féministe étudiante frémissait depuis des années au Chili

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Faculté de droit de l’Université de Santiago du Chili, en blocus féministe, juin 2018. © Esther Meunier

Amanda Mitrovitch me parle ainsi des « vocalias », des étudiantes qui s’organisaient pour mettre en place des processus d’aide aux victimes dans les cas d’agressions sexuelles au sein des universités. Celles-ci se sont lancées en 2010.

Quelques années plus tard, en 2016, c’est la COFEU, la Coordination Féministe Universitaire qui a été fondée, pour pallier justement à l’invisibilité des problématiques de genre dans les mouvements étudiants. 

Sofie Brito, qui a participé à celui de 2011 confirme qu’à l’époque, l’éducation non-sexiste était bonne dernière dans la liste des sujets prioritaires à aborder avec le gouvernement.

Une énième affaire de harcèlement sexuel irrésolue

Amanda Mitrovitch et Michel Sebastián Canales Cisterna me décrivent un « processus d’accumulation ».

« Pendant des années, on a amassé des témoignages, on est venus en aide à des victimes. On a dénoncé sans que rien ne se produise, sans que les auteurs ne soient punis, le plus souvent. »

Et ce fut trop. D’abord à l’Université Australe du Chili, puis au coeur de l’Université de Santiago du Chili. L’année passée, 80 dénonciations par semestre y ont été collectées selon Amanda Mitrovitch

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Pochoir sur un mur de Valparaíso, Chili, juin 2018. © Esther Meunier

Mais surtout, un cas a révolté les étudiantes. C’est justement celui de Sofie Brito, qui m’a confié son histoire :

« Je suis étudiante dans la faculté de droit, en dernière année, je suis donc aussi assistante dans un certain nombre de cours. Et l’année dernière j’ai dénoncé les agissements de l’un des professeurs avec qui je devais travailler, Carlos Carmona. Il était en plus président du Tribunal Constitutionnel du Chili.

J’ai déposé une plainte à l’université pour harcèlement sexuel et harcèlement au travail. Mais le processus d’enquête a été terriblement long. C’était aussi très secret, je n’avais aucune information, aucune possibilité d’intervenir.

J’ai dû continuer de travailler avec lui, sans aucune mesure de prévention, aucun moyen de préserver ma sécurité. 

Mon cas était particulier puisqu’il ne s’agissait pas seulement de harcèlement sexuel mais aussi d’abus de pouvoir. On parle d’un homme qui a occupé l’une des fonctions les plus importantes de l’État. 

Donc lorsque ça a commencé à fuiter dans la presse, j’ai décidé de témoigner directement moi-même, et on a lancé un blocus pour obtenir une réponse de l’administration. »

Il n’en a pas fallu beaucoup plus pour que des facultés de tout le pays lui emboîtent le pas. Au moins une vingtaine d’institutions ont été mobilisées simultanément.

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Une étudiante installe une banderole et un foulard aux couleurs du mouvement féministe étudiant sur une statue, lors d’une manifestation au cœur de l’Université de Santiago du Chili le 18 juin 2018. © Esther Meunier

Éducation non-sexiste et lutte contre les violences sexuelles au cœur du mouvement féministe chilien

Amanda m’explique qu’au départ, les étudiantes voulaient monter une pétition.

« Mais on s’est vite aperçues que les revendications pouvaient varier. Beaucoup voulaient intégrer des éléments qui étaient spécifiques à leur université, voire à leur faculté.

Donc on a mis en place différents niveaux de revendications, avec plusieurs grands points qui se recoupaient au niveau national. »

Ces derniers s’articulent notamment autour de la lutte contre les violences sexuelles. Dans les revendications, la mise en place ou l’amélioration des processus permettant de dénoncer et sanctionner ces violences, de protéger les victimes plus efficacement.

L’expression « éducation non-sexiste » est également centrale. Elle recouvre à la fois le fait d’adapter le contenu des cours pour intégrer davantage de femmes dans les programmes, mais aussi la formation du personnel ainsi que des étudiants aux problématiques de genre, la mise en place d’une véritable éducation sexuelle, davantage de parité dans les instances universitaires et le corps professoral…

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Une femme tient une pancarte « Éducation publique, laïque et non-sexiste », lors d’une manifestation à Santiago du Chili le 18 juin 2018. © Esther Meunier

Ce à quoi s’ajoute la volonté de prendre en compte des problématiques particulières. Par exemple, la condition des étudiants et étudiantes parents, avec la mise à disposition de crèches dans les universités.

La situation des personnes s’occupant du ménage dans les universités est aussi pointée du doigt : souvent, ce sont des femmes immigrées – et donc discriminées et sous-payées.

Ce mouvement a donné lieu à d’innombrables manifestations. L’une d’entre elles a été particulièrement massive, le 19 mai dernier : elle aurait réuni jusqu’à 170 000 manifestant·es.

« La voix des femmes prime enfin »

Michel Sebastián Canales Cisterna m’explique que les assemblées non-mixtes ont permis à la voix des femmes de s’imposer comme celle d’un mouvement politique d’ampleur. Elle primait y compris dans les assemblées mixtes, ce qui est nouveau.

Et ça paie. Depuis des semaines, dans les universités, les militantes ont rassemblé revendications et doléances.

Elles ont entamé des négociations à différents échelons, aussi bien au niveau national lorsque cela relève de l’action du gouvernement, qu’au niveau de l’université, ou même des facultés concernant des soucis plus locaux.

« Dans beaucoup d’universités, comme à la Católica, les recteurs ont immédiatement accepté toutes les doléances pour calmer le jeu. Les tomas [ndlr : ou blocus] sont donc tombées rapidement. Mais dans d’autres, les négociations se sont poursuivies activement. »

L’université catholique a par exemple immédiatement accepté de procéder au changement de nom des élèves trans.

À l’Université de Santiago du Chili, il sera créé une véritable cellule pour l’accueil de victimes de violences sexistes et sexuelles qui devrait permettre d’agir rapidement à l’encontre des auteurs.

Les salaires du personnel de ménage ont été revus à la hausse.

Un cours concernant les inégalités de genre sera inclu dans chaque cursus pour toucher les étudiant·es qui n’en bénéficient pas déjà, comme c’est le cas en médecine ou en ingénierie.

Sofie Brito insiste cependant sur le fait qu’il est « important de voir que nos demandes vont au delà des protocoles et des sanctions, et impliquent en réalité un changement de paradigme dans la société. C’est pour ça qu’on se concentre sur l’éducation non-sexiste car c’est à la base de tout ».

Je suis personnellement impressionnée par ce mouvement et par la détermination des chiliennes qui y ont pris part. J’ai donc entrepris de rencontrer plusieurs d’entre elles pour vous raconter leurs vies et leurs luttes, dans une série qui suivra cet article !

Merci à Sophie López van Houtryve pour son aide à la traduction.


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