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« Milarepa », d’Éric-Emmanuel Schmitt, voyage introspectif entre colère, pitié et injustices

Milarepa est une pièce mise en scène par Stanislas Grassian, sur un texte d’Éric-Emmanuel Schmitt. Une petite claque sur les injustices de l’existence, et la tyrannie des émotions.

À deux pas de la place de l’Horloge, dans le théâtre du Petit Louvre, Milarepa vous transporte hors du temps et de l’espace. Hors de cet espace étouffant du centre d’Avigon, en plein coeur du festival, hors de notre temps numérique, contraint et minuté.

N’allez pas voir Milarepa pour être « diverti•e ». Allez-y pour être interpellée au fond de vous-même, dans des recoins de vos pensées que vous pensiez intimes.

Tout commence à la terrasse d’un café, où Simon confie à son ami faire toujours le même rêve : il est Svastika, un homme ruiné. Le jour où il se rend chez son frère, il est accueilli d’abord par son neveu, Milarépa, qui, en apprenant l’infortune de son oncle, en pleure de compassion. Cet événement déclenche et nourrit une haine profonde de l’oncle envers ce neveu, qui en lieu et place de respect et d’admiration dus aux aînés, compatit par pitié.

Pour arrêter de vivre sans cesse le même songe dans son sommeil, Simon doit raconter l’histoire de ces deux hommes, Svastika et Milarépa. C’est cette histoire que les deux comédiens et une comédienne incarnent sur scène, et qu’ils nous racontent à travers les voix de Svastika, sa femme, Milarépa, et son maître spirituel Marpa.

Colère et pitié, au règne des émotions…

Je ne connaissais pas ce texte d’Éric-Emmanuel Schmitt, que j’admire par ailleurs pour La part de l’autre, L’Évangile selon Pilate, et La Nuit de Valognes. J’aime cet auteur et ses productions parce qu’il a l’habitude d’examiner les émotions comme étant les forces vivantes de l’existence.

Dans La part de l’autre

, lorsqu’il imagine la vie « d’Adolf », en parallèle à celle d’Hitler s’il avait été admis en école d’art, l’auteur dissèque la frustration et l’envie comme moteurs décisifs de nos choix. Dans La Nuit de Valognes, ce sont l’amour et la trahison qui sont passées au crible des interprétations individuelles et égoïstes des personnages. Dans L’Évangile selon Pilate, c’est le doute, qui ronge les convictions et ébranle les certitudes, le doute qui fait vaciller le personnage central et narrateur de l’histoire.

Dans Milarepa, la colère et la pitié sont remises en question. On attend que ce neveu se rebelle, explose, mette sa force et son énergie à se défendre face aux injustices, comme on attend de son oncle et de son maître spirituel qu’ils fassent preuve de pitié à l’égard de ce garçon.

On attend que le destin s’excuse d’accabler de malheur les gens bons et nobles, qu’il punisse les traîtres et les ingrats, comme si nos colères et nos pitiés avaient le pouvoir de régler les injustices ! Alors que ce sont nos actes, et jamais nos sentiments, aussi bons soient-ils, qui ont le pouvoir de corriger ce monde.

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Le miroir ingrat de nos existences

J’aime bien, lorsqu’un texte me touche, en retenir des citations précises. Alors, lorsque je lis un livre, j’en corne les pages qui contiennent ces mots qui me parlent, parmi la marée de l’écriture. Au théâtre, c’est plus difficile, je ne peux pas sortir de carnet, encore moins allumer l’écran de mon téléphone portable (au fait, c’est possible de VRAIMENT les éteindre, les gens, s’il vous plaît ? Faites l’effort, merci).

Alors, je retiens souvent une réplique, une phrase, une seule, volée à un monologue, chipée à un dialogue, repérée dans le texte entre deux didascalies.

« Rien n’est permanent dans ce monde, tout est frappé d’éphémère »

La philosophie bouddhiste est d’une richesse qui ne saurait être résumée à cette seule phrase, mais s’il fallait n’en retenir qu’une, j’aurais choisi celle-ci. Nous abordons nos existences comme des éternités dues, alors qu’elles ne sont que des hasards éphémères. Et comment parler de remise en perspective de notre existence, sans aborder celle-ci : l’insignifiance suprême du temps qui nous est imparti ?

Il y a des colères saines, et des pitiés coupables. Il y a des colères d’orgueil et des pitiés sincères. Si vous voulez percer le secret de l’équilibre, dans un monde où la compassion masque les égoïsmes, et où les colères maquillent les indignations, allez voir Milarépa, d’Éric-Emmanuel Schmitt, mis en scène par Stanislas Grassian, avec Emmanuel Vacca, Slimane-Baptiste Berhoun, et Paula Brunet-Sancho.

Vous n’allez probablement pas rire aux éclats (ou alors faut m’expliquer la blague), vous n’allez pas non plus être pris•e à parti depuis le public. Mais vous réfléchirez sans doute au sens de vos colères, à ce qui vous émeut, à ce qui appelle votre compassion, à ce qui vous indigne, et pourquoi. Pareilles révélations valent tous les éclats de rire.

Milarepa, d’Éric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Stanislas Grassian, au festival d’Avignon jusqu’au 26 juillet, Théâtre du Petit Louvre (Van Gogh) — Toutes les infos

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