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Label 619 (Mutafukaz, Freaks’ Squeele, The Grocery…) : l’interview des auteurs

Le label 619 est une collection riche en auteurs talentueux, à l’origine des excellents « Mutafukaz », « Freaks’ Squeele » ou encore « The Grocery ». Elsa a pu interviewer le directeur, Run, mais aussi plusieurs auteurs au festival d’Angoulême 2013 !

Le label 619, collection publiée chez l’éditeur Ankama, a très vite imposé sa marque dans le paysage de la BD actuelle. Chacun des titres qui la composent, qu’il s’agisse de bandes dessinées ou de beaux livres, promet une vraie claque. Les dessins (ou les photos) sont sublimes, les histoires excellentes, les univers complètement fous. Ils sont drôles, passionnants, et apportent à chaque fois quelque chose de nouveau. Que ce soit dans leur narration, leur style graphique, les thèmes, le regard qu’ils portent sur la société… En fait dans chacun des livres du label 619, on sent tout le plaisir qu’a (ont) pris l(es) auteur(s) à le réaliser, et l’envie de provoquer le même plaisir chez le lecteur.

Et c’est réussi, car pour ma part, je n’ai eu que des très belles surprises. Ce sont des livres qui m’ont marquée, réellement, et qui occupent une place de choix dans ma bibliothèque (et dans celle de beaucoup de monde, d’ailleurs).

J’ai eu la chance de rencontrer cinq des auteurs du label 619 à Angoulême pour les interviewer.

Petite présentation pour celles et ceux qui ne les connaîtraient pas encore (en cliquant sur les titres vous tomberez sur les chroniques des différentes oeuvres sur le blog BD, histoire d’en savoir un peu plus sur ces tueries). Run est l’auteur de Mutafukaz, où une ville californienne est la proie d’une conspiration venue d’ailleurs ; c’est aussi le directeur du label. Florent Maudoux est l’auteur de Freaks’ Squeele, qui raconte les aventures de trois aspirants héros dans une école de super-héros pas comme les autres. Il a sorti récemment le premier spin-off de la série, Rouge, qui s’intéresse au passé de Xiong Mao, l’un des personnages principaux, et c’est Sourya qui en est le dessinateur. Et Aurélien Ducoudray et Guillaume Singelin sont respectivement le scénariste et le dessinateur de The Grocery, qui retrace le quotidien d’un quartier mal famé de Baltimore. Run, Florent Maudoux et Guillaume Singelin font également partie des auteurs que l’on retrouve dans Doggybags, une série où chaque tome est composé de trois histoires sanglantes.

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Cinq auteurs très talentueux qui vous en disent un peu plus sur leur travail, et leurs séries.

Label 619, l’interview

Run, tu es le directeur de la collection : comment est-ce que tu décrirais l’esprit du label 619, et sur quels critères choisis-tu les titres édités ?

Run – Le label 619 pour moi, c’est la collection urbaine et décalée d’Ankama Editions. Et comment je choisis les auteurs avec qui je bosse ? Bon déjà, il faut qu’ils soient dans le ton, qu’au niveau graphique ils aient quelque chose de singulier, que les scénaristes aient quelque chose de particulier à raconter. C’est vrai que je travaille beaucoup avec l’esprit de clan. Ce sont d’abord des rencontres, qui deviennent ensuite des amis et des gens avec qui je travaille. C’est comme ça que j’aime travailler, que j’arrive à avoir confiance.

Les États-Unis et le Japon ont énormément d’importance dans la plupart de vos titres. Qu’est-ce qui vous attire dans ces deux cultures ?

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Florent Maudoux – C’est de la contre-culture, on a été fascinés par les cultures japonaise et américaine quand on était adolescents. Il y avait quelque chose de très plaisant dedans, qui était facile à appréhender. Et du coup on a voulu l’intégrer dans nos œuvres.

Aurélien Ducoudray – Les États-Unis, c’est avant tout une nation qui s’est fondée sur la violence. Nous ce qui nous intéresse c’est cette culture de la violence, voir comment on peut l’amener dans la bande dessinée.

Run – Pour moi c’est une culture plus cinématographique. On a grandi avec les films hollywoodiens. Il y a une sensibilité plus proche. Si c’est pour dessiner le décor de Roubaix, je sors je vois un décor, et en plus je me remets là-dedans… J’ai besoin de prendre un peu de distance, de travailler sur un univers un peu fantasmatique. Et surtout, les thèmes que je développe : l’ufologie, les Illuminatis… Même si je suis anti-théorie du complot, c’est un truc qui me débecte, j’aime bien m’amuser avec ces codes-là. Et beaucoup de choses se passent là-bas. Faire Mutafukaz en France, ça ne serait pas la même chose, ça ne m’intéresserait pas.

Aurélien Ducoudray – C’est une mythologie, une espèce de bible où chacun peut piocher, avec les mêmes références. Et voir comment chacun arrive à faire des récits différents avec la même mythologie de base.

Run – C’est la Mecque de l’Occident.

Aurélien Ducoudray – On est aussi nés après que les Américains soient partis de France. Ils se sont barrés en 60, on est tous nés plus tard. La culture qui restait à ce moment-là et qui imprègne aussi celle de nos parents c’est celle-ci, avec le rock par exemple.

Justement, Run, tu parlais du cinéma. C’est quelque chose qu’on retrouve dans toutes vos BD. Que ce soit dans les clins d’œil, les références mais aussi dans votre narration, vos cadrages. Est-ce que pour vous, le cinéma et la BD sont deux supports qui se ressemblent ?

Guillaume Singelin – Je ne sais pas si ça se ressemble vraiment. Je ne suis pas du genre à faire des catégories. Tout ça c’est un mix. Je regarde plus de séries et de films que je ne lis de BD. Finalement on mélange tout : commencer à fermer une porte et se dire qu’on ne peut pas faire la même chose c’est débile.

Aurélie Ducoudray – Pour moi cinéma et BD se ressemblent mais ça n’est pas le même langage du tout. Pour transposer une BD au cinéma il faut faire une adaptation, et pour changer un film en BD il faut aussi une adaptation. C’est un pot commun mais ça n’est pas le même langage.

Florent Maudoux – Avec Sourya, on a le même cursus, on a étudié le cinéma d’animation. Du coup on a étudié le langage du cinéma et le transposer en BD, c’est assez naturel. C’est proche, mais il n’y en a pas un qui est le parent pauvre de l’autre. C’est un médium qui a beaucoup de richesse. Et plus je pratique la BD, plus je me rends compte que tu peux tout raconter avec, et de manière différente, comme la littérature.

Run, est-ce que tu peux résumer Mutafukaz ?

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Run – Je vais essayer de le résumer rapidement. Disons qu’on suit l’itinéraire de trois jeunes losers qui ne sont pas du tout armés pour affronter ce qu’ils sont amenés à affronter, c’est-à-dire une espèce de conspiration mondiale. Ils se retrouvent un peu face au même problème que David Vincent (le personnage principal de la série télé Les Envahisseurs) : ils savent qu’ils sont là, parmi nous, et qu’il faut avertir la population. Et si David Vincent, avec ses beaux yeux bleus et ses cheveux gominés, n’a jamais réussi à convaincre ses concitoyen-ne-s, on se demande comment Vinz, Angelino et Willy, qui ont vraiment des têtes de losers et sont mal foutus vont réussir là où il a échoué.

L’actualité c’est le tome 4 de Mutafukaz : est-ce que tu peux nous en parler ?

Run – Dans le tome 3, j’avais mis entre parenthèses les personnages principaux, pour me concentrer sur la trame globale et l’univers de Dark Meat City, et dans le tome 4 je suis revenu un peu à mes premiers amours, c’est à dire la relation entre les personnages principaux.

Qu’est-ce qui t’a inspiré cette série, quelles sont tes influences ?

Run – C’est compliqué. À la question « Qu’est-ce que tu faisais quand les tours jumelles se sont effondrées », je pourrais te répondre précisément. Mais là ce qui m’a inspiré pour Mutafukaz, et comment m’est venue l’idée… C’est une accumulation de références glanées au fil des années, de façon plus ou moins consciente. C’est ma première BD, et j’ai l’impression que dans toute première oeuvre, on a envie de mettre un maximum. C’est un peu ça que j’ai voulu faire d’entrée de jeu, mettre un peu tout ce que j’aimais, quitte à ne pas forcément faire le tri, mais en tout cas, essayer de rendre tout ça cohérent. Ce n’est jamais gratuit, et c’est aussi pour faire partager. Parfois je trouve dommage que certaines choses soient méconnues : par exemple, la lucha libre maintenant tout le monde en parle, mais à l’époque (en 2006) c’était beaucoup plus pointu. C’était quelque chose qui me fascinait depuis longtemps. La vierge de Guadalupe, tout le folklore latino, hispano-américain, c’était pas super courant, ni répandu. J’ai appris à connaître ça là-bas, aux États-Unis, lors de mes voyages. J’avais envie de le faire partager à mes lecteurs au travers d’une histoire qui s’ancre dans cet univers-là.

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Et est-ce qu’il y a un gros travail de documentation ? Par exemple dans le tome 4, il y a un long passage sur les armes.

Run – Oui, je me documente beaucoup. Parce que même si on a l’impression que ça part un peu dans tous les sens c’est quand même assez précis dans les références et je ne voudrais surtout pas commettre d’impair par rapport à l’univers dans lequel je fais évoluer l’histoire, en l’occurrence une ville américaine dans le sud de la Californie. Après, la scène dont tu parles avec les armes, c’est quand j’ai lu le tome 3 de Freaks’ Squeele, quand ils sont en train de forger les armes aux Enfers, je me suis dit « Putain, lui, il y va » ; dans des mangas comme Golgo 13, ils y vont, ils sont super techniques… J’ai toujours adoré ça mais je n’ai jamais osé le faire moi-même. Et quand j’ai vu que lui a osé avec ses lames, j’étais un peu jaloux.

Alors je me suis pris trois pages pour le faire, tout simplement. Du coup je me suis vachement documenté. Bon, je ne suis pas membre de la NRA, mais j’ai toujours été fasciné par les flingues. Je ne suis pas violent ni dangereux mais je ne sais pas, c’est le côté grand gamin. Je connaissais un peu et pour ce passage-là je me suis renseigné encore plus. C’est marrant mais j’ai remarqué que tout était ultra spécialisé, le silencieux par exemple : on se dit « Un silencieux, ça a l’air tout con ». Des fois je regarde un truc sur Arte qui ne m’intéresse pas du tout, la chasse à la baleine au XIXème siècle par exemple, et ça finit par me passionner. C’est un peu ce que j’ai voulu faire dans Mutafukaz 4,  essayer de passionner les gens sur une histoire de silencieux, les avantages, les inconvénients… Je ne sais pas si c’est réussi, mais c’est ce que j’ai voulu faire.

Justement, tu disais que ça part un peu dans tous les sens. Il y a une construction hyper dense, avec plein de personnages, plein d’histoires parallèles. Comment est-ce que tu travailles dessus ?

Run – J’ai un gros scénario, par contre je ne bosse pas forcément mes scènes dans l’ordre. Si je n’ai pas envie de raconter ça tout de suite, je le laisse pour plus tard. Je travaille vraiment ce que j’ai envie de travailler au moment où je le fais pour essayer de transmettre le maximum de plaisir.

À propos de la colorisation, il y a des moments où tu passes d’une mise en couleur classique à seulement quelques couleurs. Comment travailles-tu là-dessus ?

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Run – J’aime bien les ruptures de style. Ça me permet de respirer un peu, et je pense que ça permet aussi au lecteur de faire un petit break. Par contre j’essaie toujours de faire en sorte que ça ne soit pas gratuit, que ça soit justifié. Par exemple dans le tome 4 c’est une scène bien précise, avec un tournant assez tragique. Dans le tome 1 c’est pareil, ils passent de la vie pépère de losers à quelque chose de plus fort. Ça n’est jamais gratuit.

On passe à Florent Maudoux : est-ce que tu pourrais résumer Freaks’ Squeele ?

Florent Maudoux – C’est l’histoire de trois jeunes qui s’inscrivent dans une école de super-héros. Enfin… ils pensent que c’est une école de super-héros mais se rendent compte que c’est une école de super-losers. La question c’est de savoir s’ils ont bien choisi leur cursus, comment ils vont se définir en tant qu’adultes dans un monde qui va finalement les prendre pour des super-méchants. Il y a trois personnages : Chance, une petite démonette, Ombre de Loup, un loup-garou gentil, et Xiong Mao qui est la fille d’un mafieux super puissant. Freaks’ Squeele raconte leurs études. Ensuite il y a des spin off, qui parleront plus précisément de certains personnages. En particulier de Funéraille qui est leur mentor, un espèce de grand escogriffe manchot, qui ressemble presque à un vampire.

Comment est née l’idée de la série ?

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Florent Maudoux – Je voulais faire une école de super-méchants, et je ne trouvais pas ça très logique que des jeunes s’inscrivent dans une école où tu serais forcément super vilain. Alors je me suis dit qu’une école de ratés ça serait pas mal. Ça me renvoyait à mes études de mathématiques, et au final c’était peut-être plus sincère dans la démarche. J’y ai intégré des personnages qui me tenaient à cœur depuis longtemps, ça s’est fait tout seul.

Comment travailles-tu sur la série ? Tu as un rythme de publication très soutenu.

Run – C’est une machine de guerre.

Florent Maudoux – Déjà, je récolte des idées, je les note à droite à gauche. Ensuite je m’impose un rythme d’une page par jour, c’est une espèce d’hygiène de vie. Ça me permet de mettre de côté les considérations temporelles et techniques. Après j’avance, dès que j’ai des idées, des envies, je les note, et puis parfois je me laisse le temps de faire un petit projet en plus. Je laisse un peu le hasard faire mon emploi du temps pour moi. Avec toujours cette contrainte de faire de la planche pour avancer, pour raconter des choses. Et garder du temps pour retrouver l’énergie et raconter de belles choses. C’est pas facile. Il faut se ressourcer ailleurs. Si tu ne fais que de la BD toute la journée, à la fin tu es épuisé, tu ne fais que de la merde.

Quelles sont tes influences pour la série ?

Florent Maudoux – Les influences, oh la la… c’est comme Run en fait : c’est tellement multiple et ça remonte à tellement loin que c’est difficile à dire. Grosso modo, le cinéma des frères Cohen, celui de Tsui Hark, ça va jusqu’à Rumiko Takahashi, Ranma ½, Les Chevaliers du Zodiaque, Akira… Comme dit Run, c’est ma première BD, j’ai envie de tout y fourrer.

Il y a les trois personnages principaux mais aussi beaucoup de personnages secondaires avec un passé, une histoire… Est-ce que tu as travaillé ça en amont ou au fur et à mesure ?

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Florent Maudoux – S’il y a une constellation de personnages comme ça, c’est parce que j’ai commencé à dessiner des BD à l’âge de 13 ans. C’est un peu comme les super-pouvoirs des super-héros, des X-Men : quand je deviens ado je découvre un super-pouvoir. Je me suis découvert l’envie de raconter des histoires en bande dessinée. Parce que je savais à peu près dessiner. Et depuis, je traîne des personnages, j’invente des trucs. Petit à petit les dossiers sur chaque personnage s’étoffent, même si ça n’est pas formel. Tu vois, c’est tout bête mais Changelin, qui est un personnage secondaire, devait être à l’origine un personnage principal. Mais je l’ai bouté hors du groupe, parce qu’il ne convenait pas. Finalement il a sa propre histoire. Chaque personnage pourrait faire l’objet d’un spin-off. Mais à un moment donné il faut se calmer, pour ne pas faire n’importe quoi. Et se concentrer sur des personnages qui ont vraiment des choses à raconter.

Et toujours à propos de Freaks’ Squeele, il y a son spin-off, Rouge. Est-ce que vous pourriez nous en parler ?

SouryaRouge, c’est l’histoire de Xiong Mao, qui dès son plus jeune âge a commencé à pratiquer un art martial qui s’appelle le flamendo. Et il s’est passé quelque chose dans sa vie qui a fait qu’elle s’est détournée de ce chemin-là, qu’elle a choisi une autre voie. Dans ce tome, on raconte comment elle revient progressivement vers le flamendo et ce qu’elle est vraiment, avec son maître et sa famille.

Comment vous êtes-vous rencontrés avec Sourya, le dessinateur ?

Sourya – C’est une personne à Ankama qui a trouvé mes dessins sur Internet, qui les a présentés à Florent, et Florent m’a contacté ensuite pour la BD.

Et comment s’est passé votre travail ensemble ?

Sourya – Alors d’abord, c’est Florent qui a travaillé sur l’histoire, le script. On a discuté des intentions qu’on voulait mettre. Moi en parallèle, je travaillais sur les designs, je faisais des tests de story board ; ensuite j’ai déménagé sur Lyon, et maintenant je travaille dans le même atelier que lui. Je fais le storyboard, Florent le valide et je le dessine.

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Est-ce que ça a été difficile de trouver le bon équilibre entre le respect de l’univers et ton propre style ?

Sourya – Florent a écrit un script qui me correspondait vraiment, très différent de Freaks’ Squeele. Il ne m’a pas demandé de faire du Freaks’ Squeele, ne m’a pas donné de contraintes. Et s’il y avait quelque chose qui n’allait pas, il était juste à côté, donc tout de suite on en parlait. Je pense que quand on travaille en équipe, ça n’est pas normal qu’il n’y ait pas de débat. Ça veut dire qu’il y en a un qui se sacrifie.

Et au niveau des spin-off, il y a Funéraille aussi.

Florent Maudoux – Oui, Funéraille qui arrive en mai. En fait il a été avancé pour un truc tout bête, on ne voulait pas sortir Mutafukaz 4 et Freaks’ Squeele 6 en même temps, du coup on a décalé Freaks’ Squeele. Et Run m’a demandé si je n’avais pas un truc à faire en réserve, alors je me suis lancé sur Funéraille. C’est la partie sombre de Freaks’ Squeele, ce qui se passe avant. D’ailleurs je fais pas mal de références à la guerre du Vietnam. Parce que j’ai l’impression que les « anciens » ont vécu des choses qu’ils ne nous racontent pas toujours sur la guerre. Et Funéraille c’est un peu ça, c’est un monde en guerre, plein de secrets et de choses sombres. C’est tout simple, mais je n’ai appris que récemment que j’ai des tantes qui avaient été boat people, qui s’étaient retrouvées sur une île déserte à manger des racines pendant une semaine. Je n’y croyais pas quand on me l’a dit. Je les ai toujours connues en France, et il y a des secrets, des choses non dites. C’est une BD qui parle de ces choses-là. D’un monde caché et ancien, enfoui dans la mémoire des générations d’avant.

On va maintenant parler de The Grocery : comment raconteriez-vous la série ?

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Aurélien Ducoudray – En fait The Grocery, c’est avant tout une envie de travailler sur le concept de la série justement, avec beaucoup de personnages, de rebondissements. On essaie de raconter un instantané d’une petite ville américaine, en l’occurrence Baltimore. Et plus qu’une grosse histoire avec des gros évènements et des rebondissements, on essaie de raconter le quotidien, avec tous les petits ennuis qu’ont les personnages. Les corner boys, leur façon de vendre de la drogue, un soldat qui revient d’Irak, qui retrouve sa grand-mère dans un hôpital public, donc il n’a plus sa maison et doit se débrouiller, des caïds qui essaient de retrouver leur ancien quartier parce qu’ils sortent de prison. C’est plein de petites trajectoires de vie qui s’interpellent, plutôt qu’une trame globale. Mais ce sont des histoires personnelles qui font un récit global.

Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux, et comment s’est passé votre travail ensemble ?

Guillaume Singelin – En fait j’avais déjà commencé à développer l’univers graphique de mon côté. J’avais envie de dessiner des petits personnages animaux, un peu logo, un peu géométriques. Je m’amusais à faire ça. Et en même temps, je n’avais pas un univers très enfantin. Du coup je me suis dit « Tiens, je vais leur mettre des flingues, des couteaux, les faire s’entretuer ». Je trouvais ce décalage assez amusant et j’ai commencé à développer ça. J’ai posté ces petits trucs-là sur mon blog, et un jour je reçois un mail d’Aurélien qui m’a proposé de faire un truc.

Aurélien Ducoudray – Je suis tombé sur son blog par hasard. Une fois par semaine je prends une demi-journée pour aller me balader sur des blogs, voir les travaux de différents auteurs. Et je tombe sur 4 cases, avec deux espèces de petits types. Il y avait deux mecs qui se couraient après avec des couteaux, il y en a un qui essayait de piquer la dose d’un autre et finissait par l’éventrer. Ce qui était incroyable c’est qu’à la première case ils étaient adorables, à la dernière c’était un carnage monstrueux. Avec les mêmes personnages, et en quatre cases, il y avait une variation d’émotions incroyables. Quand on veut raconter un truc, avec les mêmes personnages et deux petits coups de crayon, avoir une palette d’émotions aussi large… Je me suis dit « Waouh, si j’arrive à travailler avec ce type-là, mon récit ça sera des montagnes russes tout le temps, on pourra faire rire, puis pleurer les gens d’une case à l’autre ». Et ça, quand tu veux raconter une histoiren c’est juste parfait. Il m’a dit qu’il aimerait faire une série dans l’esprit de The Wire, et j’ai dit « J’adore The Wire, je pense qu’on va s’entendre ». Ça c’est fait comme ça. Le plus rigolo, c’est que j’ai écrit le prologue, le premier jet. On n’avait pas discuté des personnages, il n’y avait que les deux principaux, Sixteen et Eliott. Je lui envoie le prologue et il me dit « Ok je travaille dessus ». Et une semaine après il me fait « Bon bah c’est bon. Je suis en stage chez Ankama, Run a vu le truc, il est d’accord ». Et là tu te dis « Ah, il me reste 120 pages à écrire, je n’ai aucune idée de ce que je vais raconter » !

The Grocery est vraiment ancré dans le contexte actuel, et plus particulièrement dans un quartier pauvre de Baltimore. Est-ce que ça a nécessité, pour l’un comme pour l’autre beaucoup de recherches ?

Aurélien Ducoudray – Déjà il y avait la série The Wire. Le but du jeu c’était de ne pas raconter la même chose, mais de prendre le show comme une base. Ce qu’il est : c’est plus un vrai documentaire qu’une série de fiction. On s’est servi de ça, et de beaucoup de documentaires à côté. Après c’est une question de curiosité : avant de faire des scénarii, j’étais journaliste, et d’une certaine façon c’est continuer un peu le même job. J’ai plus l’impression de faire un travail de journaliste maintenant, en regardant pleins de docus, en faisant des liens entre les choses, qu’à l’époque où je n’avais pas le temps de chercher. Là j’ai une vraie latitude, où je peux creuser les sujets. Sans révéler l’intrigue : dans le tome 3, on va migrer vers un quartier de femmes en prison. J’ai regardé plusieurs films et documentaires qui traitaient de ça, et j’ai appris plein de choses. Le but du jeu, c’est de transmettre ces informations, et surtout des petits détails, qui ne sont pas l’information principale, mais que les gens puissent se dire « Je ne connaissais pas ça, c’est intéressant », mais dans un contexte de fiction.

Guillaume Singelin, ta colorisation donne une ambiance, et même une lumière, très particulière. Comment est-ce que tu l’as travaillée ? Et plus généralement quelles techniques utilises-tu pour tes dessins ?

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Guillaume Singelin – Pour la couleur, au niveau des ambiances, j’ai cherché des teintes assez passées. C’est ce que m’avaient évoqué les photos de Baltimore quand je m’étais renseigné sur le sujet. C’est un coin pourri du nord des États-Unis, il y a un côté froid, sale. Je suis partie sur des choses assez grises, légèrement colorées. Puis j’ai commencé à pousser les couleurs, dans le sens où je voulais que les scènes ne se ressemblent pas. Il y a ce plaisir basique d’avoir des teintes à chaque fois différentes, en me disant « Tiens je vais faire une scène de nuit, ça va être cool, je vais changer, mettre des couleurs façon néon ».

Plus généralement, c’est essayer de s’amuser à créer des ambiances, évoquer ce que les personnages ressentent en fonction des teintes, de l’atmosphère, même de la météo. Par exemple quand le personnage va être triste, c’est un peu cliché de mettre de la pluie, mais ça va quand même fonctionner. Après pour les techniques, plus basiquement, je fais des storyboard façon petits timbres, pour placer vite fait les plans, les cadrages. Ensuite je fais un crayonné, et j’encre avec des stylos très fins parce que je travaille sur des formats qui nécessitent pas mal de finesse. C’est un peu le vice que m’a donné Run. Il est très documentaire, très raccord avec la réalité, dans les détails. Les armes, il les fait de façon très précise. Et le fait d’avoir bossé avec lui m’a donné envie de faire pareil.

Et pour finir, Run, est-ce que tu pourrais présenter un peu le concept de Doggybags ?

RunDoggybags, c’est une aventure. Trois histoires, trois tueries. C’est un recueil de trois one-shot, racontés ou illustrés par trois auteurs différents. C’est une espèce d’hommage à L’Exploitation, la série B de qualité, et puis les comics des années 50.

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Un énorme merci à Run, Florent Maudoux, Sourya, Aurélien Ducoudray et Guillaume Singelin, mais aussi à Marie et Nazir pour l’organisation de l’interview.

Pour en découvrir un peu plus sur l’univers du label, allez jeter un œil sur leur site, leur page Facebook et leur chaîne YouTube (où vous pourrez notamment découvrir les trailers aussi géniaux que complètement dingues des deux premiers tomes de Doggybags).

Leurs dernières sorties : Mutafukaz, tome 4, Freaks’ Squeele tome 5, Freaks’ Squeele – Rouge, tome 1, The Grocery, tome 2 et Doggybags tome 3. Les liens dirigent vers Amazon, mais vous pourrez aussi les trouver sur le shop Ankama et chez votre libraire préféré. Côté actualités toujours, un jeu mobile tiré du l’univers de Freaks’ Squeele va sortir très prochainement.


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