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Société

Je veux comprendre… le conflit au Darfour

Comme de nombreux pays africains, dont les frontières ont été arbitrairement dessinées par les colonisateurs durant le XXème siècle puis conservées lors de la décolonisation, le Soudan est une mosaïque ethnique. La fracture principale sépare le Nord du pays, de population arabo-islamique nomade, et le Sud du pays, majoritairement peuplé de tribus africaines chrétiennes et animistes, le plus souvent sédentaires.

De cette opposition sont nées les deux premières guerres civiles (1955-1972 et 1983-2005), qui ont conduit à l’explosion du conflit du Darfour en 2003, une région désertique à l’ouest du pays, qui est actuellement la plus grave crise humanitaire du début du siècle : on dénombre environ 300 000 morts, 2,4 millions de déplacés et plus de 200 000 réfugiés, avec une menace réelle d’extension au Tchad et la République centrafricaine depuis quelques mois.

La lecture la plus évidente du conflit au Darfour est celle d’un conflit ethno-religieux, qui trouve ses fondements dans la guerre civile qui a déjà ensanglanté le Soudan dans les années 80.

En effet, depuis la décolonisation du Soudan, le pouvoir politique et économique est traditionnellement détenu par les Arabes, et les premières tensions apparaissent dès la départ des Britanniques, lorsque le pouvoir de Khartoum refuse, contrairement à ses engagements, de mettre en place un Etat fédéral, déclenchant la première guerre civile soudanaise.

Après un premier accord de paix, la situation redevient explosive lorsque le Président Nimeiri adopte en 1983 une loi discriminatoire contre les Chrétiens et les Animistes (donc contre le Sud) et impose la charia à l’ensemble du territoire soudanais. Le Sud se soulève et tente de renverser le pouvoir central.

S’ensuit en 1984 et 1985 une grave famine organisée, aggravée par une période de sécheresse, qui alimente le conflit. Omar el-Béchir, l’actuel Président, prend le pouvoir par un coup d’Etat en 1989 et instaure à nouveau le droit pénal musulman dans tout le pays. Le conflit du Sud-Soudan dure jusqu’à la signature d’un accord de paix global et à la constitution d’un gouvernement d’union nationale en 2005.

Malgré cela, un nouveau conflit éclate en 2003 au Darfour. S’il est bien dans la continuité de la guerre civile, il s’agit cependant d’un conflit distinct de celui du Sud-Soudan.

Dès les années 1990, le Gouvernement de Khartoum décide – malgré ses démentis – d’utiliser les milices arabes des Janjawid en les armant pour qu’ils deviennent les instruments de contrôle des territoires périphériques non-arabes. Lorsque la contestation du pouvoir central s’accroît au Darfour en 2003, ces hordes de cavaliers deviennent la principale force de répression contre les rebelles africains, et commettent alors de nombreuses exactions contre les populations civiles (meurtres, viols, torture, politique de la terre brûlée…), forçant celles-ci à fuir vers le Tchad voisin ou d’autres régions du Soudan. Ce que les Etats-Unis qualifient officiellement de "génocide" depuis l’été 2004 a été accompagné par le bombardement de villages du Darfour par l’armée nationale soudanaise.

Il y a donc bien une composante réellement ethnique dans ce conflit, qui voit s’opposer le pouvoir central arabe et musulman, s’appuyant sur les "cavaliers diaboliques" de la même origine, et les populations civiles noires, animistes ou chrétiennes. Toutefois, ce premier aspect doit être nuancé, puisque les frontières entre ces groupes ethniques est floue : certaines populations attaquées par les Janjawid sont musulmanes, tandis que les Noirs peuvent être arabophones et nomades… En réalité, l’élément ethnique ne suffit pas expliquer le conflit du Darfour. Il s’y à ajoute en réalité une composante économique, qui nourrit véritablement le conflit.

Aux origines de la crise se trouvent indubitablement des conflits d’espace, réveillés par la famine de 1984 et 1985 : moins qu’un conflit entre Musulmans et Chrétiens ou Animistes, le drame du Darfour est celui de la confrontation entre des éleveurs à la recherche d’eau et de pâturages pour leurs troupeaux (les tribus arabes nomades chamelières ou vachères) et des agriculteurs souhaitant protéger leurs champs et leurs biens (les tribus africaines). [Encore une fois, cette distinction est largement schématique, et ne reflète qu’imparfaitement l’organisation ethnique du territoire]. L’explosion démographique des années 1980 et la famine ont rompu l’équilibre existant entre ces deux groupes pour la répartition des terres. La crise du Darfour est ainsi largement un conflit de survie pour les deux parties.

En outre, la découverte de pétrole dans cette région dans les années 1980 attise les conflits. L’imposition de la charia à l’ensemble du Soudan n’a pas été la seule réalisation du Président arabe Nimeiri : celui-ci a en effet également modifié le tracé des frontières des régions du Sud afin d’assurer au Nord l’accès au plus grand nombre possible de puits, ce qui a constitué un autre ressort de la guerre civile du Sud-Soudan.

Aujourd’hui encore, le pétrole alimente le conflit au Darfour. La Chine achète les 2/3 de la production soudanaise de pétrole, qui couvre 7% de l’ensemble de ses besoins pétroliers. Elle est de ce fait accusée par la communauté internationale d’entretenir les tensions, notamment en fournissant aux Janjawids des armes et des appareils militaires. Enfin, la Chine, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies a longtemps empêché une action efficace de l’ONU en opposant son veto à toute résolution sur le Darfour.

Longtemps critiquée pour son inaction, la communauté internationale a pourtant pris très rapidement conscience des menaces pour la paix et la sécurité que représente la crise du Darfour. Son action a toutefois longtemps été paralysée par l’opposition ferme de la Chine à toute intervention au Soudan. Elle a donc dû se contenter d’enquêtes pour établir les faits et les responsabilités (rapports du Secrétaire général du Nations Unies sur le Darfour notamment).

En outre, le Darfour a été le premier théâtre d’intervention d’une mission de maintien de la paix organisée uniquement par l’Union africaine, qui y a envoyé 7 000 soldats. Ceux-ci sont contraints à une relative impuissance, faute de mandat approprié et de moyens adaptés.

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a finalement pu, grâce à l’abstention de la Chine, adopter le 24 mars 2005 la résolution 1590, visant à remplacer la mission de l’Union africaine par la Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS), composée de 10 000 soldats. Cette résolution a été renforcée depuis par la résolution 1706 du 31 mars 2006, qui prévoit une augmentation du nombre de soldats envoyés.

Or le gouvernement de Khartoum refuse toujours le déploiement des Casques bleus, contraignant la Mission de l’Union africaine à rester sur place, sans pouvoir intervenir efficacement.

Alors que la Cour pénale internationale a d’ores et déjà entamé des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre des dirigeants soudanais, l’ONU a pris en tout 115 résolutions et recommandations sur le Darfour, contredisant ainsi l’apparence d’inaction et d’approbation silencieuse reprochées à la communauté internationale. L’application de ces textes reste cependant problématique en l’absence de coopération du pouvoir central. En outre, l’envoi de Casques bleus, voire d’une force militaire intervenant par la force, ne peut être la panacée pour rétablir la paix sur un territoire grand comme la France.

La priorité est donc à l’établissement de corridors humanitaires sécurisés permettant l’accès aux populations civiles ainsi que l’apaisement des tensions apparaissant aujourd’hui dans les Etats frontaliers du Tchad et de la République centrafricaine, afin d’éviter l’extension géographique du conflit.

Sur les conflits au Soudan avant la crise du Darfour

Le Soudan entre pétrole et guerre civile (Jennifer Héry)

L’éditeur en dit : "Le Soudan détient de tristes records : le conflit dans ce pays, relégué au rang des guerres oubliées, a déjà fait plus de 2 millions de victimes. Combien le savent ? Qui sait aussi que le pétrole fait le malheur du peuple soudanais ? De nombreuses compagnies occidentales interviennent dans ce secteur stratégique et les gouvernements auxquels elles sont liées portent une part de responsabilité. Ce conflit peut être l’occasion de faire évoluer le droit ainsi que les conditions d’interventions des entreprises multinationales."

 

Sud-Soudan: la longue route vers la paix (Matthew Haumann)

L’éditeur en dit : "Déchiré par la guerre, le Soudan n’a connu, en près de cinquante ans d’indépendance, que dix ans de paix. Plus des trois quarts de la population du Sud Soudan a été déplacée à l’intérieur de son propre pays ou se trouve réfugiée dans les pays voisins. Ce livre fait de récits, de témoignages et de rappels précis de l’histoire du Soudan est pourtant porteur d’optimisme. Il nous apprendra beaucoup de choses sur le pays et une guerre trop souvent oubliée."

 

Sur le conflit au Darfour

Le Darfour, un génocide ambigu (Gérar Prunier)

L’éditeur en dit : "Depuis février 2003, le Darfour, province orientale du Soudan jouxtant le Tchad est le théâtre de massacres épouvantables suivis d’une famine largement programmée par l’action des autorités gouvernementales. Génocide ou pas ? La communauté internationale s’interroge mais, en attendant, la population meurt. L’ouvrage de Gérard Prunier remonte dans le temps pour expliquer ce qu’a été le Darfour, pays indépendant du Soudan jusqu’en 1916. Il montre comment il a été marginalisé sur tous les plans tant pendant la période coloniale que du fait des gouvernements qui ont suivi l’indépendance en 1956. Khartoum espère garder le contrôle d’une périphérie qui lui fait désormais peur en dressant les unes contre les autres des tribus qui avaient jusque-là vécu dans des rapports parfois tendus mais jamais destructeurs."


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Les Commentaires

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Avatar de Mademoiselle Coco
4 décembre 2007 à 22h12
Mademoiselle Coco
Soirée spéciale sur le Darfour ce soir sur Arte, avec un premier reportage très intéressant sur les origines du conflit ("Autopsie d'une tragédie", qui sera rediffusé le 6 décembre à 9h55, puis disponible pendant une semaine sur le site internet.
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