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Gabriel Bá et Fábio Moon (« Daytripper » & « Casanova ») – Interview

Gabriel Bá et Fábio Moon sont deux jumeaux à l’origine de « Daytripper » et « Casanova », deux superbes bandes dessinées. Elsa a pu les interviewer !

D’abord, il y a eu Umbrella Academy, où on a pu découvrir le dessin superbe et barré de Gabriel Bá. Et puis il y a eu, l’an dernier, le magnifique Daytripper, signé par Gabriel Bá toujours, et son frère jumeau Fábio Moon. Un énorme coup de coeur BD pour ma part, qui faisait partie de la sélection Angoulême (et que j’aurais bien vu gagner). L’histoire d’un homme qui, à chaque chapitre, meurt à un moment différent de sa vie. Une magnifique bande dessinée sur la mort, mais surtout la vie, l’amour, l’amitié, la passion, la famille. Rarement d’ailleurs une histoire m’a tant émue, tant elle sonne juste et est racontée avec finesse. On y découvrait à quel point le talent mêlé des deux frères faisait des étincelles, un scénario remarquablement écrit servi par un dessin aussi élégant qu’émouvant.

daytripper

En ce début d’année ils font à nouveau l’actualité comics avec Casanova, un titre à mille lieues de Daytripper, mais tout aussi génial. Une histoire complètement barrée qui se déroule entre plusieurs dimensions parallèles, où Casanova, dont on ne sait pas trop s’il est bon et gentil ou non, va devoir accomplir des missions pour diverses personnes. Vous n’avez rien compris à ce résumé ? C’est normal. Jamais une histoire ne m’a à ce point déstabilisée et fait perdre mes repères. C’est voulu, et je pense qu’il faudra plusieurs lectures pour comprendre tout ce qui s’y passe. Mais c’est une expérience de lecture aussi inédite que jouissive, drôle, explosive, et un superbe hommage aux histoires d’espionnage et à la SF. Le dessin est dingue, et les couleurs finissent de nous donner une crise d’épilepsie. Casanova, en fait, c’est l’impression d’avoir lu une BD après avoir pris de la drogue, beaucoup de drogue, pour un résultat très cool.

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Il faut au passage saluer l’excellent travail d’Urban Comics sur les livres qu’ils éditent. En plus d’une belle édition, avec couverture dure, papier et encres de qualités, et traduction réussie, chaque livre se termine par un dossier rempli d’esquisses préparatoires et de différents textes qui apportent un éclairage toujours intéressant sur l’œuvre que l’on vient de terminer.

Gabriel Bá et Fábio Moon, l’interview

Les frères Gabriel Bá et Fábio Moon ont énormément de talent. Ils dessinent superbement, ont une sensibilité rare, et racontent de belles histoires. Et en plus ils sont incroyablement gentils et généreux. J’ai en effet eu la chance de les rencontrer à Angoulême, et de les y interviewer.

Pouvez-vous vous présenter ?

Fábio Moon – Bonjour, je suis Fábio Moon, je suis ici avec mon frère Gabriel Bá, nous sommes deux frères jumeaux dessinateurs brésiliens. Et nous avons fait un livre qui s’appelle Daytripper, qui est très chouette et tous les gens doivent le lire !

Comment raconteriez-vous la BD en quelques mots ?

Gabriel Bá – Ce n’est pas une histoire simple à résumer. C’est l’histoire de la vie quotidienne du personnage principal, qui est écrivain, et qui rêve de devenir un grand écrivain comme son père. Et nous racontons les différentes étapes de sa vie, où les petits instants du quotidien peuvent être les moments les plus extraordinaires, qui définissent ce qu’il est et ce qu’il va devenir.

Comment est née l’idée de Daytripper ?

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Gabriel Bá – En fait je prenais une douche. Nous habitons dans un appartement près d’une favela (quartier pauvre, avec beaucoup de criminalité), et je réfléchissais au fait que je pourrais mourir d’une balle perdue qui passerait par la fenêtre. Et je me demandais ce que les gens pourraient penser de ma vie si elle se terminait comme ça. C’est le pouvoir de la mort : on devient les choses que nous avons fait pendant notre vie, les personnes que l’on a connu. C’est la première idée. Ensuite nous avons développé, réfléchi à quels moment de la vie nous pouvions travailler pour montrer au lecteur les petits instants, les petits détails, les choses et les gens qui sont importants.

Vous travaillez vraiment en duo. Pas un scénariste/un dessinateur. Comment se passe votre travail tous les deux ?

Fábio Moon – Ça dépend des projets. On écrit et on dessine tous les deux. Daytripper

, nous l’avons écrit ensemble. Puis j’ai dessiné presque tout, mais quand le personnage rêve, on peut changer un peu le style pour avoir des visuels différents et renforcer l’aspect onirique. Là, c’est mon frère qui a dessiné. Il a fait les couvertures des chapitres aussi. À chaque projet, nous devons penser à quel style fonctionne le mieux avec le type d’histoire. Le mien marche surtout avec les petites histoires du quotidien, très normales et très sensibles, où les visages des personnages peuvent avoir beaucoup de nuances.

Justement, quels outils utilisez-vous pour dessiner ?

Gabriel Bá – J’utilise des stylos et Fábio des pinceaux.

Fábio Moon – C’est l’origine de la différence entre nos styles. Le stylo est très technique, très précis, et le pinceau est plus fluide, plus ouvert. Mon dessin est plus ouvert, parce qu’avec le pinceau il y a beaucoup de parties noires et de lignes ouvertes. Ce n’est pas complètement précis.

Dans Daytripper, les lieux sont très importants, presque des personnages de l’histoire. Est-ce qu’ils sont inspirés d’endroits importants pour vous ?

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Gabriel Bá – Il y a des lieux de notre vie qui ont peut-être inspiré les sentiments qu’il y a dans les chapitres, mais que nous avons travaillés de manière fictionnelle. Il y a aussi des lieux qui ont inspiré les visuels d’autres chapitres. Il y a un équilibre entre ce qui vient de notre vie et ce qu’on a créé. Ce n’est pas facile de définir ça à chaque chapitre. Il y a beaucoup d’endroits que nous connaissons : les maisons de nos amis, des lieux où nous sommes allés, dont nous nous souvenons. Et nous avons mélangé tout ça pour créer la sensation que les lieux, les gens, toute l’histoire qui s’y passe, sont réels, sont les souvenirs d’une personne.

Les chapitres ne sont pas placés dans un ordre chronologique, c’est un peu comme les pièces d’un puzzle. Comment est-ce que vous avez travaillé sur l’ordre que vous avez choisi ?

Fábio Moon – Comme tu as dit, c’est comme un puzzle. C’est un peu comme les souvenirs d’une personne, ce n’est pas chronologique. Dans chaque chapitre il y a un détail qui fait la liaison avec le chapitre suivant. Dans le premier, Bràs (le héros, NDLR) parle du voyage qu’il a fait avec Georges, quand ils étaient plus jeunes. Et nous, nous avons donc parlé de ce voyage dans le deuxième chapitre, où il rencontre sa première femme. Et dans le troisième, on arrive au moment où la relation avec cette femme est terminée. Chaque chapitre déclenche le suivant. C’est comme quand on se souvient de quelque chose. Nous faisons des liaisons avec une raison particulière qui n’est pas chronologique. C’est comme quand on parle de Daytripper, nous ne nous souvenons pas d’hier, mais du moment où nous faisons l’histoire. C’est comme ça que la mémoire fonctionne, et c’est comme ça que l’histoire marche aussi.

La mort est un thème important dans Daytripper. La manière dont je l’ai ressenti, c’est que c’est un peu une manière de l’apprivoiser, de faire la paix avec la mort, qui fait partie de nos vies. Mais j’aurais voulu savoir comment vous, vous avez voulu aborder ce thème de la mort.

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Gabriel Bá – Je pense que nous essayons de faire une histoire qui dit que le plus important n’est pas d’avoir peur de la mort, que c’est la vie qui compte. Comme mon frère a dit, quand on va à l’enterrement de quelqu’un que l’on connaît, on se souvient des bonnes choses qu’il a faites dans sa vie. La mort nous offre l’opportunité de profiter des souvenirs, des choses accomplies. C’est pour ça que nous avons utilisé la mort, à différents moments, pour renforcer les qualités et la joie de vivre, qui sont ce que les gens oublient le plus facilement. Nous passons notre vie à oublier de profiter de la vie. Chaque moment est un moment essentiel dont on doit profiter avec les yeux ouverts, pour nous souvenir que nous sommes ici, maintenant. Que les choses passent, les gens passent, et que nous devons vivre réveillés.

Un autre des thèmes importants de Daytripper c’est la famille. Vous êtes vous-même frères. Est-ce que votre histoire familiale vous a inspiré pour cette BD ?

Gabriel Bá – Nous avons une très forte relation familale. D’abord nous deux, puisque nous sommes jumeaux, mais nous avons aussi une relation très forte avec notre mère, notre père, nos soeurs. Quand on perd tout dans la vie, il reste la famille. Elle ne disparaît jamais, elle est toujours avec toi. En bien comme en mal. Il faut préserver ça, veiller sur ça. Et sur ses amis aussi. Parce que c’est ce qui est important dans la vie. Les personnes qui sont prêts de toi, que tu choisis d’avoir auprès de toi. Les amis sont comme une seconde famille. Et je crois que c’est un des messages les plus importants de Daytripper, que le personnes qui t’entourent c’est le plus importants dans la vie. Et qu’on l’oublie tout le temps.

Fábio Moon – Je pense que, vu que nous sommes jumeaux, nous sommes tous le temps ensemble, nous avons grandi ensemble, nous dessinons ensemble. Et nous avons réalisé que quand on a une personne avec nous, c’est différent d’être seul. Quand on est seul, il y a comme une part de nous qui n’est pas là. La part où les choses se reflètent. Les personnes avec nous sont comme un miroir où l’on peut voir ce qu’il y a autour de nous. Je pense que, comme nous somme jumeaux, nous vivons avec ça tout le temps, et quand nous ne sommes pas près l’un de l’autre ça nous manque.

Toujours sur la famille : dans Daytripper il y a un lien très important entre la passion pour l’écriture de Brás et celui qu’il éprouve pour sa famille. Est-ce que pour vous c’est difficile de trouver le bon équilibre entre sa passion et les gens qu’on aime ?

Gabriel Bá – Pour nous, la passion pour les personnes comme pour notre travail est très naturelle. Nous avons vécu toute notre vie avec le dessin, la BD… et notre famille a vécu ça. Nous sommes comme ça avec tout, nous aimons beaucoup – trop – les choses. Et ça peut se voir dans notre travail. Quand on aime ce que l’on fait, ça se voit. Nous pensons que c’est très important d’aimer ce qu’on fait. Et c’est pareil avec notre famille, la relation qu’on a avec eux… Il faut respecter l’autre et sa passion.

Fábio Moon – Je crois que c’est quelque chose de commun à tout le monde. Trouver l’équilibre entre les gens et les choses. C’est difficile de trouver un travail ou une chose qui nous satisfasse. Un travail dont on a pas envie de s’échapper tout le temps. Faire un travail qui n’est pas personnel, contrairement à la relation avec les amis, la famille, avec qui on a une relation intime. Je pense que les gens ont besoin d’avoir une relation personnelle et positive avec leur travail. Ce n’est pas facile, ce n’est pas quelque chose qui marche tout le temps. Et je pense que le lecteur peut faire la liaison avec le personnage principal qui au début de l’histoire n’est pas à une place où il est satisfait de son travail. Parce qu’il rêvait que ce soit soit plus grand, plus proche de ce que son père a, car il l’admire beaucoup. Nous ne faisons pas le même travail que nos parents, mais nous avons vu ce qu’ils aiment, et je pense que ça vaut pour beaucoup de gens.

Et votre actualité c’est Casanova. Est-ce que vous pourriez le résumer ?

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Gabriel Bá – C’est plus compliqué à résumer. C’est l’histoire d’un agent secret, et en même temps c’est l’histoire d’un voleur. Il y a beaucoup de voyages entre différentes dimensions. Et on ne sait pas qui est le bon et qui est le mauvais. C’est le défi de l’histoire, pour le personnage principal, et pour le lecteur, de savoir qui est le héros, qui est le vilain. C’est le conflit du personnage. L’histoire est très complexe, mais ça c’est le corps de l’histoire.

Casanova est scénarisé par Matt Fraction. Comment vous êtes vous rencontré et comment est née cette BD ?

Fábio Moon – Nous l’avons rencontré il y a 8 ans. Avant qu’il soit un grand écrivain de Marvel, et avant que nous soyons nous aussi connus. Il a présenté l’histoire à l’éditeur Image, qui a vu notre dessin, a pensé qu’il pourrait convenir à l’histoire et nous a présenté. Matt Fraction a présenté le projet pour moi, mais nous avons décidé que le projet serait meilleur pour Gabriel, parce que son dessin convient mieux au style de l’histoire.

Gabriel Bá – L’histoire est très différente du type auquel nous sommes habitués. Et c’est le défi parce que nous pouvons toucher un autre public. La science-fiction, les agents secrets… c’est très différent de ce qu’on fait d’habitude et c’est un grand challenge. Et c’est très bon pour nous, parce que nous sommes de meilleurs dessinateurs après chaque projet difficile et différent que nous faisons.

Est-ce que ça n’a pas été difficile de dessiner cette histoire ? Le scénario est tellement fou, est-ce que ça a été compliquer de rendre ça lisible et fluide ?

Gabriel Bá – Oui, très difficile. Il y a beaucoup de choses dans le scénario et dans l’univers de cette histoire qui sont compliquées à imaginer. Il y a beaucoup de références. Nous avons travaillés tous ensemble sur le scénario, puis le dessin. C’est vraiment le projet le plus difficile sur lequel nous avons travaillé, mais c’est la raison pour laquelle il est le plus complexe et le plus riche.

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Merci à Charlène et Louise de chez Urban Comics pour avoir organisé cette interview, et bien sûr un immense merci à Gabriel Bá et Fábio Moon (qui ont, en plus, eu l’extrême gentillesse de faire cette interview en français).


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